Bactéries, acides organiques, enzymes…
Les conservateurs d’ensilage d’herbe en sept questions
Alors que dans la majorité des cas, l’utilisation de conservateurs d’ensilage d’herbe est rentable, serait de 20 à 30 % en France. Le point avec l’institut technique Arvalis et la société Lallemand.
Alors que dans la majorité des cas, l’utilisation de conservateurs d’ensilage d’herbe est rentable, serait de 20 à 30 % en France. Le point avec l’institut technique Arvalis et la société Lallemand.
Le premier risque qui guette un ensilage d’herbe à moins de 30 % de matière sèche, et/ou pauvre en sucres et riche en protéines, c’est une acidification trop lente et/ou insuffisante qui permet alors le développement de bactéries indésirables. Avec pour conséquences des pertes de matière sèche, une diminution des valeurs azotée et énergétique, de l’ingestion (liée à une moindre appétence), ainsi qu’une dégradation de la qualité sanitaire. Les conservateurs doivent faciliter et accélérer l’acidification naturelle au démarrage.
Un deuxième risque existe avec les reprises de fermentations en présence d’air au moment de la reprise, liées à l’activité des levures et moisissures. Ce risque concerne essentiellement les fourrages mal tassés, dotés de taux de matière sèche élevés.
L’utilisation se raisonne en fonction des caractéristiques de la plante (plus ou moins apte à l’ensilage) et son taux de matière sèche, déterminé en grande partie par les conditions climatiques du chantier. Pour les plantes difficiles à ensiler, comme la luzerne ou le dactyle, pauvres en sucres et avec un pouvoir tampon élevé, le conservateur acidifiant est nécessaire si le taux de MS est inférieur à 35 %. Pour les plantes faciles à ensiler, il se justifie pour des taux inférieurs à 25-27 % MS. Le conservateur acidifiant est d’autant plus utile si les plantes sont récoltées jeunes (montaison) et/ou ayant reçu une fertilisation azotée importante, et lors de présence de terre à la récolte. Dans ces situations, l'objectif de l'inoculation est d'orienter rapidement les fermentations lactiques utiles au détriment de toutes les autres.
« L’expérience de nombreux éleveurs et les résultats de la station expérimentale de la Jaillière confirment qu’il est possible d’obtenir une conservation correcte sans utiliser d’additifs de conservation, dépeint Anthony Uijttewaal d’Arvalis. Ceci dit, les additifs ont une action certaine sur la conservation, les résultats obtenus en leur absence se montrent plus aléatoires. Toute la difficulté est justement de prévoir dans quelle situation ils se révéleront efficaces. »
Dans tous les cas, il ne s’agit pas de produits miracles. Leur objectif est de maintenir une valeur la plus proche possible de celle du fourrage récolté. Mais s’il est de valeur médiocre, ou si la récolte ou le stockage sont inadaptés, il ne faut pas s’attendre à un bon produit final même avec un conservateur. « L’ensilage est comme un jeu de cartes, poursuit Jean-François Floquet de la société Lallemand. Plus on a d’atouts dans son jeu, plus on a de chances de gagner la partie ! Le conservateur, comme les conditions de récolte, de tassage, de bâchage, et d’avancement du silo sont autant d’atouts à exploiter. » Enfin, si la vitesse d'avancement du silo est insuffisante, les conservateurs antifongiques améliorent la stabilité postouverture.
Sur le marché, on trouve deux grands types de produits : les conservateurs chimiques et les biologiques. Les traitements chimiques à base d’acides ont l’avantage d’offrir une efficacité garantie même en conditions défavorables. Toutefois, les risques de corrosion du matériel — bien qu’il existe des formulations avec des acides tamponnés — ainsi que l’odeur et les volumes importants à utiliser freinent leur utilisation. L’acide formique a une action acidifiante ; l’acide propionique se révèle davantage un stabilisateur antifongique qu’un acidifiant. Il est un bon extincteur si le front d’attaque chauffe.
