« Nous visons une rémunération constante et correcte »
Sébastien et Quentin Brousse, dans la Creuse, ont saturé l’outil laitier et développent un atelier allaitant complémentaire, tout en conservant de la souplesse pour affronter les aléas climatiques et économiques.
Sébastien et Quentin Brousse, dans la Creuse, ont saturé l’outil laitier et développent un atelier allaitant complémentaire, tout en conservant de la souplesse pour affronter les aléas climatiques et économiques.
« Il faut toujours garder de la souplesse pour que la qualité de vie et la rémunération ne soient pas la variable d’ajustement. Nous essayons, au contraire, que la rémunération soit constante et correcte, et nous ajustons nos dépenses et nos investissements par rapport à ces objectifs. » Telle est la philosophie qui guide Sébastien et Quentin Brousse – ils sont cousins –, éleveurs à Mérinchal, dans la Creuse. Ils produisent entre 410 000 et 440 000 litres de lait avec un cheptel de 53 Prim’Holstein et élèvent 30 à 40 Charolaises. Depuis l’installation de Quentin, fin 2015, l’excédent brut d’exploitation est remarquablement stable : entre 102 000 (en 2018) et 118 000 euros (en 2016 avec un prix du lait à 306 € mais un volume plus élevé) et 40 à 44 % du produit brut. Pourtant, ces dernières années, les aléas n’ont pas manqué (crise laitière, sécheresses répétées).
En matière de fourrages et d’aléas climatique, la « souplesse » recherchée par les deux associés consiste à toujours conserver un « volant de sécurité ». L’exploitation n’est pas très chargée. En année normale, elle vend même du foin. Elle est située dans la petite région de la Combraille, située à cheval sur le Puy-de-Dôme, l’Allier et la Creuse. Une zone de moyenne montagne – 700 mètres d’altitude – dont les sols granitiques et le climat normalement bien arrosé – si le normal existe encore – sont favorables à la fois au maïs ensilage et à l’herbe. Le Gaec Brousse exploite 141 hectares, dont 13 à 17 ha de maïs selon les années et 17 hectares de céréales (blé, triticale). La surface en herbe occupe les 111 ha restant, essentiellement des prairies temporaires de longue durée (dactyle, ray-grass-anglais, trèfle blanc).
« Davantage de stocks pour s’adapter à la sécheresse »
La surface en maïs devient de plus en plus la variable d’ajustement. L’objectif est d’avoir deux à trois mois de stock d’avance. Mais, il n’est pas facile d’anticiper les aléas. Après une bonne année 2017 où il occupait davantage de surface, les éleveurs ont réduit la sole en 2018 (13,7 ha), mais le rendement n’a pas été très bon. Ils en ont mis un peu plus en 2019 (15,5 ha), mais la sécheresse a de nouveau affecté le rendement (8-10 t MS/ha). La qualité reste néanmoins correcte. Du semis à la récolte, il a pris 210 mm d’eau. Fort heureusement, il était implanté dans les parcelles les moins sensibles à la sécheresse. « Nous ne pensions pas avoir deux années sèches d’affilée », regrettent les éleveurs. En 2020, ils prévoient de monter la surface à 17 ha. « Il va falloir se mettre durablement à faire un peu plus de maïs pour prévenir les mauvaises années et avoir du stock pour pallier les sécheresses », envisagent-ils. Le maïs s’invite de plus en plus à l’auge pendant l’été et même, depuis deux ans, durant le printemps. Le silo n’est plus fermé quand les vaches vont à l’herbe. « Avec du maïs, nous produisons davantage de lait qu’avec la pâture seule et cela nous permet de faire un peu plus de fauche. C’est une sécurité. » Cette surface supplémentaire de maïs sera soustraite aux prairies temporaires. Pas question de réduire la sole en blé et triticale car elle couvre les besoins des troupeaux en céréale et paille. Depuis deux ans, les éleveurs récoltent l’ensilage d’herbe un peu plus tôt pour assurer des deuxièmes coupes avant la période sèche. Ils compensent le rendement un peu plus faible en augmentant la surface ensilée (de 22 à 25 ha selon le rendement). « Constituer davantage de stocks, cela fait partie des adaptations à la sécheresse », anticipent-ils.
La sécheresse va coûter au moins 10 000 euros
Cette année, donc, il manque du maïs. « Au rythme habituel de distribution (30 kg brut/VL/jour), nous ne tiendrions que jusqu’au 15 mars. Il faut remplacer 10 kilos par un autre aliment pour pouvoir aller au minimum jusqu’au 15 mai et en garder pour l’été. » Fin octobre, les éleveurs envisageaient l’achat de 30 tonnes d’un mélange de maïs grain broyé - pulpe de betterave (228 €/tonne soit un coût global d’environ 7 000 €). Ils ont dû acheter aussi une semi-remorque de paille (1 200 €) alors qu’ils sont habituellement complètement autonomes, voire en vendent. Et, cette année, ils ne vendront pas de foin. Autant de manques à gagner. La sécheresse va leur coûter au moins 10 000 euros. Mais, ils ne s’en sortent pas trop mal. La chambre d’agriculture de la Creuse a chiffré la facture moyenne pour les élevages du département à 30 000 euros. Le cheptel allaitant est en phase d’agrandissement. L’objectif est de monter à 40 vaches. Le chargement ne devrait pas beaucoup augmenter pour autant. La marge de sécurité devrait donc être maintenue. Lors de son installation, Quentin a repris 20 hectares supplémentaires.
