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Dermatite, panaris, lésions de la boîte cornée…
Traitement des boiteries : agir vite et avec méthode 

Parage, traitement topique individuel et traitement collectif. Qu’en attendre et comment obtenir la meilleure efficacité sur les boiteries. Le point avec Jean-Marc Héliez, vétérinaire Chêne Vert conseil.

Beaucoup d’élevages sont confrontés à des problèmes de boiteries. Quel protocole de traitements mettre en place pour essayer de contrôler de façon globale la situation ? La dermatite digitée est souvent présente, mais il ne faut pas oublier les autres causes de boiteries. En s’appuyant sur son expérience de suivis de troupeau et sur les connaissances scientifiques actuelles, Jean-Marc Héliez, vétérinaire Chêne Vert conseil (1), fait le point sur l’efficacité du parage curatif, des traitements individuels et des traitements collectifs sur les boiteries. Il donne les clés pour bien les utiliser, mais n’attendez pas de recette passe-partout : « il n’y a pas deux protocoles identiques pour contrôler la dermatite dans les 80 élevages que je suis », affirme-t-il.

(1) Intervenu en juin lors des Rencontres Bov’idée de Synthèse élevage.

1-Quelle récupération attendre du parage curatif?

° La prise en charge précoce voire très précoce de vaches boiteuses est extrêmement favorable à la récupération. C’est ce que démontrent quelques études récentes sur les lésions de la boîte cornée (ouverture de la ligne blanche, ulcère ou hémorragie de la sole…), notamment une étude anglaise. « Avec un parage des vaches qui boitent depuis moins de 15 jours, les chercheurs ont obtenu un taux de guérison de 69 %, constate Jean-Marc Héliez. Guérison signifie que la récupération clinique est totale après un mois, qu’on n’est plus capable d’identifier le pied atteint. » Ce taux de guérison est même grimpé à 85 % en associant au parage la pose d’une talonnette et un anti-inflammatoire pendant trois jours. En revanche, « sur des boiteries chroniques, lorsque les chercheurs ont attendu 15 jours supplémentaires pour prendre en charge les vaches dépistées boiteuses, le taux de guérison a chuté à 15 %. Ceci que le parage soit associé ou non à une talonnette ou à un anti-inflammatoire. »

° Le délai de prise en charge en élevage est pourtant en moyenne bien supérieur à quinze jours. Dans des études réalisées en Nouvelle-Zélande (et en Angleterre), il est pour les vaches sévèrement boiteuses de 20 jours, et pour une vache légèrement boiteuse de deux mois. La moyenne se situe à 40 jours après dépistage.

° La guérison dépend aussi de la lésion. L’étude anglaise montre que même en intervenant précocement, on n’obtient pas 100 % de guérison totale. Une autre étude montre que plus la boiterie est sévère cliniquement, plus la vache met de temps à récupérer. La nature de la lésion a aussi son importance. « Une ouverture de la ligne blanche, en particulier s’il y a atteinte du vif, a une vitesse de récupération plus longue » Par contre, il n’y a pas de lien entre l’étendue des lésions et la récupération.

° Le parage de la boîte cornée a un effet favorable aussi sur la dermatite digitée (maladie de Mortellaro) même si la plupart des lésions de dermatite digitée sont au niveau de la peau. Il permet notamment d’éliminer les zones anaérobies qui peuvent héberger des tréponèmes. Il a une efficacité curative et préventive.

° La clé d’efficacité est d’intervenir dès le stade de boiterie légère. Cela nécessite un dépistage précoce puis une prise en charge précoce. « Pour cela il faut se former et s’équiper », souligne le vétérinaire. Plusieurs pistes de détecteurs de boiteries faciliteront demain le dépistage : les accéléromètres haute fréquence branchés sur les deux postérieurs, les tapis « intelligents » contrôlant les appuis de la vache, ou encore la thermométrie infrarouge mesurant la chaleur émise par les pieds. « Pour les éleveurs qui ne peuvent pas prendre en charge les boiteries, il faut faire évoluer les prestations de services extérieurs, avec des interventions régulières sur des lots, tous les deux mois par exemple, défend-il. Pourquoi ne pas aller plus loin vers un système de contrat avec passage tous les 15 jours au moins dans la phase de maîtrise ? Certains élevages sont catastrophiques en termes de pattes, alors qu’ils ont des facteurs de risque équivalents à d’autres (propreté, humidité…) simplement parce que les animaux ne sont pas gérés dans les délais suffisants. »

2- Comment utiliser les traitements topiques individuels?