Ils contiennent une ou plusieurs souches de bactéries, accompagnées ou non d’enzymes. Leur principe est d’apporter une dose massive de bactéries sélectionnées pour compléter l’action de celles naturellement présentes dans les fourrages.
Les bactéries homofermentaires transforment les sucres solubles uniquement en acide lactique, le plus puissant. Elles agissent comme un stimulateur des fermentations lactiques, et apportent une garantie supplémentaire à la baisse rapide et importante du pH. « Je les préconise pour les fourrages humides inférieurs à 28 % MS », indique Jean-François Floquet.
Les bactéries hétérofermentaires ont, quant à elles, un pouvoir acidifiant plus faible car elles produisent un peu d’acide lactique mais aussi des acides acétique, propionique, du propylène-glycol… Elles constituent plutôt un vaccin contre les échauffements, en prévenant les reprises de fermentation à l’ouverture du silo. « Nous les préconisons pour les fourrages riches en matière sèche, difficiles à tasser. » « Et plutôt sur des fourrages bien pourvus en sucres, recommande Anthony Uijttewaal. D’une manière générale, les inoculants biologiques ont un intérêt sur des fourrages ressuyés à préfanés, qui ont concentré suffisamment de sucres. Car si les sucres sont limitants, rien ne sert d’ajouter des bactéries pour baisser le pH, elles manqueront de substrat ! »
« Les enzymes améliorent la digestibilité des fourrages, indique Jean-François Floquet. Elles sont utiles pour les fourrages pauvres en sucres solubles, comme le dactyle et la luzerne. » Leur objectif est de ramener du carburant aux bactéries lactiques, en dégradant les sucres complexes ou des fibres. « Notre objectif est d’augmenter de 2 % la teneur en sucres solubles. » Toutefois, pour Anthony Uijttewaal, « les enzymes souffrent parfois d’une vitesse d’action assez lente au regard du processus de fermentation lactique. Elles restent des produits qui coûtent cher et dont le retour sur investissement n’est pas forcément garanti. » D'où l'importance de la bonne sélection des enzymes de la formule.
Un fourrage est naturellement chargé en bactéries. Leur concentration est plus ou moins importante selon la parcelle et les conditions de l’année. Du champ au tas, la concentration en bactéries peut atteindre 100 000 UFC/g de fourrage vert (unités formant colonies). Quand on apporte un conservateur, il faut donc taper fort et ne pas chercher à trop réduire les doses préconisées pour espérer une réponse efficace. « Rien ne sert d’acheter un conservateur et n’appliquer que la moitié de la dose préconisée, estime Jean-François Floquet. Mieux vaut ne traiter que la moitié de la récolte à pleine dose que la totalité à demi-dose. »
La question de la dose se réfléchit en amont du chantier de fauche pour limiter les incertitudes. Souvent, les éleveurs basent leur calcul sur un tonnage et un taux de matière sèche moyens identiques chaque année. « Je conseille d’estimer le volume de fourrage sur pied une semaine avant la récolte, même s’il n’est pas toujours évident d’apprécier un volume et une teneur en eau du fourrage », reconnaît Anthony Uijttewaal. Reste encore ensuite à corréler la dose exprimée en UFC/g de fourrage vert et le réglage de l’applicateur en litres par heure, en fonction du débit du chantier. Ce qui fait pas mal d’approximations au final…
« Techniquement, les conservateurs ont démontré leur efficacité, mais ces produits ont un coût et il n’y a pas d’étude économique pour mettre en balance le coût et les bénéfices engendrés. Beaucoup de paramètres complexes et d’incertitudes entrent en ligne de compte pour parvenir à juger objectivement de leur pertinence, regrette Anthony Uijttewaal. Dans une majorité des situations, le recours à un conservateur à la bonne dose se montrerait rentable pour l’ensilage d’herbe. »
« Le coût d’un conservateur s’élève entre 5 et 12 €/tMS. Un éleveur est toujours gagnant à en utiliser pour de l’ensilage d’herbe, considère Jean-François Floquet de Lallemand. Nous estimons le retour d’investissement d’un pour cinq en tenant compte des pertes quantitatives évitées (sous forme de gaz, de jus…) et des pertes qualitatives liées à la valeur protéique et énergétique. Même si l’ensilage est réalisé dans les règles de l’art et stocké dans de bonnes conditions, ces pertes approchent les 15 %. Et plus encore si des moisissures sont visibles sur le front d’attaque. »
Que dit la réglementation ?