Récupérer les eaux de drainage pour l’abreuvement
Une stabulation est en cours d’achèvement pour les Charolaises (50 places pour un coût de 180 000 €), ce qui permettra de soulager les bâtiments anciens, surchargés, de rationaliser la conduite du troupeau, en groupant tous les vêlages à l’automne, et enfin de produire davantage de fumier. « Pendant longtemps, les vaches allaitantes, logées en étable entravée, sont restées un petit troupeau qui vivotait, raconte Sébastien. La reproduction était plus subie que choisie. » Le cheptel laitier est à son maximum car la stabulation (44 logettes et 49 places au cornadis) est difficile à agrandir (route d’un côté, fosse de l’autre). « Nous mettons un peu plus de vaches en été, jusqu’à 50-53 à la traite, quand elles vont à la pâture et que le lait est mieux payé. Nous saturons l’outil de travail laitier et nous augmentons le cheptel allaitant. Ce n’est pas plus mal en termes de travail. » Une cuve d’eau de 10 000 litres enterrée sous le nouveau bâtiment récupère des eaux de drainage pour abreuver les animaux en hiver comme en été. Un investissement de 7 000 euros (cuve, pompe…). Le réseau d’abreuvement dans les pâtures va être étendu. Ainsi, plus besoin de transporter de l’eau quand les sources feront défaut.
Une mélangeuse automotrice à deux exploitations
À partir du 15 septembre, les vaches laitières passent à la ration d’hiver. L’an dernier, elle comprenait 30 kg brut de maïs ensilage (13 kg MS) et 10 kg d’ensilage d’herbe (3,5 kg MS), 2 kg de foin, 3 kg de correcteur azoté (42 % de MAT). Elle couvrait 25-26 kg de lait. Un aliment VL (3 l) est distribué manuellement à l’auge (jusqu’à 7,2 kg). Cet hiver, les éleveurs prévoient de remplacer 10 kg de maïs ensilage par 3,5 kg de maïs grain - pulpe de betterave et de la paille. La ration semi-complète est distribuée avec une mélangeuse automotrice (Siloking de 13 m3) en copropriété avec un voisin. Un achat réalisé il y a 7 ans suite à un projet de Cuma qui est tombé à l’eau. « Nous pensions acheter une machine d’occasion, mais nous avons eu une super proposition pour une neuve [110 000 euros], explique Sébastien. Les voisins l’utilisent toute l’année pour faire 3 ou 4 mélanges et, nous, seulement pour les vaches en production du 15 septembre au 15 mai. Nous partageons le coût d’achat et les pièces de rechange à parts égales mais les voisins font l’entretien et la distribution pour les deux fermes (6 jours sur sept chez nous) et payent le carburant et les frais d’assurance. Ils passent moins de temps à soigner les deux troupeaux avec l’automotrice que quand ils alimentaient leur seul cheptel avec le bol. » Le coût de revient, pour le Gaec Brousse est de 6 500 euros par an tout compris soit 15 €/1 000 litres. « Ayant beaucoup de responsabilités professionnelles, je suis souvent absent. Cette machine correspond bien à notre mode de fonctionnement », ajoute Sébastien. Quand les vaches sont à la pâture (30 ares/VL), le maïs est distribué avec l’ancienne désileuse. La distribution démarre à 10 kg brut/VL/jour à partir du 15 mai pour monter jusqu’à 20 kg en été. « Nous essayons de nous adapter aux variations du prix du lait, expliquent les éleveurs. Nous calculons le coût alimentaire tous les deux mois. Si c’est rentable, nous n’hésitons pas à donner à manger. Si ça ne l’est pas, nous réduisons les dépenses. »
Une nouvelle stabulation pour les allaitantes
La mise en service de la stabulation de vaches allaitantes devrait permettre d’améliorer plusieurs points dans la conduite du troupeau laitier. Jusqu’à présent, toutes les vaches taries étaient logées dans une seule case dans l’ancienne étable où il y avait aussi les Charolaises et les veaux laitiers. Impossible donc de faire une préparation au vêlage. Pas plus que pour les génisses logées dans une stabulation en location sur un autre site. À l’avenir, il y aura deux lots de taries. « Les génisses démarreraient encore mieux en lait si elles bénéficiaient d’une préparation au vêlage, estime Florence Cluzel, conseillère d’élevage. Ça joue sans doute aussi sur la reproduction. Le temps que les vaches s’adaptent à leur nouvelle ration, elles perdent du poids. » Les deux associés reconnaissent que les résultats de reproduction sont assez moyens (438 jours d’IVV, 45 % de réussite en 1re IA en 2017-2018). Ils étaient en amélioration sur la dernière campagne. Les éleveurs se fient en grande partie à leur système de détection des chaleurs (Heatime). Les absences liées aux responsabilités professionnelles ne laissent sans doute pas suffisamment de temps pour une surveillance plus rapprochée du troupeau, analyse leur conseillère. Le Gaec pratique le croisement Blanc bleu belge depuis 15 ans (18 % en 2018) et utilise de la semence sexée sur les génisses (génotypées). Les résultats sont bons, au point qu’ils se retrouvent depuis deux ans avec trop de génisses à vêler (20 pour 55 VL). Ils vont donc accroître le croisement.
