Pomme : la gestion de la tavelure à un tournant
La lutte contre la tavelure du pommier fait l’objet d’essais du CTIFL pour faire face à la disparition probable de certaines molécules. Se passer de certaines substances actives semble impliquer des pertes de rendement.
La lutte contre la tavelure du pommier fait l’objet d’essais du CTIFL pour faire face à la disparition probable de certaines molécules. Se passer de certaines substances actives semble impliquer des pertes de rendement.
Onze des vingt et une substances actives autorisées sur pommier contre la tavelure pourraient être fortement restreintes voire interdites d’ici 2025 à 2030. Il s’agit des substances suivantes : cuivre, captane, dithianon, difénoconazole, krésoxim-méthyl, zirame, fluopyram, flyxapyroxade, cyprodinil, tébuconazole, pyraclostrobine. Ce sont soit des substances avec un profil écotoxicologique défavorable type cancérigène, mutagène, reprotoxique (CMR) et/ou perturbateur endocrinien (PE) ; soit des substances classées dans la liste « candidature à substitution ».
Afin d’évaluer les stratégies optimales de gestion de la tavelure sans ces substances au futur très incertain, les essais du projet H2025 ont été conduits sur la variété Galaval (cov), une variété sensible à la tavelure. Ces essais ont été menés pendant trois ans entre 2021 et 2023 au centre CTIFL de La Morinière (Indre-et-Loire). Des stratégies en agriculture biologique et en production fruitière intégrée ont ainsi été évaluées avec l’ensemble des substances restantes.
Niveau de risque tavelure et stade phénologique
Pour guider les applications des substances fongicides restantes, deux grilles de pilotage ont été élaborées et amendées chaque année : une grille « production fruitière intégrée » (PFI) et une grille « agriculture biologique » (AB). Ces grilles de pilotage présentent une double entrée : le niveau de risque qui correspond au niveau de RIM (Risk Infection Measure – mesure du risque d’infection) du logiciel RIMpro et le stade phénologique (avant ou après fleur). Ces grilles sont bâties en fonction des caractéristiques techniques de chaque produit (niveau d’efficacité, dose, nombre d’applications). Chaque année, cinq modalités ont été comparées : témoin non traité, référence PFI, H2025 PFI, référence AB et H2025 AB. Dans le témoin non traité, la pression tavelure primaire sur pousses est forte sur les trois années. La pression tavelure secondaire est plus importante en 2021 et 2023 qu’en 2022, année de sécheresse. Les dégâts sur fruits sont plus importants en 2021 qu’en 2022 et 2023.
Sur les trois années du projet, les stratégies H2025 ont montré des pertes d’efficacité sur feuilles, pousses et fruits. Sur feuilles, en 2021, les résultats mettent en évidence un très faible écart d’efficacité entre les modalités de référence PFI (réf. PFI) et AB (réf. AB) et les modalités H2025 PFI et H2025 AB : -1 % en PFI et -4 % en AB. En 2022, les stratégies H2025 PFI et H2025 AB sont en moyenne 24 % moins efficaces que les stratégies de référence réf. PFI et réf. AB. En 2023, elles sont en moyenne 22,5 % moins efficaces que réf. PFI et réf. AB.
Des écarts d’efficacité selon les années
Sur pousses de bourse, en 2021, les résultats mettent en évidence un écart d’efficacité entre les modalités de référence réf. PFI et réf. AB et les modalités H2025 PFI et H2025 AB : -6 % en PFI et -8 % en AB. En 2022, les stratégies H2025 PFI et H2025 AB sur pousses sont en moyenne 31 % moins efficaces que les stratégies réf. PFI et réf. AB. En 2023, elles sont en moyenne 39 % moins efficaces que réf. PFI et réf. AB. Les écarts d’efficacité des stratégies H2025 entre les années, et plus particulièrement entre l’année 2021 et les années 2022 et 2023, peuvent s’expliquer par une pression tavelure forte à très forte en 2022 et 2023 contre une pression moyenne en 2021. D’une manière générale, les stratégies réf. et H2025 présentent une diminution globale de l’efficacité. Entre 2021 et 2023, l’efficacité de la stratégie de réf. PFI sur pousses passe de 92 % à 68 % et réf. AB de 95 % à 74 %.
