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L’enjeu majeur de la maîtrise des investissements

Le prix du lait, les aléas climatiques et l’efficience du système (EBE/produit) impactent fortement le résultat économique. Mais, la stratégie d’investissement pèse de plus en plus dans la balance.

Une situation financière très tendue pour près de 40 % des exploitations laitières en 2016. Tel est le constat dressé par l’observatoire de l’endettement et des trésoreries mis en place en 2013 par l’Institut de l’élevage et la CNE en partenariat avec quatre centres de gestion (1). L’étude portait sur des élevages du Grand Ouest et du Cantal. Mais il peut être élargi aux autres régions. Le prix du lait a un effet majeur sur le phénomène. Idem pour les aléas climatiques. Leur impact est toutefois amplifié par une nouvelle donne. « Hier, les écarts de résultats économiques s’expliquaient avant tout par des écarts d’efficience (EBE/produit). Mais depuis sept à huit ans, la maîtrise des investissements et du financement devient un élément majeur », analyse Benoît Rubin de l’Institut de l’élevage. Les propos de l’économiste s’appuient sur les conclusions d’une étude récente menée par l’Institut de l’élevage, le BTPL et la chambre d’agriculture de Haute-Marne à la demande de FranceAgrimer (2). Elle a notamment confirmé que sur la période 2008-2015, la dimension des exploitations a fortement augmenté quel que soit le système (lait spécialisé avec une part d’herbe plus ou moins importante, lait + cultures, exploitations de montagne…) de 30 000 à 70 000 litres de lait par UMO. Mais, malgré l’augmentation de la productivité physique et de la taille des exploitations, les résultats ne sont pas au rendez-vous constate l’économiste. La capacité de résistance des exploitations étudiées vire rapidement au rouge lorsque le niveau des investissements et de l’endettement ne sont pas maîtrisés.

Ne pas dépasser 80 euros d’annuités/1 000 litres

« Dans les exploitations spécialisées de plaine par exemple, il est très difficile de trouver un équilibre avec des annuités supérieures à 80 euros/1 000 l de lait. » Au sein de ce groupe, elles ont varié de 40 à 130 euros/1 000 l. « À 130 euros/1 000 l de lait, on ne peut pas résister à une crise », affirme Benoît Rubin. Michel Deraedt du BTPL partage cette analyse. « La moyenne des annuités des adhérents au BTPL est de 65 euros/1 000 l. À ce niveau, il y a encore moyen de s’en sortir. En revanche, j’alerte les éleveurs quand elles atteignent 80 voire 90 euros/1 000 l en système conventionnel. Dans un contexte de crise cela devient périlleux sauf s’il y a une très bonne efficacité technico-économique au quotidien. »

Le risque de dérapage augmente lorsque les ressources en main-d’œuvre ne suivent pas l’évolution de la taille de l’exploitation. On mobilise alors de plus en plus de capital pour produire le volume de lait supplémentaire. Pour éviter cet écueil, Benoît Rubin conseille de prendre en compte le retour sur investissement dans tous les projets. « On pense trop souvent que l’investissement est systématiquement pertinent alors qu’il faut l’analyser au cas par cas. Certains génèrent de l’EBE et améliorent les conditions de travail. Mais attention aux investissements par mimétisme ou pour des raisons fiscales. »

Une réflexion doit impérativement être menée en amont. La première question à se poser concerne l’évaluation de l’intérêt du projet et de sa capacité financière à s’engager dans un projet de développement et d’investissement. « Faire mieux avant de faire plus », reste une valeur sûre. Deux ratios permettent cependant d’évaluer la capacité à investir d’une exploitation. Le rapport EBE avant cotisations sociales et salaires/produit doit être supérieur à 40 % (en moyenne sur les trois dernières années). Et la rémunération permise/1 000 l de l’atelier lait doit être supérieure à 100 euros/1 000 l.
Avec la volatilité des prix, il est conseillé de vérifier que le projet permet d’atteindre une marge de sécurité prévisionnelle positive deux années sur trois (avec les prix constatés sur les trois dernières années). « Si l’objectif est atteint en moyenne sur les trois ans et deux années sur trois, le projet peut être pertinent, sinon il faudra d’abord améliorer l’efficience du système de production. »

Des écarts allant de 650 à 2000 euros/1 000 litres

La nature et le niveau d’investissement sont un autre critère à prendre en compte. Cette réflexion est capitale comme l’illustre l’exemple d’exploitations de l’Ouest ayant d’un côté une logique d’investissement économe et de l’autre « coûteuse ». Dans les simulations retenues par l’étude, le niveau d’investissement en bâtiment, équipement de traite et matériel pouvait varier de 650 euros à 2000 euros/1 000 l. Le scénario le plus économe consiste à investir peu : 400 euros/1 000 l dans le bâtiment, 100 euros/1 000 l dans une salle de traite en épi et 150 euros/1 000 l en matériel grâce une délégation très forte (Cuma et ETA). À l’opposé, en investissant 850 euros/1 000 l dans le bâtiment, 750 euros/1 000 l dans un robot de traite pas forcément saturé et 400 euros/1 000 l en matériel, le montant atteint 2 000 euros/1 000 l. « Avec 2 euros/l d’amortissement, cela ne passe pas. Cette situation se rencontre dans les élevages où de gros investissements ont été réalisés pour produire du volume supplémentaire, note Benoît Rubin. Lorsque vous investissez 600 000 euros pour passer de 700 000 litres à 1 million de litres de lait, vous vous retrouvez dans une situation de gros décalage entre le capital investi et le volume supplémentaire de lait produit. »

