Data : les éleveurs laitiers et leurs OP veulent garder la maîtrise de leurs données
Factures de lait, négociations des contrats, prise en compte des services rendus par l’élevage… La maîtrise des data est un enjeu fort pour les éleveurs et leurs OP qui leur permettra de peser encore un peu plus face aux laiteries.
Factures de lait, négociations des contrats, prise en compte des services rendus par l’élevage… La maîtrise des data est un enjeu fort pour les éleveurs et leurs OP qui leur permettra de peser encore un peu plus face aux laiteries.
L’enjeu autour des data est de taille ! De nombreuses données sont générées sur une exploitation laitière : par les compteurs, les robots, les capteurs, les images satellite. D’autres sont produites au cours des analyses du lait, des contrôles de performance et des audits Cap’2ER, charte des bonnes pratiques d’élevage (CBPE) et des cahiers des charges.
Cette foule de données est de plus en plus recherchée, comme un minerai, pour développer des applications, des services de conseil, mais aussi faire du marketing, créer des filières différenciées, démontrer les engagements RSE(1) des laiteries et même pour le Cniel.
Pour un consentement éclairé
« Il faut réussir à faire circuler les données et les partager, de façon sécurisée, expose Fanny Tenenhaus, directrice data et statistique à l’interprofession. Il y a des craintes, surtout au niveau des agriculteurs. Peur d’être sous surveillance, de perdre une souveraineté sur ses données. Le travail en cours au Cniel est de structurer les échanges de données entre acteurs de la filière laitière. Un point d’attention est notamment la répartition de la valeur de la donnée. »
Ce travail s’inscrit dans l’évolution de la réglementation européenne, qui introduit la contractualisation des datas échangées avec un recueil du consentement éclairé du fournisseur de données.
Partager la valeur des données
« Aujourd’hui, il n’y a parfois qu’une simple case à cocher pour le consentement et pas ou peu d’informations », pointe Fabrice Guérin, président de Poplait, association de 10 OP représentant 5 000 exploitations agricoles, et qui avait fait des datas le thème de son assemblée générale ce printemps.
« Cela revient à un transfert sans le consentement éclairé des éleveurs, sans transparence sur l’usage des données. Et le bénéfice pour l’éleveur n’est pas clairement identifié ; il n’y a pas de partage de la valeur des données. » Un sentiment exprimé par un éleveur lors de l’assemblée générale : « Avec nos données, ils vont nous proposer des services payants. »
Un autre éleveur fait remarquer que l’audit Cap’2ER « est utile à la laiterie ». Fabrice Guérin abonde : « Ces programmes de réduction d’empreinte carbone en élevage servent aux industriels et aux distributeurs, pour honorer leurs engagements RSE. Ils le valorisent auprès de leurs clients. Le risque est que les éleveurs n’en tirent pas de rémunération pour service environnemental et qu’ils soient donc les dindons de la farce. »
Aux OP de collecter les données Cap’2ER et Boviwell
Selon lui, une des façons pour les éleveurs de capter une partie de la valeur des données est que celles-ci soient collectées par les OP. « C’est pour cela que quasiment toutes les OP de Poplait se sont organisées autour du stockage et de la sécurisation des données. Elles sont agréées et détentrices de la licence Cap’2ER. Les chargés de mission ont été formés, pour collecter les données issues des audits Cap’2ER et/ou Boviwell, CBPE ou autres données, et pour réaliser leur traitement statistique. »
Ceci permettra aux OP de négocier plus que sur les volumes et le prix du lait. « Demain, elles négocieront des packs avec du service. Par exemple, pour répondre à un engagement de décarbonation de la laiterie. »
L’organisation de producteurs APBO délègue les Cap’2ER à des tiers (chambre d’agriculture, contrôle de performance et techniciens de la laiterie Bel) mais collecte les données issues des audits, car tous ses adhérents signent le consentement à transférer leurs données à l’APBO.
« Nous avons donc toutes les données, quand la laiterie n’a que celles des audits qu’elle réalise en direct, précise Frédéric Dorilleau, président de l’APBO. Bel nous demande des données agglomérées pour prouver ses engagements de décarbonation. Cette configuration a deux avantages. La laiterie ne dispose pas des données individuelles des éleveurs. Et cela nous confère une crédibilité accrue : nous sommes un interlocuteur incontournable. Donc même si les données ne sont pas monétarisées, elles ont une valeur qui nous donne un poids dans le rapport de force avec la laiterie. »
Gilles Durlin, président d’AOPen Dairy
« Faites attention au consentement ! »
« Les audits Cap’2ER sont organisés par les trois OP membres d’AOPen Dairy, une association d’OP porteuse de projets pour vendre les crédits carbone des éleveurs. Mais c’est Idele qui est maître d’œuvre des audits : il collecte et valorise les données. Lors des audits, les éleveurs signent les annexes, bien détaillées sur les usages des données. Ils ont le choix pour leur consentement de transférer les données, en plus d'Idele, à l’OP et/ou à la laiterie. Notre fonctionnement permet à l’éleveur de refuser le transfert de ses données individuelles à la laiterie.
Si les OP veulent récolter les données des audits réalisés en élevage, elles doivent vérifier l’écriture de leurs mandats. Logiquement, si un éleveur donne mandat à son OP pour négocier avec la laiterie, il consent tacitement au transfert de ses données vers l’OP. Car pour négocier, il faut un maximum de données.
Au delà des audits Cap’2ER, il faut que les OP informent les éleveurs sur l’importance du consentement. Il faut bien lire les clauses : à qui iront telles ou telles données ? Est-ce que j’accepte que certaines données soient transférées à d’autres partenaires ? Pour faire quoi ? »
La contractualisation des données arrive
Avec le Data governance act, réglement européen entré en vigueur en septembre 2023, il est nécessaire de contractualiser la circulation et l’usage des données entre leur propriétaire et leur utilisateur. « Le recueil du consentement éclairé du fournisseur de données, pour un accès et un usage précis, est la règle fondamentale », insiste Fanny Tenenhaus, directrice data et statistique au Cniel.
Dans ce cadre, le Cniel a engagé le projet Données lactées, sur deux volets :
• créer une charte des bonnes pratiques pour la contractualisation sur la circulation des données. La charte, prévue pour l’automne, aidera à l’écriture des contrats. « La contractualisation permettra aussi de poser la question de la répartition de la valeur des données », estime Fanny Tenenhaus. Le fournisseur de données doit évaluer son bénéfice à partager ses données et ce qu’il aura en retour : du conseil, des outils d’aide à la décision, une meilleure génétique, moins de travail administratif…
• étudier les outils permettant de gérer les consentements. « Il existe déjà des outils. Nous devons les expertiser et choisir les plus efficaces d’ici 2025. »