La fauche précoce : rentable sous conditions
Récolter tôt permet d’améliorer la valeur alimentaire, mais cette conduite a un coût. Au final est-ce rentable ? Retour d’expériences de quatre années d’essais.
Récolter tôt permet d’améliorer la valeur alimentaire, mais cette conduite a un coût. Au final est-ce rentable ? Retour d’expériences de quatre années d’essais.
Faucher précocément (stade montaison de la graminée) permet de récolter une herbe de meilleure qualité mais avec des rendements massiques moindres sur la première et deuxième fauche, et fait réaliser une à deux coupes supplémentaires dans l’année. Ce travail supplémentaire doit amener une réelle plus-value. L’objectif des éleveurs pratiquant la fauche précoce est de réduire leurs achats de correcteur azoté et de concentré, ou d’augmenter leur production laitière. L’opération est-elle réellement intéressante économiquement ? Les essais de la ferme expérimentale de Trévarez conduits de 2014 à 2017 tentent de répondre à cette question.
"Le grand message est que cela vaut le coup de pratiquer la fauche précoce sur les premières coupes printanières, au moment de la pousse active de l’herbe. Puis, quand la pousse de l’herbe est faible, il vaut mieux adopter un mode de récolte plus classique pour les dernières coupes. Nos premières simulations économiques montrent que l’on peut attendre une meilleure marge sur coût alimentaire avec la fauche précoce malgré son surcoût, grâce à sa meilleure valeur alimentaire. Il faudra néanmoins veiller aux impacts d’une hausse de l’ingestion sur le système fourrager et l’assolement de l’exploitation", brosse Estelle Cloet, chargée d’étude élevage pour les chambres d’agriculture de Bretagne.
Le surcoût des premières coupes gommé par la valeur alimentaire
Tant que la pousse de l’herbe est dynamique, le rendement amortit le coût du matériel et cela vaut le coup d’être en conduite "précoce" (voir infographie). Les coûts sont dilués par les kilos de t MS. "Tout se joue avant début juillet, pour réaliser 70 % du rendement annuel d’herbe récoltée."
En rendement massique (t MS/ha), une première coupe en fauche classique équivaut aux deux premières coupes en fauche précoce. Le surcoût des 2 coupes "précoces" par rapport à la 1re coupe "témoin" est de +20 €/t t MS mais la qualité, notamment l’écart de 7 % de MAT en faveur des fauches précoces, gomme le surcoût lié aux deux fauches sur le début du printemps.
Quand la pousse est moins soutenue en été, il n’y a pas d’intérêt économique à aller chercher la qualité à tout prix, avec des rendements de 1 à 2 t MS/ha. Une "petite coupe" coûte deux fois plus cher à récolter par rapport aux coupes printanières. La meilleure qualité est loin de compenser un tel surcoût. De plus, vu leur faible rendement, la contribution de ces petites coupes à l’alimentation des troupeaux restera très limitée. Les intervalles entre deux coupes peuvent être plus longs pour diluer davantage le coût par le rendement en t MS. "Réaliser 4 coupes plutôt que 5 sur l’année semble être un bon compromis entre qualité et coût de récolte", conclut Estelle Cloet.
Une hausse de la production laitière deux années sur quatre
Le coût est une chose, mais quels sont les effets d’un ensilage "précoce" sur le produit lait ? Et quel est l’impact sur la marge sur coût alimentaire ?
La ferme expérimentale de Trévarez a mené un essai sur un troupeau conventionnel avec 60 % d’ensilage de maïs et 40 % d’ensilage d’herbe. La moitié du troupeau avait un ensilage d’herbe "classique" (ration "témoin" équilibrée à 95 g de PDIE/UFL) et l’autre moitié avait un ensilage d’herbe "précoce". "Le correcteur azoté n’a pas été réduit dans le lot "précoce" pour ne mesurer que l’effet de la qualité de l’ensilage d’herbe sur la production laitière. Dans la pratique, un éleveur peut chercher à réduire le correcteur azoté grâce à la meilleure valeur de l’ensilage d’herbe. Nous n’avons pas testé cette pratique. Il est difficile de connaître la vraie valeur d’un ensilage d’herbe et de bien le rééquilibrer", pointe Estelle Cloet. Aurait-on pu encore augmenter la proportion d’ensilage d’herbe précoce sans pénaliser l’ingestion, grâce à sa plus grande richesse ? "C’est une question à laquelle on ne sait pas encore répondre", admet Estelle Cloet.
