« Militer pour des outils de prévention et de gestion de crise »
Dominique Chargé a été élu le 18 février à la présidence de Coop de France Agroalimentaire. Cet éleveur, président de la FNCL, co-président de Laïta et administrateur chez Terrena, présente ses suggestions afin de surmonter la crise agricole.

La Dépêche-Le Petit Meunier : Vous avez été élu le 18 février dernier président de Coop de France Agroalimentaire, une nouvelle section dans l'organigramme de la coopération agricole française. Quels en sont les missions et objectifs ?
Dominique Chargé : Cette nou-velle section veut renforcer l'action de Coop de France sur toute sa partie agroalimentaire. Il existait un pôle dédié depuis trois-quatre ans, géré par Rachel Blumel, qui est aujourd'hui directrice de Coop de France Agroalimentaire. L'objectif est de le rendre visible pour avoir un portage politique plus important. Il s'agit également d'impliquer les cadres des coopératives et de leurs filiales dédiées dans les orientations stratégiques de la section.
La perte de tous nos repères, notamment ceux liés à la régulation et l'encadrement des marchés, nous fait entrer dans une ère mondialisée caractérisée par son instabilité. Dans ce contexte, il est important que nous portions la spécificité du modèle coopératif bien au-delà du seul acte de production, jusque sur les marchés, auprès des consom-mateurs mais aussi de toutes les parties prenantes pour être influent sur les orientations et les décisions – juridiques, réglementaires ou po-litiques – concernant l'évolution de l'alimentation et de l'agroalimen-taire dans notre pays et au-delà.
Nous ne sommes pas des “recombineurs“ qui fabriquent des produits indifférenciés quant à l'origine des matières premières.
Il nous faut revaloriser l'acte de production agricole, auprès des citoyens en général, pour en faire un levier de différenciation des produits issus du monde coopératif. De fait, nous sommes des transformateurs, dont le produit de base est exclusivement issu des exploitations de nos associés-coopérateurs. Nous ne sommes pas des “recombineurs” de matières premières qui fabriquent des produits indifférenciés par rapport à la provenance de la production agricole.
LD-LPM : Concernant les prix payés au producteur, quid de l'approvisionnement de vos usines, compte tenu de prix de marchés actuellement inférieurs aux coûts de production des matières premières ? Comment comptez-vous sortir de cette situation délicate ?
D. C. : Il y a plusieurs leviers d'action. Le premier est celui d'être toujours en recherche de création de valeur supplémentaire sur le produit transformé, en faisant reconnaître les spécificités du modèle coopératif, sur des marchés diversifiés. Au-delà de la GMS, nous entreprenons un travail avec les représentants des organisations de la restauration hors domicile. Nous avons eu un très bon contact avec la CGI (Confédération des grossistes importateurs) et le SNRC (Syndicat national de la restauration collective). Nous nous intéressons également au monde de l'industrie, à tous les utilisateurs des ingrédients. Un deuxième levier consiste à travailler à l'atténuation des conséquences de la volatilité des prix, par la mise en place à l'échelle communautaire de nouveaux outils de prévention et de gestion de crise. C'est-à-dire avoir des systèmes d'observation des marchés plus définis et contraignants (avec des acteurs qui apportent des éléments de connaissance des marchés, ce qui n'est plus le cas) et des systèmes qui fonctionnent par niveau d'alerte pour anticiper les crises, via des mécanismes de stockage ou de dégagement sur de l'aide alimentaire.
Le troisième levier est de travailler sur la compétitivité. Nous devons accompagner nos exploitations adhérentes par la mise en place de techniques alternatives et la création d'un réseau de partage.
Le dernier point, et à mon avis le plus important, consiste à ne plus être dans des flux poussés mais dans des flux tirés de production vers le marché, pour éviter de le subir. Il s'agit d'engager nos producteurs-coopérateurs dans une espèce de forme contractuelle, où la production est organisée en fonction de débouchés choisis, sur les marchés intérieur, intracommunautaires et à l'international. Cela ne nous exonère pas de la volatilité mais nous permet de contrôler une partie des excédents qui pourraient survenir sur des marchés déjà engorgés.
LD-LPM : Quel bilan faites-vous des négociations commerciales 2016 ?
D. C. : Elles restent extrêmement tendues et basées sur un rapport de force déséquilibré dont la guerre des prix est le moteur. En tant que fournisseur, nous sommes toujours clairement dans une position défavorable, face aux quatre grands acheteurs de la distribution française. Tant que l'on ne changera pas la nature des choses, à savoir une entrée par le prix, et en l'occurence par le prix bas, nous resterons dans cette difficulté. L'objectif à Coop de France Agro-alimentaire est bien d'avoir une discussion avec nos clients qui s'inscrive sur autre chose que la seule logique du prix, à savoir notre capacité à redonner de la valeur au produit et à redonner du sens à l'alimentation de nos concitoyens.
Le président de Coop de France Agroalimentaire, Dominique Chargé, a tenu à réagir au sujet de l'enquête sur les « comportements anticoncurrentiels alléguées » des acteurs des filières porcine, bovine et laitière françaises (cf. p. 3). « Tout le monde en Europe a mis en place des mécaniques de “visibilité de produits nationaux”, des logiques de prix qui permettent aux producteurs de mieux passer les crises, (...) qui paraît-il sont “euro-compatible” », affirme-t-il. À l'exemple de l'Allemagne où « l'enseigne leader, Aldi, joue bien son rôle d'acteur économique pour faire en sorte que les produits nationaux soient mis en valeur ». Le lait de consommation y a par ailleurs « grimpé de 5 ct€/l dans toutes les enseignes, la même semaine, sans qu'elles se réunissent pour le faire mais elles l'ont fait ». La France a simplement « fait de manière un peu plus visible des choses que tout le monde fait aujourd'hui à l'échelle communautaire », déclare Dominique Chargé.