Grippe aviaire : fin de la crise sanitaire mais début d'une autre crise
Depuis le 9 juin, l’épizootie d’influenza aviaire est sanitairement terminée dans les élevages. En revanche, tout commence pour fixer la nouvelle « feuille de route » et accompagner le maximum d’opérateurs impactés.
Depuis le 9 juin, l’épizootie d’influenza aviaire est sanitairement terminée dans les élevages. En revanche, tout commence pour fixer la nouvelle « feuille de route » et accompagner le maximum d’opérateurs impactés.
Neuf mois se sont écoulés, quasiment jour pour jour, entre l’entrée et la sortie du territoire français en risque « modéré » vis-à-vis du risque influenza aviaire. Sur l’année 2021-2022, les élevages de plein air situés en Zone à risques particuliers (ZRP) ou à risque de diffusion (ZRD) ne verront leurs volailles dehors que les trois mois d’été, et cinq mois en dehors (claustration de début novembre à mi-mai).
Mal vécus par les éleveurs de volailles de plein air, notamment ceux en circuits courts, ces longs mois de « mises à l’abri » n’ont pas empêché la pire crise sanitaire d’éclater.
Le dernier bilan du ministère de l’agriculture (DGAL) établi au 10 juin faisait état de 1 378 foyers en élevages, 35 en basses-cours et 63 détections dans l’avifaune sauvage. Le dernier foyer en élevage remontant au 17 mai, « on peut considérer que la crise est derrière nous », estimait le cabinet du ministre de l’Agriculture le 7 juin, lors d’une conférence de presse.
En revanche, la crise économique est loin d’être terminée, malgré le dispositif d’accompagnement de l’État.
Lever les incertitudes par la transparence
Dix-sept millions trois cent mille volailles ont été abattues annonce le ministère, sans détailler leur répartition (foyers, dépeuplement, productions, départements…).
L’interprofession du foie gras (Cifog) estime la part des palmipèdes gras à 3,8 millions de têtes.
De ce fait, l’incertitude règne sur la fourniture d’oiseaux d’un jour et sur la capacité des accouveurs à répondre à toutes les demandes.
Selon le Cifog, 550 000 reproducteurs canards ont été abattus (65 % du potentiel de la production des mulards mâles) et 70 % des grands parentaux (66 000 animaux). La situation est donc très tendue pour les productions franco-françaises de pintade et de canard, dans la mesure où il n’est pas possible d’en importer comme avec le poussin, la poulette et le dindonneau (quand les cahiers des charges sur l’origine le permettent).
Les éleveurs fermiers en circuits courts craignent de passer après les filières longues. Seront-ils livrés ? Quand ? Combien ? Avec quelle régularité ?
Leur avenir est menacé surtout s’ils se trouvent en zone non aidée. Un peu partout en France, la presse locale s'en fait l’écho .
Quant à ceux situés en ex-zone réglementée, ils se demandent s’il faut accepter des animaux tout de suite, sans garantie d’en recevoir ensuite. Toute remise en place signifie la fin de l’accompagnement économique de 150 jours après la levée des zones. Pour pallier le manque de poussins, tous les syndicats agricoles (CFA, Confédération paysanne, Modef) demandent des indemnisations économiques plus longues.
Priorité au repeuplement
Le repeuplement des élevages est la première des priorités pour assurer les ventes du second semestre. Le Sud-Ouest a pu se relancer progressivement dès fin mars.
Dans l’Ouest, les premières mises en place ont débuté le 1er juin. Un zonage complexe a été dessiné par département selon l’historique de l’épizootie, de sorte que certaines communes contiguës repartent avec un décalage de plusieurs semaines.
