Xavier Beulin veut « des négociations avec les GMS » tout en souhaitant qu’évoluent les rapports interfilières

La Dépêche-Le Petit Meunier : Où en sont les négociations avec la grande distribution ?
Xavier Beulin : Nous attendons toujours un signal des GMS. Nous demandons une renégociation dans le cadre de l’accord du 3 mai, compte tenu de la hausse des charges dans les secteurs de la volaille et du porc. Serge Papin (président du groupement coopératif Système U, NDLR), nous a renvoyé la balle élégamment en évoquant d’ailleurs un faux-fuyant. Certes, l’accord du 3 mai prévoyait de mettre en place des dispositifs contractuels entre filières végétal et animale pour amortir les excès de volatilité. Mais, à ce jour, on ne peut pas dire que ce soit une grande réussite. Seuls quelques exemples marchent en France. Ce n’est pas suffisant mais nous avons la volonté de faire vivre cette contractualisation.
LD-LPM : Pourquoi ces contrats interfilières ont tant de mal à se développer ?
X. B. : Certains opérateurs considèrent que la volatilité observée entre 2007 et 2009 était exceptionnelle. Il est temps de retravailler là-dessus, mais ça ne peut pas se faire du jour au lendemain. C’est toute l’ambiguïté de ce type de dispositif. L’objectif est de faire en sorte que les opérateurs de la filière puissent s’engager réciproquement sur une année, ou plusieurs mois. Avec un système basé sur un tunnel de prix sur six mois ou plus, cela me paraît possible aujourd’hui. Mais il faut pouvoir emmener toute la filière dans cette démarche. Il existe des réticences au niveau de certains maillons qui veulent que les clients s’engagent aussi. Concernant les filières Lait et Porc, il n’existe pas cette habitude de relations à long terme. Ces entreprises travaillent plus sur du spot. La question est de savoir si ce modèle-là peut évoluer, pour partie au moins, vers un système d’échanges à plus long terme. Il faut aller au-delà des intérêts propres pour obtenir une certaine équité entre les filières végétale et animale pour éviter des bouleversements néfastes. Qui peut imaginer que la France se passe demain des élevages laitiers, porcins ou avicoles ?
LD-LPM : Cette absence de contrats interfilières est mise en avant par les GMS…
X. B. : Ce n’est pas parce que deux opérateurs n’ont pu se mettre d’accord sur une forme contractuelle que ça doit remettre en cause la capacité de négociation avec les GMS. C’est un peu léger. Si les distributeurs n’ont que ça comme argument, ça veut dire qu’ils reconnaissent le bien-fondé de notre demande, c’est-à-dire la réalité de l’impact de la hausse des matières premières. Ils cherchent une raison pour ne pas réouvrir les négociations. Néanmoins, je pense qu’il va falloir consulter toutes les pistes possibles d’ici le 15 septembre. Sans être dans la démarche contractuelle de l’accord du 3 mai, il faut donner un signal entre les mondes des grains et de la nutrition animale. Je ne veux pas parler de solidarité car ce terme serait impropre et injuste, mais en tout cas, il s’agit de prendre en compte la réalité du marché des céréales et des tourteaux.
LD-LPM : Les céréaliers doivent faire un effort ?
X. B. : En tout cas, il faut regarder comment.
LD-LPM : Cela va dans le sens de ce que demande Serge Papin ou les GMS en général…
X. B. : Je suis complètement ouvert mais nous sommes dans un contexte législatif européen qui n’est pas facile à manier. Je rappelle qu’en 2009, nous avions tenté un deal positif, écarté par l’administration qui l’a considéré trop dangereux par rapport aux règles de l’UE.
LD-LPM : Le gouvernement vous a soutenu, pour réouvir les négociations avec les GMS. Peu de choses ont bougé depuis. Comment voyez- vous les prochaines semaines ?
X. B. : Nous avons espoir que la situation évolue d’ici la rentrée. Sinon, je prendrai des initiatives vis-à-vis de chacune des enseignes. À un moment donné, il faut mettre les mains dans le cambouis. Si nous voulons que nos entreprises avancent dans les négociations, nous devons exercer une certaine pression. J’affirme que la situation des éleveurs, déjà très difficile, ne pourra pas rester telle quelle. La solution, c’est de réouvrir les négociations. Nous le ferons savoir dans les prochains jours si besoin. J’attends des relations plus matures des acteurs économiques. En novembre, à la demande de la distribution, qui avait remarqué une baisse des prix des matières premières, il y a eu négociations. C’est le sens de cet accord.
LD-LPM : Vous avez réclamé dans une récente lettre à François Hollande un pacte de stabilité. Comment cela peut-il être accepté au niveau international ?
X. B. : Cela renvoie clairement aux discussions du G20. C’est à l’ordre du jour du conseil de Chypre la semaine prochaine. Je crois savoir que le ministre de l’Agriculture français va mettre ça sur la table. Les amplitudes de prix que nous vivons depuis 2007/2008 ne sont plus acceptables. Cela suppose qu’il y ait des mécanismes publics et à l’échelle mondiale pour éviter cette situation. Pour cela, il est nécessaire de mettre en place une politique de stockage interannuelle à la discrétion des états plutôt que des opérateurs car la spéculation peut se faire sur les stocks. Et pourquoi pas la FAO. Celle-ci pourrait tout à fait gérer un stock de crise.
LD-LPM : Vous prônez le retour d’un système type intervention ?
X. B. : C’était un excellent système, en céréales en tout cas. Mais ce n’était pas OMC-compatible et cela coûtait trop cher, disait-on. Moi, je demande combien vont coûter ces crises alimentaires à répétition. Les pays du Sud doivent aussi se positionner, car cette question les concerne avant tout. D’autre part, il faut réfléchir à l’encadrement des marchés financiers et des opérateurs qui investissent sur les marchés agricoles. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’existence des marchés à terme ni des options, d’autant que ce sont surtout les produits dérivés qui posent problèmes, mais simplement d’éviter que se concentrent dans quelques mains des manipulations influençant lourdement nos marchés.
LD-LPM : Au niveau de la France, quel volume pourrait constituer un tel stock stratégique ?
X. B. : On pourrait presque dire que la question ne se pose pas pour la France. Si on était cynique, on pourrait dire que l’on profite de la situation, en tout cas au niveau de la ferme France. Ceci dit, ce discours a ses limites car c’est dangereux pour l’économie toute entière. Passez du prix le plus haut au prix le plus bas en 3/4 ans ce n’est plus tenable. Nous avons donc un fort besoin de régulation.
Mais ce terme est trop général. C’est pour cela que nous allons jusqu’à dire qu’une politique de stockage à l’échelle mondiale devrait faire l’objet de discussion au niveau du G20 notamment et de l’abus des marchés financiers, notamment des marchés dérivés car c’est plutôt au niveau de ceux-ci que cela se passe. Les marchés à terme font globalement leur boulot mais les marchés dérivés sont plus dangereux.