[Génétique] « Nous avons "normandisé" une partie de notre troupeau »
Au Gaec le Hamel, dans l’Orne. Connu dans le monde de la sélection Holstein, le Gaec a commencé à acheter des Normandes en 1998 pour répondre au cahier des charges de l’AOP camembert de Normandie.
Au Gaec le Hamel, dans l’Orne. Connu dans le monde de la sélection Holstein, le Gaec a commencé à acheter des Normandes en 1998 pour répondre au cahier des charges de l’AOP camembert de Normandie.
De très belles mamelles, de bonnes pattes, du potentiel laitier… Au Gaec Hamel, à la Ferté-en-Ouche, les Prim’Holstein sont le fruit d’un long travail de sélection. Patrick et Sylvie Brizard et leur fils Alexis aiment la race Holstein, et visiblement elle leur rend très bien. Aucune raison donc pour changer de race. Sauf que, pour répondre au cahier des charges de l’AOP camembert de Normandie, il a fallu « normandiser » une partie du troupeau.
« Après des années de sélection en Holstein, il faut avoir beaucoup de volonté pour opérer ce virage. Mais dans le contexte actuel, l’AOP est une véritable opportunité économique. Elle nous aide à dégager quatre salaires sur 133 hectares avec quasiment que du lait », résume Patrick Brizard.
Le Gaec a un contrat d’un million de litres de lait avec Lactalis. Il est réalisé par 120 vaches dont au moins 55 % de Normandes. « Nous avons touché 70 euros pour 1 000 litres de bonus par les taux grâce à la Normande », apprécient les éleveurs. Toutes primes confondues, ils ont été payés 452 euros pour 1 000 litres de lait lors de la campagne 2019-2020.
Les premiers veaux normands sont arrivés en 1998. Pour franchir la barre des 50 % de Normandes dans le troupeau, exigée par le cahier des charges, le Gaec a dû acheter au total 140 femelles dans cinq élevages.
Côté trésorerie, la vente de bonnes vaches en lait prim’holstein a permis d’éviter le recours à du financement pour acheter les Normandes. Certaines années ont même été favorables aux achats. « En 2008, rien ne se vendait. Nous avons acheté 28 génisses pour 17 500 euros (650 euros de moyenne). Dans le même temps, on a vendu des Prim’Holstein entre 1 500 et 2 000 euros », se remémore Patrick Brizard.
De la plus-value grâce aux taux et à l’AOP
Aucun souci à déplorer jusqu’ici sur le plan sanitaire. Au-delà des contrôles sanitaires obligatoires lors de l’introduction d’animaux (recherche d’IBR, BVD…), la mise en quarantaine pendant trois mois des veaux et les achats dans des élevages connus ont contribué à la maîtrise de la situation. Par ailleurs, le groupement des vêlages sur deux périodes – une soixantaine en mai-juin et environ 80 de septembre à novembre –, permet de désinfecter la nurserie entre deux lots.
« Désormais nous achetons des veaux issus d’un seul élevage. Pour éviter de faire de nombreux allers-retours, nous les achetons par lots. » Âgés de 2 à 5 mois, ils sont payés entre 200 et 250 euros, dont 150 euros de forfait et le reste pour les frais d’élevage. « Comme nous les achetons après les vêlages de printemps, ils se retrouvent seuls dans le bâtiment. Cela diminue les risques sanitaires. »
Globalement, les Normandes produisent moins de lait. « Elles ont une moins bonne persistance de lactation. Mais nous en avons de très bonnes en production. » Grâce aux taux et au lait valorisé en AOP, sur le plan économique, la « normandisation » partielle du troupeau est rentable, estiment les éleveurs.
Des problèmes récurrents de pattes et mamelles
Reste que Patrick, Sylvie et Alexis Brizard ont du mal à cacher leur déception. Dans leur élevage, l’intégration des Normandes s’est soldée jusqu’ici par des déconvenues. Beaucoup d’animaux achetés n’ont pas passé le cap de la première lactation. D’où un nombre élevé d’achats. « Les Normands ne vendent jamais leurs bonnes vaches », lance Alexis Brizard sous le regard approbateur de ses parents. Vrai ou un peu excessif ? Une chose est sûre, dans cet élevage les Normandes ont des problèmes récurrents aux pattes et des mamelles moins belles que celles des Prim’Holstein. « Nous rencontrons des difficultés à en trouver qui conviennent à nos critères notamment au niveau des pattes et mamelles. Nous avons beaucoup de mal à les faire vieillir. »
La faute à la génétique ? Les associés ont gardé les mêmes critères de sélection pour les deux races. Ils mettent la priorité sur la qualité des pattes et des mamelles, les taux, la vitesse de traite et le tempérament. « Si on veut travailler ces cinq critères, des taureaux normands à plus de 500 kg en lait, on en trouve très peu. Mais nous sommes peut-être trop exigeants. »
Mêmes critères de sélection pour les deux races
Le contraste avec le niveau génétique des Holstein contribue à leur déception. « Le troupeau Holstein est génétiquement dans le haut du panier dans le département de l’Orne. Leurs Normandes sont en revanches en dessous de la moyenne. Et comme les éleveurs gardent un maximum de Normandes pour rester au-dessus des 50 % de l’effectif, il y a peu de pression de sélection », explique Yann Martinot, directeur technique d’Elvup. Autrement dit, il va falloir s’armer de patience pour ramener les Normandes à un niveau comparable à celui des Holstein en morphologie fonctionnelle.