° Ce sont les produits appliqués directement sur la lésion. Ils sont utiles pour le panaris en complément de l’antibiothérapie par voie générale, et pour le fourchet (appelé aussi dermatite interdigitée ou érosion du talon) en complément du parage. C’est le traitement de base de la dermatite digitée : le pédiluve ne peut en aucun cas remplacer le traitement individuel des lésions actives type M2 ou M4.1 (voir les cinq types de lésions dans le dossier Mortellaro de Réussir Lait,  294, septembre 2015, p 76).

° Quelles sont les données scientifiques sur les produits ? Elles concernent surtout la dermatite digitée. Parmi les antibiotiques (en poudre ou spray) ayant fait l’objet d’études, « l’oxytétracycline est le plus efficace, mais les protocoles d’application testés sont très variables. Quoi qu’il en soit une pulvérisation unique est la plupart du temps insuffisante pour guérir la lésion. » Il existe de nombreuses alternatives aux antibiotiques sur le marché. Plusieurs ont fait objet de publications scientifiques avec une efficacité pour la plupart inférieure aux antibiotiques. Deux produits ont montré une efficacité supérieure à la chlortétracycline… : un topique à base de chélates de cuivre et de zinc (Hoofit gel) qui s’est avéré 1,6 x fois plus efficace mais avec un protocole plus contraignant (3 pansements à J0 J3 J7), et un topique à base d’acide salicylique, un peu plus efficace sous forme de pansement de trois jours.

° Quelles sont les bonnes pratiques de traitement individuel par topique pour la dermatite digitée ? Dans le cas de lésions peu sévères (M1- certaines M2), Jean-Marc Héliez recommande de nettoyer les lésions et de pulvériser le topique pendant trois jours consécutifs. « Trois jours sont un minimum, certaines lésions vont nécessiter un traitement beaucoup plus long. » Dans le cas de lésions plus sévères et prolifératives (certaines M2 - M4.1), il faut nettoyer la lésion avec une brosse très dure pour favoriser l’élimination des filaments, sécher (sinon l’efficacité du produit diminue) et appliquer un topique sous pansement respirant. « Il ne faut surtout pas imperméabiliser le pansement, les germes vivent en milieu anaérobie. Il est fréquent qu’un pansement ne suffise pas et doive être renouvelé. Cela peut être très lourd pour l’éleveur. »

° Le problème est la fréquence très élevée de récidive post-traitement « quel que soit le produit » : soit la guérison n’est pas totale, soit la vache se recontamine, soit le germe est incrusté en profondeur dans le derme et ressurgit en cas de baisse d’immunité. « Ces traitements topiques, s’ils sont efficaces, sont souvent mis trop tard avec deux conséquences : la guérison est moins bonne et on a laissé dans le circuit une lésion potentiellement contagieuse. »

3- Le pédiluve n’est pas fait pour guérir les lésions mais pour les prévenir

° L’efficacité d’un traitement collectif se mesure à sa capacité à limiter les nouvelles lésions, et non à guérir les vaches boiteuses. Son action est préventive. « Très souvent, les éleveurs abandonnent le pédiluve parce qu’ils le considèrent inefficace. Le pédiluve ne remplace pas le traitement individuel. Attention aux méthodes agressives de gestion des dermatites qui provoquent une hyperkératose cutanée favorable à l’hébergement des germes. »

° Le sulfate de cuivre serait le traitement le plus efficace sur les lésions de dermatite, d’après une synthèse d’études réalisées aux USA en 2017. « Le problème est qu’en Europe, il est interdit pour un usage biocide vétérinaire en pédiluve pour des raisons d’écotoxicité. Les produits qui en contiennent ont enregistré une autre molécule en tant que biocide. » Il doit néanmoins repasser en commission d’évaluation et sera peut-être autorisé sous conditions. « Une des pistes identifiées aux USA est d’utiliser le cuivre sous forme ionisée et acidifiée pour accroître son efficacité et baisser la concentration (de 5 % à 2 %). »