Prévoir de rémunérer de la main-d’œuvre à l’avenir
En 2018, le Gaec a également été confronté à une recrudescence de cellules (taux moyen de 347 000). « Nous avions gardé beaucoup de vieilles vaches parce qu’il est parfois plus rentable de faire davantage de lait que de toucher la prime qualité, surtout en été quand le lait est le mieux payé et que nous ne sommes pas contingentés par le bâtiment », assurent-ils. Cette année, les taux leucocytaires sont plus bas.
Sébastien évalue ses responsabilités professionnelles (bureau de la chambre d’agriculture, CA d’Évolution et du GDS) à un mois de travail (et d’absence sur la ferme) par an. Quentin en a quelques unes aussi. « Nous bénéficions d’une main-d’œuvre gratuite qu’il faudra prévoir de rémunérer à l’avenir. » Son père est encore très actif. Il est le « couteau suisse de l’exploitation », assurant beaucoup de menues tâches qui, totalisées, représentent un temps non négligeable. Bien qu’elles impactent quelque peu le fonctionnement de l’exploitation, les responsabilités professionnelles sont complètement assumées et décidées ensemble.
Chiffres clés
Les producteurs de la Coopal se prennent en main
Pénalisés par un lait moins bien payé, les producteurs négocient des contrats, notamment avec Carrefour, pour retrouver une meilleure valorisation.
Le Gaec Brousse livre son lait à la Coopal, à un prix de base nettement inférieur à la moyenne régionale. Les 403 producteurs de cette coopérative de collecte (Puy-de-Dôme, Creuse, Corrèze, Haute-Loire), reviennent de loin. En 2009, faute de repreneur, ils ont créé la Coopal sur les décombres d’entreprises mises en liquidation (Toury, URCVL) ou vendue (Comalait). La totalité du lait (110 millions de litres pour 150 millions à la création) est livrée à Terra Lacta, via sa filiale SLVA. « Le Glac, à l’époque, n’a pas souhaité faire de nous des coopérateurs à part entière mais des producteurs entièrement à part. Jusqu’à cette année, nous étions à la remorque de Terra Lacta », tacle Sébastien Brousse. « Nous recherchons de nouveaux débouchés et nous voulons faire notre propre collecte », indique Quentin Brousse, vice-président de la Coopal. C’est d’autant plus nécessaire que Terra Lacta leur a dit ne plus être intéressé que par 70 millions de litres. Un premier contrat a récemment été signé avec Carrefour pour 30 millions de litres de lait de montagne (voir Réussir Lait de novembre). Le lait est rémunéré 385 €/1000 l jusqu’en mai 2020, puis le sera à un prix supérieur. Une partie de la collecte, dont les 30 millions de litres destinés à Carrefour, est en cours de contractualisation avec la SLVA, l’ancien contrat prenant fin cette année. Des discussions sont en cours avec d’autres opérateurs pour contractualiser les volumes restants. « Nous voyons beaucoup de portes s’ouvrir », observe Quentin Brousse. La Coopal a déjà embauché une salariée et sans doute bientôt un deuxième.
Avis d’expert : Martine Durand, responsable équipe lait, chambre d’agriculture de la Creuse
« Les investissements rapportent de l’EBE »
« L’exploitation se caractérise par sa cohérence vis-à-vis de son potentiel, avec à la fois une bonne gestion des surfaces et des troupeaux et une bonne complémentarité entre les deux cheptels. L’autonomie en fourrages, paille et céréales constitue son point fort. Il y a peu d’achats d’intrants, comme le montre le pourcentage d’EBE/produit brut, grâce notamment à une bonne valorisation des fumiers et lisiers. Les associés ont une stratégie d’investissement raisonnée et raisonnable. Les investissements sont choisis pour produire, sans superflu. Ils rapportent de l’EBE. Malgré les aléas, les résultats restent assez stables d’une année sur l’autre. La construction du nouveau bâtiment pour les vaches allaitantes devrait permettre de les améliorer encore. La productivité du travail est supérieure à celle du cas-type grâce à une bonne organisation et un appoint de main-d’œuvre bénévole, qui compense les absences liées aux responsabilités professionnelles. »