« Des vaches dociles, ça change la vie »
Installée en Haute-Loire, Audrey Thonnat a instauré une relation homme-animal qui lui facilite le travail au quotidien. C’est en se formant au comportement animal et à l’éducation positive qu’elle rend ses bovins coopérants.
Installée en Haute-Loire, Audrey Thonnat a instauré une relation homme-animal qui lui facilite le travail au quotidien. C’est en se formant au comportement animal et à l’éducation positive qu’elle rend ses bovins coopérants.
Sac banane autour de la taille et brosse à la main, Audrey Thonnat pénètre tranquillement dans le pré où pâture une vingtaine de vaches abondance, montbéliardes, tarentaises et croisées. Elle s’approche, en caresse une, en brosse une autre, et bientôt, c’est tout le troupeau qui se trouve rassemblé paisiblement auprès d’elle, en quête de contact.
Installée depuis 2017 sur la ferme familiale, Audrey sait y faire avec les animaux. Ces derniers le lui rendent bien. « Elle fait ce qu’elle veut des vaches », lâche son père dans un sourire. « Comprendre les bovins et s’adapter à leur fonctionnement simplifie mon travail au quotidien et permet d’améliorer la sécurité », apprécie la jeune éleveuse, qui s’est formée à l’éthologie (étude du comportement animal) et à l’éducation positive avec Pauline Garcia, comportementaliste animalier. « Au départ, cela demande un investissement en temps pour s’approprier la démarche et la mettre en œuvre concrètement dans le troupeau, concède-t-elle. Mais c’est un tel gain par la suite ! Surtout c’est tellement agréable de travailler avec des animaux coopératifs ! »
Établir une relation homme-animal positive
Pour Audrey, l’instauration d’une relation homme-animal saine est la clé. Les bovins sont des animaux peureux, naturellement poussés par l’instinct de fuite, comme tout herbivore qui se respecte. D’où la nécessité pour l’éleveur de gagner leur confiance pour faciliter les manipulations. « L’objectif est d’associer la présence humaine à autre chose qu’une agression. Le bovin doit nous percevoir comme un élément positif de son environnement, avec lequel il est possible d’interagir et coopérer », expose-t-elle.
Une fois la confiance instaurée, les bénéfices ne se comptent plus. Pour s’en convaincre, il suffit de la regarder mettre un licol à une génisse au pré sans moyen de contention, en moins d’une minute. Sur son élevage, charger une bête dans la bétaillère n’est plus une corvée, déplacer un lot ne nécessite plus de courir dans tous les sens, faire monter une génisse sur le quai pour la première fois et la traire sans recevoir un seul coup de pied devient un jeu d’enfant.
Pour en arriver là, la jeune éleveuse a œuvré en amont. « La relation entre l’homme et l’animal se crée dès le plus jeune âge, décrit-elle. Je commence l’apprentissage après la séparation du veau de sa mère. »
L’enrichissement sensoriel du milieu éveille leur curiosité
Le travail démarre par une phase d’enrichissement du milieu. Les bovins sont des animaux routiniers. Tout changement soudain ou toute situation inhabituelle les perturbent. « En habituant progressivement et régulièrement les veaux à l’introduction d’objets nouveaux dans leurs cases, l’idée est de susciter leur curiosité et de leur apprendre à gérer leurs émotions face à l’inconnu en dépassant leurs craintes. » Les objets sont posés au sol quelques minutes par jour au départ. Plots de chantier, ballons, bouées ou jouets colorés dédiés aux chiens peuvent faire l’affaire, à condition qu’ils soient suffisamment solides. « Petit à petit, les veaux s’approchent, lèchent et appréhendent les différents objets en les flairant, les léchant, les secouant. Non seulement, ils gagnent en confiance en s’initiant à ces découvertes, mais c’est aussi une façon pour eux de s’ouvrir aux interactions sociales. »
Audrey n’hésite pas non plus à faire de la « récup », à détourner des objets ou encore à créer elle-même différents « jeux » insolites tels que des pyramides confectionnées avec des tronçons de tuyaux d’arrosage, des guirlandes de bouteilles plastiques, des cordes tressées... Suspendus tels des mobiles, ces objets de couleur, de forme et de texture différentes, stimulent les veaux. Elle les change tous les trois ou quatre jours pour éviter qu’ils ne s’en lassent.
Répondre au besoin naturel de grattage
Autre élément primordial : répondre au besoin naturel de grattage des bovins. « Le grattage est fondamental et les brosses à disposition des vaches dans les stabulations ne sont pas du luxe », considère l’éleveuse qui fixe des brosses à balai à poils durs aux barrières des cases à veaux. Au bout de quelques semaines, c’est l’éleveuse elle-même qui vient gratter les génisses, d’abord avec une brosse à poils durs, puis avec une brosse classique ou des gants à picots rugueux. « Les grattages sur les zones préférées des bovins permettent de créer un lien privilégié et de nous associer à des moments de bien-être et d’apaisement. » Un animal est considéré comme docile quand il accepte de se faire toucher sur toutes les zones du corps, et ultime étape, de venir manger dans la main.
La relation s’étoffe et s’entretient ensuite quotidiennement par des échanges positifs qui contrebalancent les interventions humaines inévitables telles que les prises de sang, les traitements, la désinfection de blessure, le soin des pattes, etc. « Chaque fois que je dois manipuler un bovin ou lui administrer un soin, j’utilise le grattage et la distribution d’une poignée d’aliment pour l’apaiser et récompenser sa docilité. »
« Ce qui compte, c’est d’y aller étape par étape, préconise Audrey. L’apprivoisement peut prendre plus ou moins de temps, certaines vaches se montrant plus émotives et méfiantes que d’autres. Mais au cours de cet apprentissage qui s’étale sur plusieurs mois, je les vois évoluer. C’est à nous de nous adapter, tel un professeur face à ses élèves ! »
Audrey Thonnat, éleveuse « J’ai un plaisir fou à travailler avec mes vaches »
L’éleveur doit toujours garder le contrôle
« Il faut se méfier des génisses qui deviennent trop « pots de colle » car elles peuvent devenir dangereuses une fois qu’elles acquièrent la force et le gabarit d’une vache adulte », prévient Pauline Garcia, comportementaliste animalier. Pas question d’instaurer une relation fusionnelle avec ses animaux. Très tôt, l’éleveur doit poser le cadre et inculquer ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Les coups de tête, par exemple, sont proscrits. Pas question non plus d’être chahuté par une génisse qui vient quémander un grattage. L’éleveur doit toujours se faire respecter et fixer les limites.
« Si on entre dans une case et que le veau veut « boxer », il faut éviter de le repousser par réflexe. Car ce qu’il cherche, c’est justement le contact, souligne Audrey Thonnat. Dans ce cas, je tape des mains ou des pieds pour lui apprendre à reculer. Puis je clos la séance en quittant le parc. »
S’initier au monde sensoriel des bovins
L'éthologie appliquée et l'éducation positive en images