° Le formol est utilisé à cause de son prix, bien que fortement cancérigène pour l’homme (cancers de la sphère ORL). « Il ne sert à rien de faire la politique de l’autruche. Tant qu’il n’y aura pas d’autres produits moins chers sur le marché, il continuera à être utilisé malgré les risques. Il faut en tout cas prendre beaucoup de précautions (masque, gants) », met en garde Jean-Marc Héliez. Attention en cas de salariés sur l’élevage. Le formol n’est pas interdit aujourd’hui en utilisation biocide à usage vétérinaire mais il est en cours de réévaluation et son utilisation en pédiluve sera probablement interdite. « Des études ont montré une efficacité certaine, même s’il existe des résultats contradictoires. Il est moins efficace en dessous de 15 °C : plus il fait froid moins le formol marche ! Attention aux superconcentrations (au-dessus de 5 %) qui pourraient favoriser les M4. »

° Beaucoup d’autres produits sont présents sur le marché mais très peu ont fait l’objet de publications scientifiques. « Un certain nombre de molécules ont une efficacité controversée : ammoniums quaternaires, glutaraldéhyde, acide peracétique, peroxyde d’hydrogène, eau de javel (2). Une certaine efficacité a été démontrée pour trois produits : cuivre et zinc chélatés, phénoxyéthanol et l’huile essentielle d’arbre à thé avec des acides organiques. »
° « Au final, peu importe le produit : le protocole avec lequel vous l’utilisez est plus important, affirme Jean-Marc Héliez. Beaucoup d’échecs viennent de la façon dont on utilise le produit. » Une étude récente à grande échelle au Canada montre en effet que la mise en place d’un protocole rigoureux et standardisé (pédiluve de 3 m, 2 jours de passage par semaine, lavage préalable des pieds, renouvellement tous les 200 passages maxi) à base de sulfate de cuivre a permis d’obtenir une baisse significative des lésions actives dans des élevages qui étaient pourtant déjà tous utilisateurs de ce produit, chacun à leur façon.

(2) Laven et al 2002, Thomson et al 2008 Speijers et al 2010, Jacobs et al 2016.

4- Dermatite digitée : pas de miracle, de la méthode !

° Dans une situation dégradée avec plus de 20 à 30 % de lésions actives de dermatite :

Il n’y a pas d’autre solution que d’examiner les pieds de tout le troupeau pour dépister toutes les lésions et les traiter individuellement en même temps. "C’est très lourd mais on ne peut y échapper », souligne Jean-Marc Héliez. Une fois toutes ces lésions traitées par pulvérisation ou par pansement, « il faut choisir un traitement collectif qu’il soit en pédiluve classique ou sec, ou par pulvérisation ». Le but est de limiter l’apparition de nouvelles lésions. « Commencez par un traitement d’attaque deux jours par semaine sur quatre à six semaines puis espacez en fonction des résultats. Deux jours tous les quinze jours est un minimum pour avoir un effet préventif. » Si l’objectif n’est pas atteint, il faut augmenter la fréquence, ou modifier la concentration, ou changer de produit. « Demandez des preuves d’efficacité d’un produit : a-t-il fait l’objet d’une publication scientifique ? D’une étude interne ? Comment le produit a-t-il été testé : avec une utilisation trois mois en continu (peu reproductible) ou deux jours par semaine ?… ». En parallèle du traitement collectif, la procédure de traitement individuel doit bien sûr être maintenue.

° Dans une situation à faible prévalence avec moins de 10-15 % de lésions actives :

Le traitement est individuel avec un topique. Jean-Marc Héliez conseille de mettre en place un dépistage quotidien des lésions sévères et un dépistage collectif méthodique en salle de traite avec un petit miroir par exemple (voir Réussir Lait, n° 244, p. 24) une à deux fois par mois.

Les traitements collectifs sont à réserver aux élevages où les contraintes de dépistage et d’application individuelle du produit sont extrêmement fortes, « c’est souvent le cas en traite robotisée ». Ou aux élevages où l’incidence des lésions augmente malgré le dépistage individuel.

