L’épigénétique, un outil de plus au service de la sélection
Après la génomique, l’épigénétique ouvre un nouveau champ d’investigations et d’explications pour améliorer la sélection et les conditions d’élevage. Car elle permet de comprendre ce qui modifie l’expression des gènes.
Après la génomique, l’épigénétique ouvre un nouveau champ d’investigations et d’explications pour améliorer la sélection et les conditions d’élevage. Car elle permet de comprendre ce qui modifie l’expression des gènes.
« L’épigénétique, c’est ce qui explique qu’une larve d’abeille devient une reine avec une espérance de vie de 5 ans si elle reçoit de la gelée royale, alors qu'une même larve nourrie avec du pollen et du miel devient une ouvrière qui ne vit que 2 mois, a expliqué Amélie Vallée, coordinatrice R&D chez Gènes Diffusion, lors d'une journée "génisses" organisée par le groupe Seenergi en juin dernier. Des modifications de l’alimentation (pour notre larve d’abeille) ou de l’environnement au sens large entraînent une expression différente des gènes. À génome identique, le phénotype, donc l’expression des gènes, peut être différent en fonction de modifications épigénétiques ! "
Une expression différente selon la cellule, le moment
Le terme d’épigénétique regroupe l’ensemble des mécanismes qui vont modifier, de manière réversible, transmissible ou adaptative, l’expression de l’ADN. Si l’ADN est une retranscription intégrale du génome contenue dans chacune des 50 000 milliards de cellules d’un organisme, il ne s’exprime pas toujours de la même façon. Aux différences d’expression prévisibles, s’ajoutent des modifications induites par l’environnement. Le répertoire des gènes exprimés varie selon la cellule, selon le moment. « Le génome est très stable dans le temps, mais l’épigénétique est très dynamique, souligne Amélie Vallée. Cela permet des adaptations à des stades clés du développement, comme la phase embryonnaire ou la puberté ; ou des adaptations en réponse à des changements de l’environnement. » Par exemple, en cas de mammite à E. Coli, on note une inhibition de l’expression du gène de la caséine. Ce qui semble logique, comme si la mamelle se concentrait sur son combat contre l’infection plutôt que sur la production du lait. Mais cette modification de la production perdure sur la lactation suivante, même sans problème sanitaire.
Influencé par cinq types de facteurs
Ces stress, ces événements extérieurs agissent sur les marques épigénétiques. Celles-ci orchestrent l’expression des gènes, comme autant d’interrupteurs avec un gradient de positions entre "on" et "off" Ces marques allument, atténuent ou éteignent l’expression d’un type de gène en fonction du tissu ou encore des conditions d’élevage de l’animal. La position de ces interrupteurs de lecture des gène est influencée par cinq types de facteurs : la nutrition, l’environnement, les stress, des toxines et une part d’aléatoire.
Des modifications transitoires ou héritables
La modification d’expression des gènes peut être transitoire ou pérenne et même héritable. « Certaines modifications sont irréversibles, voire se transmettent à plusieurs générations », souligne Amélie Vallée. Par exemple, la sous-nutrition d’une vache gestante a des effets à long terme sur le phénotype de ses filles. Même si celles-ci reçoivent une ration équilibrée, leur potentiel laitier ne sera pas pleinement exprimé en comparaison avec des génisses nées sans stress in utero.
Différents mécanismes épigénétiques
Plusieurs types de marques épigénétiques interviennent dans la modification d’expression des gènes. Des modifications chimiques, comme la méthylation, vont inactiver la lecture des gènes, comme un scotch sur une bande magnétique : le code ne change pas mais la lecture, si. D’autres facteurs épigénétiques se fixent sur les histomes, ces molécules qui « décompressent » le long ruban d’ADN entortillé au cœur des cellules. Selon le niveau et l’endroit de la décompression, les gènes pourront être lus ou non.
Si les mécanismes de l’épigénétique sont encore peu connus, on en devine l’importance des enjeux. Entre autres, pour la sélection et l’adaptation des pratiques d’élevage.
Mieux évaluer et valoriser le potentiel génétique
Jusqu’à présent, la sélection se faisait en estimant les effets du génotype et de l’environnement pour prédire les performances. Il faut y ajouter une troisième variable due aux modifications épigénétiques.
L’épigénétique ouvre la possibilité de décrypter le fonctionnement du génome en tenant compte de l’influence de l’environnement sur la réalisation d’un potentiel génétique. Ces phénomènes, naturels, sont responsables d’une partie des variations des phénotypes. « Mieux les comprendre donnera des opportunités pour mieux évaluer les animaux, pour choisir des animaux pouvant pleinement exprimer leur potentiel génétique en fonction du système d’élevage où ils seront », estime Amélie Vallée.
Pour qu’à partir d’un génotype, sélectionné grâce à la génomique, s’exprime le phénotype recherché (potentiel laitier, développement musculaire), il faudra connaître les marqueurs épigénétiques qui réagissent aux facteurs environnementaux, par exemple celui d’une plus grande sensibilité au stress thermique.
Développer des méthodes d'épigénotypage
Mieux comprendre l’épigénétique permettra aussi d’agir sur l’environnement pour modifier le fonctionnement de ces marqueurs et, ainsi, améliorer l’expression du génome. Pour l’instant, nous n’en sommes qu’au début de cette approche et il n’y a que peu d’applications en élevage bovin. Certaines applications sont mises en œuvre, par exemple en aviculture, où, pour augmenter la résistance des poulets à la chaleur, les œufs sont exposés à des températures plus élevées pendant la couvaison, ce qui entraîne des modifications de l’expression des gènes impliqués dans le métabolisme de la vascularisation.
L’Inra travaille à développer des méthodes d’épigénotypage à haut débit, pour pouvoir comprendre la plasticité du génome et en tirer des applications en élevage (meilleure adaptation aux conditions d’élevage, diagnostic de l’état physiologique des animaux à partir de cellules sanguines).
Définition
Des phénomènes naturels
Les activations/inactivations des gènes dues aux marqueurs épigénétiques sont des phénomènes naturels. Il n’y a aucune manipulation du génome, qui reste identique. Seule sa lecture et donc l’expression des gènes changent, selon le moment, selon les cellules.