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Vols en agriculture : « les voleurs sont venus trois fois en six mois »

Les vols de GPS, carburant, phyto sont fréquents. Que faire et ne pas faire, quels moyens mettre en place, comment s’y prendre ? Des spécialistes répondent.

Les correspondants sureté de la gendarmerie se déplacent gratuitement et sur demande. © Gendarmerie nationale
Les correspondants sureté de la gendarmerie se déplacent gratuitement et sur demande.
© Gendarmerie nationale

« C’était en février, je me suis levé à 6 heures pour moduler mes apports de phosphore et quand je suis arrivé au tracteur, il était ouvert. Je ferme tous mes tracteurs à clé le soir alors j’ai vite compris. La console GPS n’était plus là, tous les fils étaient coupés et l’antenne avait disparu. Le même soir, deux voisins ont été cambriolés. » Comme Stéphane Prévost, agriculteur à Ferrières-Haut-Clocher (Eure), nombreux sont les agriculteurs à subir des vols sur les exploitations, avec un préjudice rapidement élevé. Un jeu de console/antenne vaut autour de 8 000 à 15000 euros selon les options.

Les exploitations céréalières, des cibles de choix

Depuis 2015, le préjudice cumulé pour les exploitations agricoles est estimé à plus de 6 millions d’euros. En 2019, la gendarmerie a dénombré 15 439 « atteintes au milieu agricole », soit plus de 40 vols par jour. Un chiffre en augmentation depuis deux ans, qui devrait diminuer en 2020 mais sous l’effet de la crise du Covid-19 et des mesures de confinement.

Pour les voleurs et receleurs, les exploitations céréalières constituent une aubaine : les bâtiments sont souvent isolés et leur parc matériel est moderne, souvent équipé de GPS. Ce petit matériel, qui équipe les tracteurs et permet un travail à 2 centimètres de précision est aussi facile à voler qu’à revendre. Les enquêtes aboutissent généralement dans les pays de l’Est. Les vols de carburant, de phyto et de tracteurs sont également une réalité.

Assurer le matériel mobile tel les GPS

Que faire face à genre de souci ? D’abord, être bien assuré. « Le niveau de garantie dépend de la façon dont l'agriculteur s’estime exposé au risque. Si celui-ci a des équipements de guidage ou d'agriculture de précision, il faut absolument l’indiquer à son assureur, en précisant s’ils sont mobiles ou intégrés au tracteur », indique Olivier Pardessus, responsable Offres et Services agricoles chez Groupama, qui assure plus de la moitié du parc de tracteurs en France. « Le matériel mobile doit être assuré comme tel. » C’est ce qu’à fait Stéphane Prévost. « Ça me coûte 150 euros par an mais c’est indispensable. En pleine saison, il n’est pas réaliste de démonter tous les soirs les antennes. »

Reste que si les vols se succèdent, une augmentation de cotisation est à craindre. Pour prévenir les vols, les assureurs proposent également la visite de conseillers préventeurs. « Nous rappelons un certain nombre de règles de prévention, qui consistent à dissuader l’accès à l’exploitation des personnes malveillantes, mettre à l’abri les engins et protéger les stocks de phytos dans des locaux respectant les normes de sécurité », résume Olivier Pardessus, de Groupama.

Prévenir les gendarmes, qui sont de bon conseil

Les gendarmes délivrent également de précieuses recommandations. Ils sont en première ligne. Pour le capitaine Jean-Jacques Bernard, chef du Centre opérationnel de la gendarmerie de l’Eure, l’essentiel est de compliquer la tâche des voleurs. « L’ennemi de la délinquance, c’est le temps », rappelle le militaire. Il recommande ainsi de multiplier les sécurités sur les bâtiments et le corps de ferme, quitte à y perdre en confort de travail : verrouiller les portes et portails, installer des éclairages extérieurs, enlever les clés de contact des tracteurs, même si souvent la clé de l’un ouvre tous les autres, enclencher les « coupe-circuits » tous les soirs, laisser les tracteurs attelés à un engin, bloquer la direction à l’aide d’un antivol mécanique, parquer le tracteur avec le réservoir coté mur et démonter les antennes GPS et les consoles chaque soir.