Les pressions tavelure primaire de 2022 et 2023 ont été particulièrement fortes et ce malgré une prophylaxie (broyage des feuilles) réalisée lors des automnes précédents. De la même manière que sur feuilles et sur pousses de bourse, l’efficacité sur fruits des modalités réf. PFI et réf. AB est plus importante en 2021 qu’en 2022 et 2023. Entre 2021 et 2023, l’efficacité de la stratégie de réf. PFI sur fruits passe de 99 % à 81 % et réf. AB de 99 % à 75 %. Il y a un écart en défaveur des modalités H2025 PFI et H2025 AB avec 19 % de fruits touchés en plus en moyenne en 2021, 11 % en 2022 et 12 % en 2023.
Un écart de rendement commercialisable des pommes
En 2022 et 2023, les modalités H2025 PFI et H2025 AB présentent des rendements moins élevés que réf. PFI et réf. AB. Ces écarts de rendement cumulés sur deux années représentent une perte de 25 tonnes par hectare en PFI et de 15 tonnes en AB. Les stratégies de traitements H2025 PFI et H2025 AB n’ont donc pas permis d’atteindre la même efficacité que réf. PFI et réf. AB. Chaque année, un écart d’efficacité est observé sur feuilles, pousses de bourse et fruits. L’écart est faible en 2021 sur feuilles et pousses (en moyenne 2,5 % sur feuilles, 7 % sur pousses) et fort sur fruits (en moyenne 19,5 %). Il se creuse en 2022 et 2023 sur feuilles et pousses (en moyenne 31 % de feuilles et 39 % de pousses tavelées en plus) tandis qu’il se resserre sur fruits (12 % de fruits tavelés en plus en moyenne).
En plus des symptômes de tavelure plus importants dans les modalités H2025 et de l’inoculum qui augmente dans la parcelle d’année en année, il y a un écart de rendement commercialisable des pommes à couteaux. À raison d’un prix de vente à 0,30 euro le kilo en PFI et 0,80 euro le kilo en AB, et en considérant que l’ensemble des fruits répondent aux critères de commercialisation (en termes de coloration, calibre, aspect…), la perte de rendement dans les modalités H2025 coûte 7 500 euros par hectare en PFI et 12 000 euros par hectare en AB sur deux années cumulées. À noter également que les modalités de référence ne permettent pas d’avoir des arbres indemnes de tavelure. Ainsi, même avec l’ensemble des produits phytosanitaires disponibles à ce jour, la protection tavelure n’est pas suffisante pour obtenir 100 % d’efficacité sur la variété Galaval (cov).
Les substances homologuées contre la tavelure
Des années 1960 au début des années 2000, le nombre de substances actives homologuées contre la tavelure du pommier est en constante augmentation, allant jusqu’à trente molécules autorisées en 2000. À partir des années 2000, le nombre de substances diminue rapidement et des phénomènes de résistances de certaines molécules de synthèse apparaissent. À ce jour, le nombre de molécules restantes est de vingt et une, avec de fortes disparités dans les stades, doses et nombre d’applications autorisées par substance.
Ces substances actives homologuées sont regroupées en grands groupes de familles chimiques et réglementaires (données e-phy, avril 2024) : les produits de contact au mode d’action « multisites » ; les produits de biocontrôle composés de plantes, de minéraux ou de micro-organismes (soufre, bicarbonate de potassium, phosphonate de potassium, Bacillus subtilis et laminarine) ; les inhibiteurs de la succinate déshydrogénascoe (SDHI) ; les anilinopyrimidines (dits ANP) ; les strobilurines ou Qols (inhibiteur externe de la quinone) ; les triazoles (groupe I des inhibiteurs de la biosynthèse des stérols). Les produits au mode d’action « unisite », de type SDHI, ANP, QoIs, sont à associer le plus souvent avec un produit de contact.
À ces substances s’ajoutent les substances de base ayant un usage sur la tavelure du pommier (purin d’ortie et bicarbonate de sodium) et les substances naturelles à usage biostimulant à base d’extraits de plantes. L’ensemble de ces substances rentre dans la catégorie des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP). Elles ne sont pas comptabilisées dans les vingt et une substances car elles ne sont pas considérées comme des produits phytosanitaires.