3 400 euros de surcoût pour 183 heures de traite en moins

Le suréquipement est également pointé du doigt. Moins de deux chevaux par hectare est le repère proposé par l’étude. Laquelle rappelle qu’en période d’incertitude économique, il faut proscrire les stratégies fiscales s’appuyant sur un renouvellement trop rapide du matériel.

Le troisième niveau de réflexion porte sur le mode de financement du projet. .
Le tableau ci-contre résume le niveau maximum d’annuités en fonction de l’efficience (EBE) de l’exploitation.

Vient ensuite la question de la durée des emprunts. « Certains éleveurs se mettent dans le rouge à cause de financements trop courts. 2014 a été une bonne année et certains se sont ajoutés des annuités sur deux ou trois ans alors qu’ils avaient déjà des annuités conséquentes. Il faudrait anticiper sur des durées plus longues », souligne Michel Deraedt. « L’allongement des durées de remboursement peut être une solution à condition que cette durée ne dépasse pas la période de vie et d’amortissement du bien », confirme Benoît Rubin. Mais cette solution ne doit pas contribuer au renchérissement de la valeur des biens acquis.

(1) Réussir Lait, n° 317, octobre 2017, p. 18. www.lait.reussir.fr(2) Étude des systèmes de production d’avenir pour le lait de vache français - www.idele.fr

Un modèle plus rationnel aux Pays-Bas qu’au Danemark

Le Danemark est une caricature de ce qu’il ne faut pas faire », selon Benoît Rubin. « Il ne faut pas confondre productivité physique (lait/unité de main-d’œuvre) et productivité en valeur. Les éleveurs empruntent pour rembourser leurs emprunts. Mais, c’est le banquier qui gère les reprises d’exploitation. » Au Pays-Bas, le niveau de reprise se situe autour de 2 500 euros/1 000 l. « Ils raisonnent avec une logique patrimoniale. L’investissement porte essentiellement sur le foncier pas sur le matériel. C’est un investissement sur le long terme. »

Faire des prévisions de trésorerie mensuelles

Les recettes laitières ne sont plus linéaires, même si la production l’est. « Les différentes aides constituent une part non négligeable du revenu. Or elles arrivent quasiment toutes en fin d’année. À l’inverse, le niveau des charges est plus important durant le premier semestre. D’où l’intérêt d’anticiper ses ressources au mois par mois et de financer le trou quand il est prévu, explique Michel Deraedt. Un banquier se laisse beaucoup plus facilement convaincre quand l’éleveur arrive avec une prévision de trésorerie. À défaut d’une bonne gestion de la trésorerie, ce n’est pas que les finances qui vont mal : c’est aussi le moral et la motivation des éleveurs qui descendent très bas."

Prendre en compte la dimension humaine

Il faut parfois arbitrer entre le coût de l’automatisation et celui du travail. Investir 700 euros/VL de plus dans une TPA plutôt qu’une salle de traite en épi génère une annuité de 58 euros/VL/an, soit 5 800 euros pour un troupeau de 100 vaches. Un surcoût important pour gagner au final environ 183 heures/an sur le temps de traite. « Le coût d’un salarié correspondant à ce temps de travail est d’environ 2 400 euros, soit 3 400 euros de moins. »

Intégrer une ou deux années de crise dans son raisonnement

Les bonnes années, on ne se fixe pas forcément de limites et on prend parfois le risque de s’endetter trop lourdement. On peut vite investir 6 000 - 7 000 euros/VL et plus dans un bâtiment surdimensionné ou en rajoutant des équipements pas toujours indispensables. Cela peut ne plus passer des années comme 2015 et 2016 », souligne Michel Deraedt du BTPL. Ce dernier conseille par conséquent de raisonner et d’anticiper ses investissements en intégrant une ou deux années de crise. Attention également à la tentation de rembourser les petits investissements (racleurs…) sur deux à trois ans.

Abandonner ou reporter les aménagements de confort

En cas de gros investissements, « il ne faut pas hésiter à étaler les annuités sur 15 voire 20 ans, mais attention cela peut pousser à des dépenses supplémentaires". Les prêts à long terme sont d’autant plus envisageables actuellement que les taux d’intérêt sont historiquement bas. « Il faut calculer à l’avance ce que je suis capable de payer pour ne pas se mettre dans le rouge. Si 600 000 euros d’investissement ne passent pas, il faut refaire le projet pour rester dans les clous quitte à enlever ou reporter des aménagements de confort. » Attention également aux bâtiments surdimensionnés en prévision d’un agrandissement. « Certains remplissent vite la surcapacité, d’autres pas. »

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