Pour les locaux fermés, une alarme avec détecteurs de présence peut être installée. Cela ne suffit pas toujours et les exemples foisonnent. « Vous pouvez mettre n’importe quelle protection, si les voleurs veulent rentrer, ils rentreront. Mais plus ils mettront de temps à rentrer, plus ils laissent des indices et seront rattrapables », précise le capitaine Bernard. Au-delà de ces indices concédés par les malfaiteurs, les quelques secondes perdues peuvent permettre de prévenir les gendarmes, et pourquoi pas de leur laisser le temps d’arriver.

Alarmes avec faisceau et sirènes

D’autres dispositifs existent, tout aussi dissuasifs. Installé à Ouarville (Eure-et-Loir), Jean-Michel Dubief a installé une alarme avec faisceau à chaque entrée de son corps de ferme après plusieurs vols de GPS. « À chaque fois, le préjudice dépassait les 50 000 €, ça ne pouvait plus durer. » Le système semble dissuasif : installé fin 2018, aucune intrusion n’a été déplorée depuis. Dès que quelqu’un emprunte l’une des entrées de la ferme de nuit, une sirène retentit et un SMS est envoyé. Ce type d’équipement a un prix : 9 000 €. Si l’alarme doit sonner, Jean-Michel Dubief entend intervenir lui-même. « J’habite sur place, mon temps de réaction est rapide. Appeler les gendarmes ne sert à rien. Il leur faut 20 minutes pour venir. »

Une réaction aux antipodes de ce que conseillent les gendarmes. « Dans tous les cas, nous demandons de ne pas intervenir », insiste le capitaine Bernard. Si les choses tournent mal, les conséquences pénales peuvent être lourdes. En droit, la règle selon laquelle nul ne doit faire justice soi-même est intangible. L’idéal est de se limiter à noter les marques, types, couleurs et immatriculations des véhicules. Et si l’on constate le vol au petit matin, il faut tout de suite composer le 17 et ne toucher à rien, pour préserver les indices. Vraiment rien. « Surtout, ne pas piétiner la scène de crime », insiste le capitaine Bernard. Il ne s’agit pas de ranger l’atelier avant que les gendarmes arrivent.

Les caméras pour lever les doutes

La vidéosurveillance est l’outil incontournable pour être à peu près tranquille. Les caméras dissuadent les voleurs de passer à l’acte et fournissent de précieux indices en cas d’effraction. Cette technologie permet régulièrement de résoudre des affaires. « La seule caméra de la scène de crime nous permet rarement d’identifier un suspect ou un véhicule mais elle nous apporte régulièrement des indices », indique le capitaine Bernard. Même si l’on ne peut pas identifier le véhicule des voleurs sur la vidéo du vol, il arrive qu’une autre caméra, à quelques kilomètres, filme la même voiture, avec une plaque lisible… Pour l’agriculteur, la vidéosurveillance lève rapidement les doutes : elle indique en temps réel s’il y a vraiment quelqu’un dans sa cour. C’est le moment de composer le 17.

S’équiper en vidéosurveillance est d’autant plus simple qu’on trouve désormais des modèles de caméras de qualité et simples à installer, de type IP sans fil, autour de 100 €. Pour moins de 1 000 €, on équipe un corps de ferme. Les caméras de chasse sans fil, de type Buchnell, fonctionnent également très bien et permettent de saisir des images dans les sites isolés, en zone blanche ou sans électricité. Parmi l’offre de prestataires, on peut suggérer l’offre Gari de Groupama, dont la solution de télésurveillance permet de surveiller à distance les endroits clés de l’exploitation, depuis son smartphone. Lancée en 2019, l’offre comprend un abonnement à 29 euros par mois pour deux caméras intelligentes (plus coût d'installation de l'équipement). Les groupes bancaires ont également investi le créneau de la télésurveillance.

Un diagnostic gratuit de professionnel

Si l’on installe les caméras soi-même, quelques règles doivent être observées, d’ordre technique et réglementaire : bien positionner les caméras de manière à croiser les angles et à les rendre inaccessibles. Elles ne doivent pas filmer la rue ou la propriété voisine. « Dans les fermes, l’installation de caméras ne requiert pas d’autorisation préfectorale mais, si l’exploitation emploie un salarié, le dispositif doit être conforme au Code du travail », explique l’adjudant Meignard, de la cellule de prévention des techniques de malveillance de la gendarmerie de l’Eure.

