« Il nous faut des vaches pour les cultures »
Dans le Gers, les associés du Gaec du village sont convaincus des bienfaits de la polyculture-élevage, tout particulièrement en agriculture biologique. Pour eux, l’agronomie est une raison suffisante pour conserver des vaches laitières.
Dans le Gers, les associés du Gaec du village sont convaincus des bienfaits de la polyculture-élevage, tout particulièrement en agriculture biologique. Pour eux, l’agronomie est une raison suffisante pour conserver des vaches laitières.
Derniers résistants dans un désert laitier, ils l’étaient déjà quand nous les avions rencontrés en 2011. Ils le sont plus que jamais. Angeline, Thierry et Emmanuel Ciapa (Gaec du village) sont toujours producteurs de lait à Castelnau d’Arbieu, dans le Gers, un département où - nous le disions déjà - toutes les productions agricoles sont possibles et l’élevage d’herbivores rarement incontournable. Le Gers ne compte plus que 80 producteurs de lait pour 25 millions de litres. Les trois associés ne cachent pas que l’idée de supprimer les vaches les a effleurés pendant la crise laitière. Mais pas au-delà. La raison principale qui les fait tenir - l’agronomie - est plus que jamais d’actualité.
Entretemps, en effet, ils ont converti les terres en bio. « Passer les cultures en bio en ayant des vaches nous permet d’avoir un assolement et une rotation bien différents de ceux d’un céréalier. Il nous paraît inconcevable d’être en bio sans avoir un minimum d’UGB. Derrière une luzerne, on cultive un blé qui a un potentiel bien meilleur qu’après un soja. Et, en plus, on a du fumier », apprécient Angeline et Thierry Ciapa. Et de citer le cas d’une exploitation céréalière en « bio intensif » depuis de nombreuses années affectée par les mêmes maux que des céréaliers conventionnels : ravinement des terres, vie du sol dégradée… « Le sol doit vivre. Pour cela, il faut incorporer une luzerne dans la rotation », insistent-ils. Le Gaec exploite 210 hectares, dont 52 hectares depuis cette année seulement, qui sont en conversion, et produit 530 000 litres de lait avec un cheptel de 80 vaches prim’holstein.
Le choix de passer les cultures en bio est d’abord économique : « les prix du conventionnel stagnaient alors qu’en bio, ils explosaient ». À l’aise avec les calculs de marges, les associés n’ont pas hésité à faire cette conversion pour les cultures, malgré une forte baisse des rendements. « De 2015, année de la conversion, à 2016, nous avons baissé les intrants de 40 000 euros. L’an dernier, nous avons vendu le blé 447 euros par tonne. » Mais ils ont temporisé pour le troupeau. La conversion démarrera à l’automne prochain. « Nous étions réticents par rapport à la difficulté de maîtriser le coût alimentaire. Nous avons vu des éleveurs perdre pied parce qu’ils passaient en bio en conservant le même volume de lait. Quand on passe en bio, il faut adapter son troupeau à sa production fourragère. » La conversion se traduira donc par une réduction drastique du cheptel (de 80 à 60 vaches) et de la production.
Si le maintien de la production laitière est indispensable pour continuer à dégager trois revenus, malgré la bonne rentabilité des cultures, cela se fait au prix d’une rémunération horaire trop faible, estiment les associés. « Pour produire 530 000 litres de lait, nous y passons à minima 4 500 heures. Cela représente une rémunération (avant MSA) de 7,50 euros par heure alors qu’il faut trois heures pour produire un hectare de blé qui dégage une marge brute de 1 300 euros. Les vaches, c’est un atelier comme les autres. Nous ne sommes pas spécialisés. Il nous en faut pour les cultures, mais elles doivent être rentables et ne pas nous prendre trop de temps. » La conversion devrait permettre d’améliorer la rémunération du travail.
