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Méthanisation agricole : adapter son projet à une rentabilité incertaine

La baisse des tarifs d’achat du gaz et la hausse des coûts fragilisent la rentabilité des nouveaux projets de méthanisation, imposant une réflexion très rigoureuse.

Le dimensionnement de l'unité et la sécurisation du plan d'approvisionnement du méthaniseur sont des éléments déterminants dans un contexte de rentabilité très fragilisée de la méthanisation agricole.
Le dimensionnement de l'unité et la sécurisation du plan d'approvisionnement du méthaniseur sont des éléments déterminants dans un contexte de rentabilité très fragilisée de la méthanisation agricole.
© S. Marie

Tarifs d’achat du biométhane injecté revu à la baisse depuis 2020, coûts de construction et de fonctionnement qui flambent… Le contexte réglementaire et économique a changé violemment en quelques mois pour la filière méthanisation, compliquant la tâche des porteurs de projets.

« Plus que jamais, il faut avoir une démarche professionnelle, se former, visiter des unités, et monter un projet adapté aux porteurs de projet et au territoire. Il faut notamment connaître les gisements disponibles et les capacités d’épandage, afin de dimensionner l’unité aux exploitations », explique Hélène Berhault-Gaborit, de Valeurs Agri Métha, association qui dispense des conseils à une soixantaine d’unités en fonctionnement ou en construction.

Ces nouvelles contraintes ne condamnent pas forcément à l’inaction, mais la marge de manœuvre s’en trouve très réduite. La baisse des tarifs de rachat frappe particulièrement les modèles reposant sur les Cive, pulpes de betteraves et déchets des industries agroalimentaires, qui ne profitent plus d’aucun bonus. « Le nouveau contexte plaide pour un modèle mixte, avec des effluents d’élevage pour bénéficier d’une prime dans le prix d’achat du gaz, des déchets pour baisser le coût d’approvisionnement de l’unité, voire bénéficier d’une redevance, et les Cive pour leur pouvoir méthanogène. On a actuellement peu de projets 100 % Cive dans les tuyaux », constate Julien Tolo, du service Économie et filières de la chambre d’agriculture Île-de-France. Pour l’expert, on en revient au point de départ de la méthanisation, avec des projets en petit collectif, souvent portés par des éleveurs.

« Les projets actuels sont plus petits qu’auparavant, confirme Pierre-Guillaume Cuissinat, de la chambre d’agriculture du Cher. Alors que l’on voyait des projets à 200 ou 250 Nm3, avec plus de 20 000 tonnes de matières premières, les projets actuels se limitent souvent à 100 ou 130 Nm3, avec 10 000 tonnes d’intrants, portés par deux ou trois exploitations. » La pertinence de l’association éleveurs-céréaliers s’en trouve renforcée, mais gare aux mariages d’intérêt s’il n’y a aucune habitude de travailler en commun.

Dans le contexte actuel, tous les experts mettent en garde contre une stratégie de surdimensionnement du digesteur, retenue auparavant dans certains projets avec pour objectif d’aller chercher des matières premières externes non prévues dans le plan d’alimentation initial. « Encore plus qu’avant, il est préférable de dimensionner l’unité en fonction de la capacité à produire des fermes réunies dans le projet, idéalement en petit collectif, estime Céline Laboubée, chez Solagro. Il faut viser une autonomie des méthaniseurs. Si l’opportunité de traiter des biodéchets se présente, ce sera un plus agronomique ou économique. » Ce type de gisement va d’ailleurs s’accroître à partir de 2024, date à laquelle les collectivités auront obligation de valoriser les biodéchets par compostage ou méthanisation (voir encadré).

« Attention à ne pas dimensionner son projet uniquement par rapport à un droit à produire, en faisant des Cive par pure opportunité, complète Hélène Berhault-Gaborit. Il faut prendre en compte toutes les implications pour le système agronomique, sans oublier de calculer le coût de la tonne de matière brute qui entre dans le méthaniseur rapporté au pouvoir méthanogène, et le ramener en euros par MWh vendu. »

Sans oublier la faisabilité opérationnelle. « Si les Cive couvrent 50 % de la SAU, c’est 50 % de surface de récolte en plus, rappelle Pierre-Guillaume Cuissinat. Il faut estimer l’impact sur le temps de travail, sur le matériel, sur l’embauche d’un temps plein… » Pour ne pas se mettre en risque, l’expert préconise de ne pas dépasser 20 % de la SAU concernée en Cive.

Reste ensuite à garantir la rentabilité, mise à mal par l’effet ciseau prix de rachat-coût de construction. Les plans d’approvisionnement avec au moins 60 % d’effluents d’élevage seront les moins pénalisés par les nouveaux tarifs. Pour les autres, il faut activer des leviers pour aller chercher la baisse de 15 à 20 % de rentabilité. Cela passe par la maîtrise des coûts de construction et, de façon au moins aussi importante, ceux de fonctionnement. « On va probablement converger vers des choses plus simples, moins énergivores et plus économes en maintenance, au détriment de l’évolutivité et de la polyvalence », analyse Julien Tolo.

Un point de vue partagé par Pierre-Guillaume Cuissinat, qui insiste sur la vigilance à propos du poste essentiel que représente l’électricité. Isolation renforcée, couverture du stockage, autoconsommation électrique avec du solaire ou un petit cogénérateur font désormais partie des pistes systématiquement explorées. Le défi est de trouver le bon compromis entre le coût de construction et le coût de fonctionnement. Et là encore, cela exige du professionnalisme : certaines simplifications imposent un suivi d’une grande rigueur pour prévenir les incidents, la souplesse face à un pépin étant plus limitée.

Face à de tels enjeux, il n’a jamais été aussi indispensable de faire réaliser l’étude de faisabilité technique et économique par un partenaire fiable et indépendant, sans s’en remettre uniquement au constructeur. L’expertise du contrat du constructeur par un juriste compétent est également chaudement recommandée.

Le gisement des biodéchets va augmenter en 2024

À partir de 2024, la loi de transition énergétique impose aux collectivités de proposer aux particuliers du tri à la source, via le compostage individuel ou en mettant en place le tri et la collecte pour valoriser les biodéchets par la méthanisation ou le compostage. Les agriculteurs peuvent ainsi se rapprocher des collectivités ou des grands groupes de gestion des déchets, de type Sede ou Véolia. Ces entreprises savent gérer la collecte et le tri, et peuvent s’engager à fournir un tonnage pour le méthaniseur.

« Beaucoup de ces acteurs nous sollicitent à la recherche de méthaniseurs agricoles pour sous-traiter ces déchets, affirme Céline Laboubée, chez Solagro. La notion de distance parcourue est de plus en plus importante pour ces groupes. » Autre solution : se rapprocher des chambres d’agriculture, qui sont dans la boucle des études de territoire lancées par les collectivités.

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