PRESIDENTIELLE L’Agriculture vue par P. de Villiers
Le candidat du Mouvement pour la France répond à nos questions
La Dépêche - Si vous étiez élu à la Présidence de la République, quelle est la première mesure que vous adopteriez concernant l'agriculture ?
Philippe de Villiers : Je m’emploierais immédiatement à convaincre les partenaires de la France, en commençant par les pays les plus attachés à leur production agricole, de la nécessité impérative de changer le cadre dans lequel le commerce agricole mondial doit être régulé. Ce changement conditionne la possibilité de continuer à avoir une politique agricole autonome et spécifique en Europe. C’est de manière tardive et artificielle que l’agriculture a été introduite dans un cadre de négociations qui avait été conçu pour traiter des questions relatives au commerce international des produits industriels et des services. Nous ne pouvons laisser nos agricultures dans une position structurelle d’otage. Otage d’un forum où ne peuvent être discutés ni les contraintes sociales, ni les contraintes environnementales, ni les contraintes sanitaires, ni les contraintes de qualité qui pèsent sur nos agriculteurs et sur leurs prix, non plus que le rôle essentiel que l’agriculture doit jouer dans le développement des pays du Sud. Nous ne pouvons accepter que l’OMC s’érige en lieu de procès permanent de notre agriculture, alors que nous sommes le premier importateur mondial de produits agricoles. La régulation du commerce agricole mondial doit donc impérativement changer de cadre. Celui de l’OMC étant totalement inapproprié, je proposerai à nos partenaires que l’organisation spécialisée des Nations-Unies en matière d’alimentation, la FAO, voit ses compétences élargies pour englober l’ensemble des questions relatives à l’agriculture et à l’alimentation. La question de la nourriture des hommes mérite bien un forum international spécifique.
La Dépêche - Quel regard portez-vous sur la Politique agricole commune, et comment envisagez-vous l'après 2013 ?
Philippe de Villiers : À court terme, je veillerai à ce que le « bilan de santé » de la Pac, prévu en 2008, ne soit pas détourné de son objet par la Commission. Je pense qu’au lieu de songer à supprimer les OCM, il vaudrait mieux utiliser à plein leurs instruments. Je plaiderai pour une période de « paix législative », sans aucune réforme, jusqu’en 2013. Mais la question centrale est évidemment celle de « l’après 2013 » : aurons-nous besoin après cette date d’une Pac (certains en doutent) et si oui, laquelle ? Ma conviction est qu’une politique agricole commune restera nécessaire après 2013. Mais elle doit s’inscrire dans une vision nouvelle, dans une stratégie à long terme et garantir aux agriculteurs prévisibilité et stabilité. Nous sommes aujourd’hui à la charnière, face à deux systèmes impraticables. D’une part, le système des prix internes garantis au moyen d’un budget agricole financé par le contribuable ne paraît plus reconductible. L’évolution du système vers un découplage entre les aides et la production lui porte d’ailleurs un coup fatal en le délégitimant. Mais le système du libre échange généralisé, vers lequel la Commission voudrait nous entraîner, c’est à dire le paiement par le consommateur accompagné du libre choix sur le marché mondial, n’est pas davantage praticable. Pour surmonter cette impasse, nous devons revisiter les principes fondateurs de la Pac : unicité de marché, solidarité financière et préférence communautaire. La troisième voie ne peut se trouver que dans le financement du produit par le consommateur sur le marché, mais sous condition de règles de production protectrices qui empêchent la qualité de diminuer, mises en œuvre dans le cadre d’une zone de préférence régionale. La nouvelle préférence communautaire se traduirait par un prélèvement à l’importation, qui varierait en fonction des besoins de régulation du marché interne et jouerait un rôle d’écluse rétablissant la vérité des prix. Ce qui suppose de sortir l’agriculture de l’étau de l’OMC. Sur le marché intérieur, les consommateurs paieraient les produits agricoles à leur vrai prix, ce qui augmenterait faiblement leur budget alimentaire. Il ne resterait à financer par le budget européen que les coûts qui ne sont pas directement liés à la production, mais correspondent à des impératifs d’intérêt généraux.
La Dépêche - Considérez-vous que les aides publiques sont équitablement réparties ? Pourquoi ?
Philippe de Villiers : Nous le savons tous : le système actuel de répartition des aides publiques est non seulement inéquitable, mais surtout il apparaît de plus en plus illégitime. Le principe même du découplage, l’application des références historiques ne sont pas tenables dans la longue durée. N’est-ce pas d’ailleurs pour cette raison qu’ils ont été inventés par la Commission ? Et la Commission ne commence-t-elle pas à dire qu’après 2013 la totalité des aides devra être découplée et puis que l’on pourrait bien passer ensuite du découplage au ciblage, c’est à dire à la fin programmée des aides publiques ? Il n’y a donc aucune solution durable à attendre d’un système en voie d’épuisement.