Les associés estiment aussi que le « bio se standardise. Il n’est pas sûr que les prix actuels durent. On commence à voir de la surproduction (pois chiche, lentilles). À l’avenir, il faudra sans doute proposer quelque chose de mieux que le bio standard. Pour le valoriser, avoir un cheptel et être autonome sera sans doute un atout supplémentaire ».
Lors de la conversion des cultures en agriculture biologique, l’assolement a été fortement modifié pour privilégier des cultures plus rémunératrices : blé tendre, lentille, pois chiche, haricot rouge, pois cassé, soja et ail. La luzerne semence a été abandonnée. Tout comme le tournesol, mais pour une raison différente. Le Gaec a privilégié des cultures récoltées suffisamment tôt pour éviter que les adventices aient le temps de grainer. Les terres peuvent ainsi être reprises dans l’été. En culture bio, le salissement est un des points les plus difficiles à maîtriser. Un mois après la moisson, la paille est broyée et la parcelle déchaumée puis labourée à l’automne. Elle est retravaillée en hiver avec divers outils (houe rotative, herse rotative, combiné de préparation…). « Il ne faut pas chambouler la structure du sol mais il faut que la terre soit propre, explique Thierry Ciapa. C’est assez délicat. L’avantage d’avoir des vaches est aussi que, lorsqu’une parcelle est trop sale, on peut la récolter en fourrage. »
Quant au système fourrager, il a été simplifié au plus extrême : plus de prairies temporaires ni de ray-grass italien mais une trentaine d’hectares de luzerne et 6,5 hectares de prairies permanentes. Le développement de la luzerne permet d’optimiser les primes aux légumineuses. Elle reste en place trois ans, puis est suivi d’un blé ou d’un soja si la parcelle est trop sale. Le soja étant implanté au printemps et biné, il est plus facile d’éliminer les adventices. Vingt-trois hectares de luzerne vont être semés cette année sur les terres nouvellement acquises. Quand la luzerne est en place, elle est ensemencée à l’automne en semis direct avec du blé pour que le champ reste propre. La première coupe est ensilée.
Avant la conversion des cultures en 2015, le Gaec cultivait 25 hectares de maïs ensilage. À partir du moment où les terres étaient en bio, pas question d’y faire pousser du maïs destiné à un cheptel en conventionnel, qui plus est en sec. « On préfère vendre des céréales et des légumes bio plus rentables et acheter des aliments pour les vaches », affirment les associés. Le maïs est donc produit par un voisin qui est en capacité de l’irriguer. « Nous achetons 21 hectares sur pied au tarif de 1 600 euros par hectare pour un rendement de 110 quintaux par hectare. Nous nous basons sur le prix de la coopérative ou du négoce pour une vente en grain. Le producteur économise les frais de transport et de séchage », précisent-ils. Ils s’entendent avec lui pour le choix des variétés. « Il implante 4 à 5 hectares d’une variété de type grain qu’il sème habituellement, pour déterminer le rendement et faire le prix, et tout le reste avec des variétés ensilage que nous choisissons. »
Les vaches en production sont alimentées toute l’année en stabulation mais, d’avril à octobre, elles peuvent sortir sur un parcours de 2,5 hectares. Les génisses et vaches taries pâturent sur les prairies permanentes. Habituellement, la ration comprend, en brut, 50 % d’ensilage de maïs, 50 % d’ensilage d’herbe. Des fourrages distribués au godet désileur. Ils sont complétés par des sous-produits, faciles à trouver dans une région aux cultures si diversifiées. Ainsi, fin mars, voyant que le silo de maïs avançait trop vite, le Gaec a acheté des pelures de pommes de terre (0,38 €/kg) afin de pouvoir tenir jusqu’à la prochaine récolte. Il achète aussi des déchets de pois chiche à un prix très intéressant. En valeur, un kilo de ce produit est équivalent à 0,75 kg de céréale et 0,25 kg de tourteau de soja. Ce printemps, la ration à l’auge comprend 7,4 kg MS/VL/jour d’ensilage de luzerne, 6,6 kg d’ensilage de maïs, 1,5 kg de foin de luzerne, 4,1 kg de pomme de terre et 2,1 kg de tourteau de soja. Une ration censée couvrir 28 kilos de lait. Les vaches sont complémentées au DAC avec du tourteau de soja (1,5 kg/VL en moyenne) et des déchets de pois chiche (3 kg/VL). « On ne cherche pas à pousser les vaches au maximum mais à avoir des animaux en bonne santé », indique Thierry Ciapa.