Par souci de simplification, les éleveurs n’ont pas scindé le troupeau en fonction de la race. Selon Yann Martinot, cette stratégie est quasiment sans incidence durant la phase d’élevage des génisses. Le risque d’engraissement excessif chez les vaches en lactation est en revanche plus marqué.
Une durée de tarissement plus longue
Le troupeau est scindé en deux lots en fonction du niveau de production. Le lot haut rassemble des vaches dans les trois premiers mois de lactation. « Certaines Normandes font quasiment toute leur lactation dans le lot haut, mais elles sont rares », précise Alexis Brizard.
Ce mode de conduite permet de gérer en partie seulement l’état corporel des animaux. « Nos Normandes sont parfois trop grasses. Cela pose des problèmes de repro. Ce n’est pas un problème lié à la race mais à la conduite de troupeau », admettent les éleveurs.
« Pour rectifier le tir, nous allons essayer d’inséminer les Normandes et les Prim’Holstein dès 50 jours après le vêlage contre 90 jours actuellement pour les Prim’Holstein et 60 à 70 jours pour les Normandes. »
La gestion du tarissement limite également les risques. Le troupeau étant en ration complète, les Normandes sont taries pendant huit semaines plutôt que six et mises à la « diète » pour éviter qu’elles s’engraissent trop (premier mois dehors avec peu d’herbe). « Nous n’intervenons quasiment jamais pour un vêlage ou pour soigner une fièvre de lait ou une non-délivrance. Nos frais vétérinaires sont limités à 5 euros pour 1 000 litres », apprécie Alexis Brizard.
« Ce n’est pas la race qui détermine le lot mais le niveau de production des vaches »
Des vêlages à 26-27 mois pour les Normandes
L’objectif d’âge au premier vêlage est de 22 mois pour les Prim’Holstein et 26-27 mois pour les Normandes. Certaines Normandes vêlent à 24 mois. « Comme les vêlages sont regroupés sur deux périodes, quand une génisse ou une vache normande se décale, elle a tendance à prendre de l’état et cela pose des problèmes de reproduction », précise Alexis Brizard. Il faut en moyenne 1,8 paillette pour obtenir une gestation chez les vaches comme les génisses. Les résultats sont actuellement un peu meilleurs en Prim’Holstein.
Éviter l’excès d’engraissement
La conduite sans distinguo de race dans un troupeau à haut niveau de production avec ration complète peut conduire à un excès d’engraissement chez les Normandes.
« Dans les tables d’alimentation de l’Inra, les objectifs de croissance et les recommandations en UFL et PDI sont les mêmes pour les génisses des deux races. Quand la ration est un peu riche en énergie (0,96 UFL/kg MS), les Normandes ont tendance à s’engraisser un peu, mais sans que cela pose de problèmes si le troupeau est bien suivi et que la ration vaches taries est bien maîtrisée, comme c’est le cas actuellement», explique Yann Martinot, directeur technique d’Elvup.
Au Gaec, les génisses sont en ration sèche jusqu’à six mois : paille à volonté, concentré à base de maïs grain (2/3) et de tourteau de colza (1/3). « La part de concentré est un peu trop élevée pour les Normandes. Mais globalement, cette phase ne pose pas de problème », constate Yann Martinot.
En revanche, c’est un peu plus compliqué pour les vaches en lactation. Les tables de l’Inra basent leurs recommandations en fonction du format de l’animal et de son niveau de production. « Le troupeau du Gaec est scindé en deux lots selon le niveau de production. C’est un bon levier pour limiter l’excès d’engraissement », précise Yann Martinot. Les hautes productrices (90 premiers jours de lactation ou plus de 25 kg de lait) ont une ration riche en énergie et azote. Les vaches du lot bas ont une ration moins riche en énergie.
Ainsi, l’hiver dernier, la ration du lot haut se composait de 31 kg d’ensilage de maïs, 13 kg d’ensilage d’herbe, 1,2 kg d’enrubannage de luzerne, 4,5 kg de maïs épi, 2,4 kg de tourteau de colza, 2,9 kg de concentré azoté (40 % de MAT) non OGM, 200 g de minéral et 50 g de sel. Cette ration est équilibrée à 30 kg de lait.
Pour le lot bas, la quantité d’ensilage de maïs a été quasiment divisée par deux (17 kg brut) au profit de l’ensilage d’herbe (30 kg). Les quantités de maïs épi (3,5 kg) et de tourteau de colza (3,8 kg) sont restés quasiment identiques. Les vaches n’avaient plus de concentré azoté. Cette ration permettait de produire 20 à 25 kg de lait.