Valoriser ses céréales à la ferme
La Cavac se lance dans le canard nourri au grain entier
Avec l’utilisation de céréales de la ferme dans la ration de canards de chair, la coopérative vendéenne veut redonner de la valeur ajoutée à ses éleveurs.
Avec l’utilisation de céréales de la ferme dans la ration de canards de chair, la coopérative vendéenne veut redonner de la valeur ajoutée à ses éleveurs.
Pierre Philippe Lefrère ne sera sans doute plus pour très longtemps le seul éleveur producteur à la Cavac à incorporer des céréales entières dans la ration de ses canards de chair. Cet éleveur de 35 ans est en cours d’installation sur une exploitation du Maine-et-Loire qui depuis plusieurs années pratiquait l’incorporation avec succès dans les trois canardières. À son démarrage, Pierre Philippe a rejoint la coopérative vendéenne qui y a vu l’opportunité de s’intéresser à cette technique et de s’y impliquer. Pour Jean-Marc Durand, responsable de l’activité canards, « il fallait le faire dans un cadre précis ». Il ne s’agit surtout pas de diluer l’aliment complet avec des céréales, ce qui pourrait conduire à des performances amoindries, notamment les rendements en filets.
Les céréales utilisées par Pierre Philippe sont du triticale, du blé ou du maïs, incorporés en moyenne à 32 %, de l’âge de quatre semaines jusqu’à l’abattage des mâles vers 84 jours. Quand il est employé, le maïs n’est pas utilisé avant l’âge de huit semaines, en raison de la taille du grain. Ce niveau d’incorporation équivaut à une consommation moyenne de 3,5-3,6 kg de grains entiers par canard. Selon la céréale utilisée, plusieurs complémentaires croissance (jusqu’à 56 jours) et finition sont formulés. Le complémentaire est globalement 30 % plus concentré qu’un aliment conventionnel, sachant que c’est surtout la protéine qui est prise en compte. L’écart d’énergie est d’environ 100 kcal/kg entre les deux aliments (environ 2900 kcal en aliment standard). Pour ajuster au mieux la composition, le formulateur mesure quatre paramètres sur le grain (mycotoxines, humidité, cellulose, matières azotées totales). Si un lot s’avérait chargé en mycotoxines dans une quantité acceptable, il serait traité avec des capteurs de toxines.
Un grain très bien valorisé
La démarche d’incorporation commence à être proposée, préférentiellement aux adhérents qui disposent de stockage, d’une certaine taille d’élevage et d’une bonne technicité. Mais cela pourrait également intéresser de nouveaux investisseurs souhaitant mieux valoriser leurs céréales.
Le contrat à trois prix (caneton, aliment et canard) est adapté afin qu’à résultats techniques équivalents, la marge caneton-aliment reste la même qu’avec un aliment standard. « Le prix du complémentaire est réévalué afin de donner de l’intérêt à la céréale, explique Jean-Marc Durand. En moyenne, pour une céréale à 150 euros la tonne, la plus-value de l’éleveur équivaut à une valorisation d’au moins 3 euros supplémentaires par m2 et par lot, c’est-à-dire +10 à +12 % de marge caneton-aliment. Le point mort se trouve aux environs de 200 euros la tonne. » Pour Pierre Philippe Lefrère, qui utilise en moyenne 150 à 160 tonnes de céréales par lot, c’est plus. Pour s’équiper, Jean-Marc Durand estime le ticket d’entrée entre 17 000 et 25 000 euros (matériel de transfert, silo, matériel d’incorporation), amortissables en une à trois années en fonction d’un prix de céréales qui oscillerait de 100 à 200 euros.
Pierre Philippe Lefrère a hâte que des confrères le rejoignent. « Je démarre dans ce métier, je n’ai personne avec qui me comparer, alors que j’ai besoin d’échanger pour progresser. » La Cavac a elle aussi hâte. « Depuis plusieurs années, la coopérative s’est engagée dans une démarche de filière, basée sur la qualité et la durabilité », précise Guy Marie Brochard, éleveur et président des organisations avicoles sous la bannière Atlanvol. Cette nouvelle approche nutritionnelle qui colle avec la stratégie de la Cavac pourrait faire des émules dans d’autres productions et pourrait être valorisée commercialement.
Une technique simple mais à suivre
Le site de Pierre Philippe comprend trois bâtiments d’élevage. Le silo à céréales de chacun est rempli avec un ancien camion d’aliments faisant la navette depuis le stockage tout proche. Avant d’être stocké à plat, comme le triticale, le maïs est passé au silo sécheur Sukup. Pierre Philippe Lefrère commence à incorporer vers 27-28 jours d’âge, en montant progressivement le pourcentage sur 3-4 jours. Le complémentaire croissance est distribué à partir de 21 jours. « L’incorporation de grain se traduit temporairement par une légère baisse de croissance, souligne Pierre Philippe. Car la semaine précédente, les canards ont été boostés par l’aliment plus concentré (19,4 % de MAT au lieu de 15,6 %). Ensuite, ils se rattrapent. »
Souplesse d’incorporation
L’incorporation est réalisée différemment par bâtiment. La trémie peseuse (PRECIbox de Tuffigo Rapidex) commune au bâtiment divisé en deux salles est la plus précise. Elle permet aussi de mesurer les consommations alimentaires quotidiennes. Dans les deux autres bâtiments, l’incorporation est faite avec des trappes ou des ouvertures réalisées par son prédécesseur et réglées manuellement. « Quand je serai installé, je pourrai monter une balance d’incorporation commune », envisage Pierre Philippe. L’éleveur s’adapte aux animaux en modulant le pourcentage d’incorporation, notamment en cas de picage. « Augmenter le taux protéique permet une meilleure maîtrise », a-t-il constaté. Le suivi des poids vifs et des consommations est très important pour améliorer le rendement en filets. La coopérative équipe peu à peu les élevages en pesons automatiques transmettant quotidiennement au service technique. Au final, Pierre Philippe obtient des poids de mâles d’au moins 4,5 kg pour un indice de consommation de 2,55 à 2,7 dans les références attendues.
Un rendement filet amélioré
Selon Jean-Marc Durand, les céréales entières améliorent la digestion des canards. De ce fait, « leurs fientes sont de vraies fientes bien moulées et les animaux sont moins sales ». Surtout, « il est possible d’aller chercher du rendement avec des céréales entières », ajoute le responsable technique. Alors que le rendement moyen s’élève à 17,5 %, Pierre Philippe Lefrère obtient un point de plus, ce qui se traduit par une prime supérieure (1). « Depuis qu’on a instauré cette prime, le rendement moyen a progressé d’un point. Désormais, on ne vise plus à obtenir le poids vif au moindre indice de consommation », remarque Jean-Marc Durand.
(1) 5 euros/t de vif à partir de 16,3 % de rendement et jusqu’à 30 euros/t au-delà de 18,75 %