Avec une estimation d’un peu moins de 15 millions de canards mâles produits cette année (- 50 % par rapport à 2021), « tout ce qui a un bec va être mis en place » résume un professionnel du secteur. Pour pallier le déficit de canetons mulards, l’utilisation des femelles est "expérimentée", car on manque de données techniques et économiques (comportement, poids et rendement en viande et foie, coût de production). Celles-ci serviront surtout à fabriquer du bloc de foie gras (55 % du marché), au pire à fournir de la viande si elles ne sont pas engraissées. Le 24 juin à son assemblée générale, le Cifog a présenté une simulation prévoyant une production de 6 millions de femelles mulardes entre avril et décembre, ce qui permettrait de réduire le déficit de canards à - 30 %.
Écrire une nouvelle feuille de route
La seconde priorité est de savoir comment se préparer pour lutter contre une cinquième épizootie. Les professionnels (interprofessions, vétérinaires…) ont été invités par la DGAL à déposer leurs propositions à partir de leur propre retour d’expérience.
La Confédération paysanne et le Modef demandent le retour de la dérogation à la claustration pour les petits élevages, ainsi qu’une « remise à plat » de l’organisation de la filière avicole. « Sinon, nous ne nous signerons plus rien », menace Sylvie Colas, porte-parole dans le Gers.
Les accouveurs-sélectionneurs ont pris conscience des dangers de la proximité géographique avec les autres maillons et entre eux-mêmes. Ils réfléchissent à un plan comprenant la sauvegarde génétique, la sécurisation des sites, et jusqu’à l’externalisation de la sélection hors zone d’élevage.
Du côté de la volaille de chair (Anvol), l’effort principal porterait sur la sécurisation de la filière canard Barbarie sur le modèle du mulard. Tous les lots (ainsi que les lisiers) seraient contrôlés (recherche du gène M) toute l’année, selon un protocole variant avec le niveau de risque.
À l’interprofession du foie gras, on prône la gestion collective avec une planification intelligente commune à toutes les volailles, en commençant par la dédensification d’environ 70 communes les plus à risques dans le Sud-Ouest. Il n’y aurait pas de prêts à gaver en élevage du 15 décembre au 15 janvier et la densité de Galliformes serait réduite de 40 %, après le départ des volailles festives.
De son côté, le ministère n’annonce rien de précis, sauf que la feuille de route a vocation à s’appliquer « au plus tard à la rentrée prochaine avant les migrations descendantes. »
Au vu des nombreuses détections d’oiseaux marins de nouvelles espèces (sternes, goélands) du mois de juin sur les côtes de la Manche et de la Baltique, il a tout lieu de croire que des oiseaux seront encore retrouvés positifs cet été. Une reprise précoce des foyers n’est pas à exclure à l’automne.
Premières indemnisation en cours
Un dispositif d’indemnisation sanitaire et quatre d’indemnisations économiques vont être progressivement activés.
Concernant les foyers, le ministère indiquait le 7 juin avoir versé 54,4 millions d’euros (M€) d’acomptes pour 1 292 dossiers. Il restait à en traiter une centaine déposée pour 6,2 M€.
Les indemnisations pour pertes économiques des éleveurs n’ont concerné pour l’instant que le Nord et le Sud-Ouest. Sur les 33 M€ budgétés, 1 792 dossiers ont été instruits pour 26 M€.
Le guichet des indemnisations des éleveurs du Grand Ouest et du Centre Ouest, ainsi que des producteurs d’œufs, devrait s'ouvrir au mois de juillet indique les responsables professionnels.
Le ministère estime l’enveloppe globale à 190 M€, mais n’annonce pas encore de calendrier de versements pour les éleveurs restant à indemniser.
Le maillon sélection-accouvage s’est vu réserver 121 M€, contre une quinzaine de millions accordés lors de l’épizootie 2020-2021.
Les entreprises de l’aval entreront dans le dispositif d’indemnisation en 2023, au vu des pertes comptables enregistrées en 2022. Le chiffre d'une enveloppe de 90 M€ est évoqué plus 15 M€ d'avance de trésorerie remboursables.