Lutte contre les rongeurs : l’appâtage permanent sur la sellette
La réglementation sur l’usage professionnel des rodenticides s’est fortement durcie depuis plusieurs années, notamment avec l’interdiction de l’appâtage permanent, du moins en théorie.
La réglementation sur l’usage professionnel des rodenticides s’est fortement durcie depuis plusieurs années, notamment avec l’interdiction de l’appâtage permanent, du moins en théorie.
Basée essentiellement sur la chimie depuis l’apparition des rodenticides anticoagulants (AVK), la lutte contre les rongeurs dans le secteur agricole va-t-elle changer de paradigme ? En d’autres termes, va-t-il falloir abandonner la pratique de l’appâtage permanent ?
Cette technique de traitement consiste à mettre en permanence les biocides à la disposition des rongeurs. Cette méthode est ou plutôt était appliquée que les rongeurs soient présents ou non. L’objectif est de les empêcher de s’établir, plutôt que de les intercepter une fois introduits. Elle a l’avantage d’être illimitée dans le temps et plutôt facile à suivre par l’observation de la consommation des appâts.
Le règlement européen n° 528/2012 autorise cette pratique pour deux molécules (difénacoum et bromadiolone), mais sous conditions : « en cas de nécessité prophylactique, de risque d’infestation et de gestion de population de rongeurs ingérable par une méthode alternative ». Comme elle en avait la possibilité, la France a durci sa position, en interdisant purement et simplement l’appâtage permanent.
Des réglementations contradictoires
L’appâtage non permanent utilise des méthodes alternatives pour détecter, capturer ou repousser. Cela consiste à placer des appâts de contrôle (placebos non toxiques) ou des pièges pour détecter les rongeurs. Et si une présence est révélée, il ne faut pas traiter plus de 35 jours. Pour bon nombre de professionnels, cette méthode apporte aux rongeurs le « couvert » qui crée des conditions propices à leur installation (le « gîte »).
Fin 2020, la Chambre syndicale des professionnels du secteur (CS3D) et ceux de l’élevage en avril 2021, ont fait part de leurs craintes aux autorités de tutelle. Ils soulignaient que l’appâtage permanent était nécessaire là où le "zéro rongeur" était primordial pour la sécurité humaine : secteurs de la santé, du transport, de l'énergie, de l'agroalimentaire, de l'agriculture. Ils attendent encore la réponse des autorités.
Pour l’Union des groupements de producteurs de viande bretons (UGPVB), il aurait été préférable de se baser sur une analyse bénéfices/risques. L’Union souligne la contradiction avec les réglementations sanitaires imposant une lutte permanente et efficace contre les rongeurs vecteurs de pathogènes, comme la charte sanitaire en filière multiplication et oeufs de consommation visant à éradiquer les salmonelles.
Des impacts sanitaires et financiers
L’appâtage non permanent (ANP) est techniquement réalisable, mais à quel prix ?
Le principal problème tient aux temps d’intervention. Selon le CS3D, la pose de pièges ou d’appâts (placébos ou non) nécessite une inspection fréquente des postes d’appâtage au début de l’opération, puis une fois par semaine en routine.
Responsable technique de Farago Bretagne, Pascal Nicolas applique l’ANP depuis 2019 dans le secteur de l’agroalimentaire. Ce secteur doit se conformer aux cahiers des charges des clients basés sur la réglementation. « Ces entreprises sont bien obligées de les accepter. Comme la pression rongeurs est moins forte, les visites sont moins fréquentes qu’en élevage. En agricole, nos tarifs d’intervention exploseraient par dix à vingt. »
En revanche, Farago applique déjà les règles de sécurité d’emploi dans l’agricole : boîtes d’appât fermées, sécurisées, accessibles uniquement aux rongeurs, appâts non dispersibles (sachets hermétiques ou blocs), traçabilité des interventions.
À ce jour, aucun dératiseur ne propose la méthode ANP en milieu agricole estime Farago Bretagne. « Si cela devait être appliqué, il faut s’attendre à une catastrophe sanitaire » assure Pascal Nicolas. Ce n’est peut-être pas un hasard si les rongeurs deviennent envahissants dans des métropoles comme Paris ou Marseille.
La France lave plus blanc que blanc
Dans un document interne datant de mars 2021, l’Anses qui délivre les autorisations de mise en marché des produits (AMM), indique que « l’utilisation des produits AVK pour de l’appâtage permanent n’a jamais été autorisée, quand bien même son interdiction n’était pas explicitement mentionnée dans les AMM ». Depuis 2018, toutes les nouvelles AMM le mentionnent donc clairement sur le résumé des caractères du produit (RCP) et sur les étiquettes commerciales.
La principale motivation pour l'ANP est liée à l’apparition de résistances à certaines matières actives utilisées depuis longtemps et à leur diffusion (première et seconde génération). Selon les experts du Rodenticide resistance action committee (Raac), l’appâtage permanent a aussi un impact négatif sur les animaux non-cibles pouvant absorber des matières actives, directement par consommation d’appâts (consommation primaire) et/ou indirectement par celle des rongeurs (consommation secondaire), avec un risque de bio accumulation dans la chaîne alimentaire.
Exemple de protocole d'appâtage non permanent
Étape 1 : Diagnostic préalable (identifier le rongeur, évaluer l’infestation, justifier le type de traitement)
Étape 2 : Traitement
- J0 Mise en place ;
- J3 ou J5 Première visite de contrôle (plus précoce en souris) ;
- J6 ou J10 Deuxième visite de contrôle ; visites de contrôles hebdomadaires jusqu’à J35 maxi ;
Étape 3 : Diagnostic à J35 au plus tard
Si arrêt des consommations = arrêt du traitement car population contrôlée ;
Si efficacité partielle (à justifier) = retour à Étape 2 ; repositionner les appâts et relancer des visites de contrôle jusqu’à arrêt des consommations ;
Si aucun effet (pas de consommations, pas de cadavres) = retour Étape 1 ; refaire le diagnostic préalable, repositionner les appâts, changer la matière active (suspicion de résistance), passer au piégeage.