La conversion du troupeau en bio va changer complètement la conduite et l’alimentation. La moyenne économique se situait jusqu’à présent entre 6 500 et 7 000 litres. Elle devrait tomber aux alentours de 5 000 litres. La surface en luzerne restera identique et de l’orge sera réintroduit dans l’assolement pour le troupeau. Le maïs sera certainement supprimé de la ration. Les rendements en bio sont trop faibles et l’acheter serait trop coûteux. L’alimentation reposera sur l’ensilage et le foin de luzerne, la céréale et les coproduits. Les déchets de pois chiche par exemple sont issus de la filière bio.
La reproduction est réalisée depuis toujours en monte naturelle. Les saillies sont assurées par quatre taureaux (2 prim’holstein, limousin, blanc bleu belge), dont 60 % en race pure avec des reproducteurs choisis chez « un éleveur féru de génétique ». « Quand on arrive à faire 7 000 litres sans grands frais, que voulez-vous de plus ? », interroge Thierry. Avec la conversion, les associés prévoient de passer le troupeau en Montbéliarde ou Simmental par absorption pour améliorer les taux - en prévision d’une chute suite au changement de régime alimentaire -, la rusticité et la valorisation des réformes. Dans la région, les Montbéliardes sont souvent achetées par des élevages de veau sous la mère pour compléter la production laitière des allaitantes. Le Gaec fait aussi un peu de vente directe de viande : il valorise des veaux croisés et des vaches de réforme transformées en steak haché. Une activité qu’il envisage de développer.
Réduire le cheptel permettra aussi de soulager la stabulation principale, qui était à saturation. « L’erreur est de vouloir toujours produire plus, confie Thierry. On nous pousse à le faire. Nous avons saturé nos bâtiments, mais des problèmes divers et variés sont apparus (Mortellaro, diarrhées, mammites, qualité du lait). En baissant le cheptel, les vaches seront vraiment mieux. » « En redescendant à 60 vaches, une personne seule pourra traire », ajoute Angeline. Un meilleur équilibre de travail qui permettra de conserver le plaisir de produire du lait, sans lequel les vaches ne seraient sans doute plus là malgré leur utilité agronomique.
« L’erreur est de vouloir toujours produire plus »
Chiffres clés
En 2019
« Le troupeau, un maillon essentiel de l’équilibre du système »
« Dans cette zone céréalière, où l’élevage se fait rare, la famille Ciapa a fait le choix, lors de la conversion des cultures en bio, de maintenir le troupeau afin de profiter pleinement des interactions entre élevage et cultures, notamment la diversification de l’assolement avec l’intégration de légumineuses et de protéagineux, l’allongement des rotations culturales et la valorisation du fumier par les cultures de vente. C’est dans ce contexte que ce système de polyculture-élevage trouve tout son sens. Sans être à côté de la plaque en termes de marge (212 €/1 000 l), la réussite technico-économique du troupeau n’est pas une fin en soi : il est davantage un maillon essentiel de l’équilibre technico-économique du système. Dans cette année favorable aux cultures de vente, l’efficacité économique supérieure à 50 % confirme la pertinence des choix des exploitants. Ils font preuve d’une très forte capacité d’anticipation et d’adaptabilité à la conjoncture, qu’elle soit au quotidien ou sur la stratégie globale de l’exploitation. Ils ont toujours un temps d’avance. Ainsi, dans leur système, le choix d’acheter le maïs ensilage reste pertinent dans un contexte où le cours du maïs grain (autour de 150 €/t) n’est pas très élevé. »