La Dépêche - Comment envisagez-vous l'avenir de l'export français, notamment concernant les filières des grandes cultures ?
Philippe de Villiers : Si l’on se projette à moyen terme, on peut prévoir l’existence d’une demande solvable en expansion pour les produits agricoles, et notamment pour les céréales, sur un grand arc géographique allant de l’Afrique du Nord jusqu’à la Chine. La France et l’Europe auront notamment à leur porte une vaste zone en expansion démographique (Afrique du Nord et Proche-Orient), constituant un marché solvable en raison notamment du prix durablement élevé du pétrole. L’Asie devrait poursuivre jusqu’en 2050 sa croissance démographique, son rattrapage économique et sa poussée urbaine. L’urbanisation de la population entraînera un changement des habitudes alimentaires, notamment l’accroissement de la consommation de viande.
Loin donc des hantises de surproductions européennes encore si présentes dans le subconscient de la Commission, il n’y a évidemment aucune raison pour que l’agriculture européenne s’interdise de tirer profit de telles opportunités.
Que pensez-vous de la filière des biocarburants agricoles français ? Les encouragerez-vous et si oui, comment ?
Philippe de Villiers :Nous allons avoir des choix cruciaux à opérer concernant la destination de nos productions céréalières. Quelle part devrons-nous réserver pour les usages alimentaires ? Quelle part pourrons-nous consacrer aux usages énergétiques ? Or, l’alimentation et l’énergie sont deux domaines stratégiques pour notre sécurité. L’indépendance alimentaire, au moins en terme relatif et la réduction de notre dépendance énergétique sont l’une et l’autre nécessaires à l’indépendance de l’Europe.
Nous devrons définir une politique équilibrée permettant prioritairement de répondre aux besoins alimentaires des Européens, mais aussi de participer à l’alimentation des pays émergents dont les besoins vont aller croissant. Cette politique devra viser également à réduire notre dépendance vis à vis du pétrole, en développant les biocarburants, mais en veillant soigneusement à ne pas creuser pour autant de déficit céréalier, à ne pas rendre nos céréaliers otages d’une logique industrielle qui ferait baisser les prix et à ne pas tomber sous la dépendance d’autres fournisseurs extérieurs. A quoi servirait-il de troquer notre dépendance vis à vis des pays de l’OPEP pour une dépendance vis à vis de l’éthanol brésilien ?
Définir avec soin cette grande et double stratégie européenne, voilà un grand chantier prioritaire pour une politique agricole européenne rénovée ! Mais au lieu de cela, la Commission et Mme Fischer Boel appellent à la fin de la PAC et à la recherche d’un autre métier pour nos agriculteurs !
La Dépêche - Des semenciers annoncent 30 000 ha de maïs OGM en France cette année alors que la législation européenne n'est pas transposée en droit français et que l'actuel gouvernement a abandonné le projet de loi sur les biotechnologies. Comment gérer ce dossier ?
Philippe de Villiers : La question des OGM déborde la question agricole. Un homme politique responsable ne peut écarter d’un revers de la main les craintes exprimées à propos de la transgenèse par de grands biologistes, en matière de biodiversité, de risque de pollution irréversible susceptible d’être causée par une technique qui révolutionne la génétique. Tant que des incertitudes aussi fondamentales n’auront pas été scientifiquement tranchées, et sur une question dont les enjeux sont aussi graves pour l’humanité, il est légitime de recommander l’application du principe de précaution et de dénoncer l’illégitimité des décisions prises par la Commission en l’absence d’accord des États membres. Je suis aussi très soucieux de l’image qu’aura demain l’agriculteur dans la société et la question des OGM est particulièrement importante à cet égard. Les réticences des consommateurs doivent également être prises en considération. D’après les sondages, un Américain sur quatre se dit favorable à la nourriture transgénique. On peut penser que si les OGM étaient étiquetés outre-Atlantique, ils ne se vendraient sans doute pas très bien. S’il paraît difficile à l’Amérique de revenir en arrière, peut-être n’est-il pas souhaitable pour l’Europe de se lancer dans une fuite en avant. L’Europe n’aurait elle pas finalement intérêt à se prévaloir de son statut de zone du monde majoritairement indemne d’OGM ? Ce n’est pas parce que l’Amérique a généralisé l’utilisation des hormones pour l’engraissement des bovins, avec de réels gains de productivité, que nous avions à en faire autant. Les consommateurs français et européens ont refusé de suivre cette voie et nos éleveurs, en différenciant leur production, ont réussi à se protéger des viandes américaines hormonées. Ce n’est pas parce que les superficies cultivées en OGM s’étendent, qu’il faut considérer comme levées les incertitudes scientifiques liées à leur utilisation.