L’ingestion de fourrage a augmenté et la production laitière a progressé de façon significative deux années sur quatre (voir tableau). Aucun effet sur le TB n’a été observé. Le TP s’est amélioré de 1,2 g/kg par rapport au témoin, mais que pour les multipares. Chez les primipares, il n’y a aucun effet sur les taux. Il n’y a pas d’impact sur le poids, la santé et la reproduction.
Avec 70 % d’ensilage d’herbe précoce, l’ingestion explose !
Un autre essai a été mené sur un troupeau bio avec 5 kg MS d’ensilage de maïs, de l’ensilage d’herbe à volonté, sans correcteur azoté et avec concentré (1,8 kg MS de maïs grain humide à l’auge et 0,9 kg MS d’orge au robot), pendant huit semaines, deux hivers de suite. "Cela fait partie du système de valoriser un maximum l’herbe et d’avoir une ration 100 % produite sur l’exploitation. Le choix de dépasser 40 % de la ration en ensilage d’herbe (ce qui pénalise l’ingestion), de ne pas apporter de correcteur azoté et d’avoir des rations déficitaires en azote est assumé." La moitié du troupeau avait un ensilage d’herbe "témoin" et l’autre moitié avait un ensilage "précoce".
Le lot témoin a ingéré 6,4 kg MS d’ensilage d’herbe, et le lot "précoce" 10,9 kg MS d’ensilage d’herbe, soit 70 % de la ration. "La forte hausse de l’ingestion des fourrages du lot "précoce" peut s’expliquer par sa valeur azotée supérieure qui permet de réduire le déséquilibre énergie/azote de la ration." La production laitière augmente de façon importante. Il n’y a pas d’effet sur les taux. "Il aurait été intéressant de suivre à plus long terme l’impact sur l’état des vaches du lot "précoce", car le troupeau bio témoin ingère vraiment peu (11,4 kg MS)", indique Estelle Cloet.
Une marge sur coût alimentaire positive, mais…
La simulation économique a consisté à calculer une marge sur coût alimentaire pour un troupeau de 50 vaches sur un mois d’hiver. Celle-ci prend en compte la production laitière et les taux, ainsi que le coût de la ration, qui inclut le coût de récolte des fourrages.
Pour l’essai 60 % d’ensilage de maïs et 40 % d’ensilage d’herbe, l’impact économique est positif en moyenne sur quatre ans pour le lot "précoce". "Le surcoût est largement compensé par l’effet positif sur le lait, deux années sur quatre. Il faudra néanmoins accepter d’avoir une marge légèrement négative deux années sur quatre."
Pour l’essai 70 % d’ensilage d’herbe, l’impact économique est très positif grâce à la forte hausse de la production laitière. "Mais attention au stock fourrager avec une ingestion qui explose. Cette stratégie impose de revoir le système fourrager et l’assolement si l’on veut rester 100 % autonomes. Par ailleurs, à plus long terme cette meilleure ingestion aura peut-être un effet favorable sur l’état des vaches et la reproduction. Donc il n’est pas possible de tirer une conclusion économique sans plus de suivi dans le temps", met en garde Estelle Cloet.
Un temps de travail supérieur
Les chantiers de récolte étaient organisés de la même manière, avec fauche, fanage, andainage et autochargeuse, les trois dernières années. L’impact de la "précocité" sur le coût de récolte est donc fonction du temps de travail. Avec deux coupes de plus par rapport au "témoin", le temps de travail annuel est supérieur en conduite "précoce" : 1h30 de plus que le "témoin" (8h48) les bonnes années fourragères (2014 et 2017). Et 3h de plus que le "témoin" (6h24) les mauvaises années fourragères (2015 et 2016). Un résultat à nuancer par rapport au rendement obtenu.
Des rendements en valeur supérieurs
De 2014 à 2017, la synthèse des essais des stations expérimentales de Mauron (Morbihan) et de Trévarez (Finistère) confirme que la fauche précoce (stade montaison épi 15 cm) des prairies améliore la teneur en MAT par rapport à une fauche classique (stade début épiaison). La valeur énergétique est également meilleure en fauche précoce.