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« Pas de régulation des exports en Ukraine à moyen terme »

Sergey Feofilov, président du cabinet d'analyse ukrainien UkrAgroConsult, s'est exprimé sur la situation de l'Ukraine et de la Russie avant le Black Sea Grain des 20 et 21 avril prochains à Kiev.

La Dépêche-Le Petit Meunier : Quelles sont les perspectives de production de grains en Ukraine et en Russie ?

Sergey Feofilov : En Ukraine, la sécheresse a été très intense durant l'automne 2015, affectant les cultures d'hiver et engendrant une baisse des semis. Le manque d'humidité a également perturbé la germination des plantes, dont le taux s'élève en 2015 à 87 %, contre 97 % en 2014. Ensuite, on estime à presque 24 % les cultures dans un mauvais état, contre 15 % en 2014. Bien que les conditions d'hiver et de printemps aient été très bonnes, nous estimons pour 2016 une baisse des rendements par rapport à l'an dernier, à 3,4 t/ha en blé tendre, donnant une production de 1819 Mt, contre 25 Mt en 2015. Celle d'orge devrait reculer de 8-10 % sur ” la même période, à 7 Mt. Concernant les cultures de printemps, les producteurs ont quelques craintes quant à un manque d'eau actuellement. Mais si des pluies surviennent durant avril-mai, nous pourrions revoir à la hausse nos projections, que nous estimons pour l'instant à 23 Mt pour le maïs, stable par rapport à 2015, en raison d'une baisse des rendements compensée par une hausse des surfaces. Mais la progression la plus flagrante concerne le tournesol, qui est actuellement la culture la plus profitable. Nous estimons des surfaces record, à 6,2 Mha en 2016, contre 5,6 Mha en 2015, pour une production de 13 Mt, contre 11,511,7 Mt l'an dernier. En Russie, si les conditions climatiques durant l'automne ont été similaires, la baisse de la production de grains devrait être moins significative.

Nous estimons la production ukrainienne de blé tendre à 1819 Mt en 2016, contre 25 Mt l'an dernier.

Les producteurs locaux ont augmenté d'environ 6 % leurs surfaces de blé tendre, à 14,2 Mha, compensant en partie les pertes dues à la sécheresse. Nous estimons ainsi la production de blé tendre du pays à 5861 Mt pour 2016, contre 61,3 Mt en 2015. Notons que les surfaces de maïs progresseraient, avec la hausse de la demande intérieure. Les investissements du pays dans des porcheries, des poulaillers, etc., ont augmenté de manière impressionnante ! L'embargo européen a joué dans cette orientation stratégique, bien que cela fait plusieurs années que la Russie investit dans ces secteurs.

Que dire de la situation économique de l'Ukraine et de la Russie, et quelles conséquences sur le commerce des grains depuis cette région ?

S. F. : La situation économique ukrainienne est toujours fragile. La chute de la hryvnia a entraîné une inflation générale des intrants : fertilisants, semences, fuel, etc. La population nationale recule, tout comme le pouvoir d'achat. D'après les données macroéconomiques que nous observons actuellement, nous tablons sur une lente poursuite de la baisse de la monnaie ukrainienne en 2016, ce qui sera favorable aux exportations de matières premières du pays sur le court terme. Le gouvernement se montre plutôt conciliant avec les exportateurs, car le commerce de grains est une source de rentrée de devises. Ainsi, il ne devrait pas y avoir de politiques régulant les exportations durant les deux-trois prochaines années. Malgré la baisse de la production ukrainienne, nous espérons exporter 32 Mt de grains sur 2016/2017, contre 35-36 Mt en 2015/2016. Mais une dévaluation de la hryvnia peut aussi affecter les coûts de production, et donc les exportations du pays, si la situation perdurait sur le moyen terme, c'est-à-dire trois-quatre ans. Notons que la Chine est une destination qui prend de plus en plus d'ampleur, avec des contrats établis en spot mais aussi sur l'éloigné. Autre élément très important : la Chine paie en avance, ce qui est attractif aux yeux des compagnies ukrainiennes. En Russie, la situation est différente. Le pétrole remonte, entraînant dans son sillage le rouble. Rappelons que la taxe sur les exportations de blé tendre russe a été mise en place pour empêcher l'inflation des prix intérieurs de la farine, du pain… Or, nous observons une amélioration de la situation économique du pays. Si elle continue de s'améliorer dans les deux ou trois prochains mois, ces taxes pourraient être supprimées, élément favorable aux exportations du pays durant la saison prochaine.

On entend de part et d'autre que la logistique s'améliore en Ukraine…

S. F. : Nous observons actuellement une tendance à la baisse des prix du fobing ukrainien, bien que nous n'ayons pas de chiffres précis à communiquer pour le moment. Sur l'année 2016, d'importants investissements dans les terminaux portuaires d'Ilyichevsk, par la compagnie ukrainienne Risoil, et de Nikolayev, par la multinationale Noble Resources, ont été réalisés. Autre élément illustratif : les capacités de transbordement sont passées de 36 Mt il y a dix ans à 50 Mt aujourd'hui.

Concernant les prix mondiaux, quelles sont vos perspectives ?

S. F. : Elles sont plutôt pessimistes ! D'abord, la production mondiale est très importante. Ensuite, les perspectives de croissance mondiale sont mauvaises, potentiel facteur baissier des prix des céréales. Selon les études préliminaires de la Dutch Scientific Institute, les échanges mondiaux de matières premières libellés en dollar ont reculé de près de 14 % entre 2014 et 2015.

« La solution du conflit entre les mains des Ukrainiens »

« Les origines du conflit russo-ukrainien se trouvent dans les racines ukrainiennes. La solution est donc entre les mains des Ukrainiens. Il m'est impossible de dire comment il va évoluer, en espérant qu'il s'apaise le plus vite possible. Des facteurs extérieurs très importants interviennent aussi, à savoir la position des États-Unis, de l'UE et de la Russie. Ce qu'on observe, c'est que le conflit n'a actuellement pas ou peu d'impact sur la production et les échanges de grains en Ukraine. Rappelons que la Crimée ne représentait que 1,5-2 Mt de la production de grains du pays. Et les territoires sous tension ne correspondent pas à d'importants volumes de production », souligne Sergey Feofilov.

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