Réglementairement, on ne parle pas de conservateurs. Les agents d’ensilages font partie des additifs pour l’alimentation animale et doivent bénéficier, à ce titre, d’une autorisation européenne. Cette autorisation ne porte pas sur les spécialités commerciales mais sur les matières actives qu’elles contiennent. Les autorisations sont données pour un type de fourrages particuliers (facile, moyennement facile ou difficile à conserver, en lien avec leur teneur en sucres) et une revendication spécifique (amélioration de la vitesse d’acidification ou de la stabilité après ouverture du silo).
« Nous voulons valoriser au maximum notre fourrage »
Le Gaec Nord Vendéen en Vendée recourt aux conservateurs pour ses ensilages d’herbe destinés à ses 125 vaches depuis sept ans. Ce fourrage représente environ 20 % de la ration hivernale, en complément de maïs et d’un kilo de paille. « Nous systématisons le recours à un conservateur biologique quelles que soient les conditions de récolte pour tirer le meilleur parti possible de l’ensilage récolté. C’est notre premier objectif. Nous voulons maximiser la valeur du fourrage pour réduire le recours aux concentrés, indique Emmanuel Bretaudeau, l’un des sept associés du Gaec. Le second objectif est de limiter les pertes au silo. Et de poursuivre : « visuellement, je vois clairement la différence par rapport à avant. Quand on ouvre le silo, ça sent bon, et l’ensilage garde un bel aspect avec une belle couleur verte, comme s’il venait d’être fait. Il n’y a quasiment plus rien à retirer avant de distribuer. »
Les parcelles de ray-grass italien (25 ha en première coupe et 15 ha en seconde coupe) sont fauchées par l’ETA mi-avril. Normalement, le fourrage ressuie au sol deux jours. L’objectif est de parvenir à un ensilage de 28 % de matière sèche, mais il n’est pas toujours atteint. « L’an dernier, nous avons dû ramasser la première coupe au bout d’une seule journée car un orage menaçait. La matière sèche n’était que de 26 %. Le silo a rendu un peu de jus au début, mais il s’est bien conservé, avec une bonne appétence. »
Un investissement de 43 €/ha jugé rentable par les éleveurs
L’analyse a révélé 0,92 UFL et 18,6 % de MAT ; et 0,87 UFL et 17,2 % de MAT pour la seconde coupe. Un conservateur spécifique aux fourrages pauvres en matière sèche, est appliqué par l’ensileuse. « Par sécurité, j’ai plutôt tendance à mettre un sachet de trop qu’un sachet de moins. »
« Le coût nous revient à 43 €/ha. C’est un investissement que nous jugeons rentable grâce à une meilleure valorisation du fourrage en qualité et en quantité. Et depuis que nous recourons au conservateur, nous n’avons jamais eu une seule pénalité butyrique. Ce n’est sans doute pas la seule raison car nous sommes très vigilants aussi à la propreté des vaches et des silos mais cela y contribue certainement. » Au moment de la confection du silo, le Gaec ne lésine pas sur tassage (toujours un télescopique et un tracteur) et la mise en place des bâches. « Rien ne sert à mettre de l’argent dans un conservateur, si on gâche tout avec un silo mal fait. »