L’antibiotique par voie générale à réserver au panaris

Le panaris est la seule boiterie où un traitement antibiotique par voie générale systématique est indiqué. « Et il doit être fait », insiste Jean-Marc Héliez. C’est une boiterie d’apparition brutale, sévère la plupart du temps, avec souvent de la température. Il se caractérise par gonflement symétrique de la face dorsale et de la face palmaire du pied. Il y a souvent une confusion entre panaris (gonflement symétrique) et arthrite (gonflement d’un seul onglon). « L’antibiotique doit améliorer la boiterie dans les trois jours. Sinon, soit ce n’est pas un panaris, soit ce n’est pas le bon traitement, soit le panaris a déjà des complications. » Un panaris non traité peut entraîner une infection profonde qui peut diffuser aux tendons ou à l’articulation et provoquer des arthrites, voire des endocardites… « C’est alors beaucoup plus compliqué à traiter. »

« On voit de plus en plus souvent des formes extrêmement sévères qui ne répondent plus au traitement et finissent par la réforme ou la mort de la vache", met-il en garde. L’émergence de ces formes sévères peut être interprétée de deux façons. Il pourrait s’agir d’une forme de panaris d’emblée très violente (« Panaris super full »). Ou de panaris non traités suffisamment tôt : « la baisse générale de l’usage des antibiotiques est une très bonne chose, mais il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse. Un panaris nécessite dans la majorité des cas un traitement antibiotique ».

Les alternatives au pédiluve classique

Gros consommateur de temps et de produit, difficile à manager, le pédiluve classique a beaucoup de contraintes. Il coûte cher : un pédiluve de 200 litres changé tous les 100 passages revient pour 100 vaches à 6 000 € par an pour un produit à 5€/l ! Une excellente alternative est la pulvérisation systématique en salle de traite. Une étude montre que deux pulvérisations séparées de 4 jours tous les 15 jours à l’arrière et à l’avant du pied ont une efficacité comparable, voire supérieure à celle du pédiluve.

La pulvérisation en salle de traite, une excellente alternative

Les pédiluves automatiques facilitent la mise en place de traitements collectifs réguliers ; ceux intégrés au robot de traite sont une solution quand le traitement collectif n’a pas été prévu lors de l’agencement du bâtiment. « Le principe est intéressant (lavage des pieds avant la pulvérisation du produit) mais il y a très peu d’études scientifiques. De plus ces études ne sont pas faites selon des protocoles standardisés, ce qui rend extrêmement difficiles les comparaisons. »

Peu d’études sur les pédiluves secs

Le principal avantage des pédiluves secs est leur facilité d’utilisation ; les vaches en ont moins peur. Mais les contraintes pour avoir une efficacité restent les mêmes que pour les pédiluves humides (lavage préalable des pieds, fréquence suffisante, ne remplace pas les traitements individuels). Très peu d’études là aussi. L’une a été conduite par le GDS Bretagne et Oniris sur une courte durée sans analyse statistique approfondie avec un produit à base de chaux éteinte et a montré une efficacité relative. L’autre a fait l’objet d’une thèse vétérinaire avec Oniris-Nantes sur un pédiluve sec contenant des bactéries qui n’a pas montré d’efficacité préventive mais un léger effet curatif. « Des études complémentaires sont nécessaires. Beaucoup de nouveautés apparaissent, et il faut toujours demander des preuves d’efficacité, et bien analyser les conditions dans lesquelles elles ont été testées. Par exemple, il y a un essai privé en cours avec des tapis à mousse épais qui s’autoremplissent de l’intérieur, mais pour ce test, le tapis est testé en continu 24h/24 pendant deux mois. Ce qui sera peut-être efficace mais consommera une quantité très importante de produit, donc avec un coût très élevé. Et un produit efficace en continu ne le sera pas forcément une journée par semaine. »

À savoir

Un site dédié à la maîtrise des boiteries est en ligne depuis le 29 août. Conçu par de nombreux partenaires et experts avec le soutien du Cniel, il est en accès libre. www.boiteries-des-bovins.fr explique de façon simple, pédagogique et illustrée les origines des boiteries et les grandes lignes de leur maîtrise.

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