Les correspondants sûreté de la gendarmerie se déplacent gratuitement et sur demande dans toute la France pour diagnostiquer et conseiller sur la vidéoprotection. Un peu partout en France, ils interviennent dans des réunions ou assemblées générales pour prévenir la délinquance. 3 000 correspondants sûreté sont répertoriés en France, soit un dans chaque chef-lieu de canton. Seule condition à ces diagnostics : « que l’agriculteur soit en position d’écoute », précise l’adjudant Meignard. Le plus simple est d’effectuer une demande à la brigade locale ou par mail. Toutes les coordonnées départementales sont sur le site referentsurete.fr

 
 

Vols de GPS, destination pays de l’Est

Les technologies d’investigation actuelles permettent de retrouver les coupables et emmènent souvent les enquêteurs dans les pays de l’Est. Ces deux dernières années, le vol de GPS est presque toujours le fait de groupes criminels lituaniens qui agissent sur commande pour les marchés russes, biélorusses ou ukrainiens. Une équipe de repérage sélectionne les secteurs : aux beaux jours, il est facile de repérer les balises des modèles recherchés sur les tracteurs en plaine. Une autre équipe intervient ensuite sur les exploitations agricoles et repart aussitôt dans son pays. Les voleurs sont méfiants et s’enfuient dès qu’ils sont repérés.

En novembre dernier, quatre personnes ont été interpellées en Lituanie, dans le cadre d’une vaste enquête menée par une cellule nationale d’enquête dédiée aux vols de GPS, sous l’égide d’Europol en coopération avec les autorités lituaniennes. L’affaire recense 47 GPS agricoles volés dans les Hauts-de-France et le Grand Est, pour un préjudice estimé à 575 000 euros. Plus de 400 GPS ont été déclarés volés en 2019.

Des alertes par SMS

Dans soixante départements, des systèmes d’alerte par mail ou SMS, baptisés AlerteAgri, permettent d’informer instantanément par mail et SMS les agriculteurs d’un secteur donné. Fruit d’accords entre la gendarmerie nationale et les organisations consulaires et/ou syndicales à l’échelle des départements, ces messages préviennent en particulier les vols en série. « Si une nuit on a trois faits de vols sur un secteur, puis deux le lendemain ailleurs, c’est une équipe qui fait les fermes. On déclenche alors notre dispositif AlerteAgri27 », explique par exemple le capitaine Bernard. Les messages sont envoyés par les partenaires agricoles. Ces dispositifs portent leurs fruits : les agriculteurs sont vigilants et relèvent les numéros de plaque. Le dispositif fonctionne, avec des surprises. 20 % des faits résolus d’attentes aux biens agricoles sont le fait d’individus issus du monde agricole.

Les chiffres des vols en agriculture en année 2019

15439 atteintes au monde agricole dont :

7 403 vols simples sur exploitations

1 609 cambriolages

24 vols avec violences

710 vols de véhicules

1 383 vols dans ou sur véhicules

1 776 dégradations

2 534 autres vols simples hors exploitation

Éric Prud’homme, 130 ha de grandes cultures à Courcemain, Marne

« Les voleurs sont venus trois fois en six mois »

« Je me suis fait voler une première fois en février 2019. Ils ont pris deux GPS : les tablettes et les antennes de TMX-2050 de chez Trimble. L’assurance a bien pris en charge le préjudice et j’ai pu racheter le même équipement. J’ai fermé tous les tracteurs à clé. Ça a été pire. Les voleurs sont revenus une deuxième fois, en pleine nuit. Les portes des tracteurs ont été fracturées. En plus de la perte du GPS, la porte du tracteur ne fermait plus : difficile de bien travailler dans ces conditions. C’est pourtant la raison pour laquelle j’ai investi dans un outil de précision. Un GPS, on peut s’en passer tant qu’on n’y a pas goûté. J’ai installé des alarmes et des caméras mais cela ne les a pas arrêtés. Les voleurs sont revenus une troisième fois, six mois à peine après la première visite. On les voit sur la vidéo mais ils sont cagoulés. Ils font visiblement une tournée et savent ce qu’ils cherchent : à chaque fois, pour porter plainte, on se retrouve à 5 ou 6 agriculteurs à la gendarmerie pour vol de GPS Trimble. Ensuite, il n’y a rien qui se passe et c’est démoralisant. À la ferme, je continue de tout fermer et d’enlever les antennes et les tablettes chaque soir mais le risque d’abîmer la connectique est important. Sans oublier que pour monter sur le toit du tracteur, rien n’est prévu et qu’un risque de mauvaise chute est réel. Mais je n’ai pas le choix : mon assureur m’a prévenu : au prochain vol, je serais radié. »

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