La Dépêche-Le Petit Meunier : Quelles sont les raisons d’un rapprochement Inra/Cirad ?
Valérie Pécresse : Le premier objectif est de mieux coordonner la recherche réalisée dans les organismes nationaux (Inra et Cirad en particulier) avec la formation proposée dans les établissements d’enseignement supérieur du ministère de l’Agriculture (grandes écoles d’ingénieurs, grandes écoles vétérinaires). En effet, on constate que les ingénieurs agronomes ou vétérinaires s’orientent peu vers les métiers de la recherche, et que la formation par la recherche est peu présente dans cet enseignement supérieur. Or, les organismes et les grandes écoles partagent bien les mêmes domaines d’intérêts : agriculture, alimentation, santé animale, environnement. Les unités mixtes de recherche ont créé des liens, de façon progressive. La concertation a commencé à s’organiser au niveau régional, avec la mise en place des pôles de compétence auxquels participe l’Inra ; mais il manquait un lieu de mise en cohérence nationale. Afin de consolider cette cohérence, il a été décidé de créer une structure juridique visible, l’Etablissement Public de Coopération Scientifique, dédié à l’agronomie (EPCS).
LD-LPM : Quels moyens supplémentaires seront alloués à ce consortium ?
V.P. : L’EPCS ne reçoit pas de dotation spécifique du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, car il n’est pas un nouvel opérateur de recherche mais une structure de coordination. La négociation du budget attribué à chaque organisme pourra tenir compte de leur implication dans le consortium, ce qui permettra de mutualiser les moyens et de réduire les coûts pour ses membres.
LD-LPM : Quels seraient les objectifs de ce rapprochement ?
V.P. : Le partenariat entre recherche publique et entreprises privées se construit plus facilement lorsque les cadres recrutés par les entreprises ont une expérience de recherche, et en particulier une formation doctorale, d’où l’intérêt de coordonner davantage recherche et formation supérieure.
J’ajoute que cette coordination contribue également à préparer un vivier de recrutement de grande qualité pour les organismes de recherche. Par ailleurs, ce rapprochement permettra de coordonner les talents et l’expertise existants dans l’ensemble des organismes de recherche et des grandes écoles dans le domaine agronomique et vétérinaire, qui sont encore aujourd’hui trop dispersés. Ces enjeux dépassent aujourd’hui les frontières nationales et nous devons nous mobiliser pour donner à l’expertise française la place qu’elle mérite sur le plan international, compte tenu de son potentiel de recherche et de formation. C’est crucial dans un contexte de crise alimentaire et de changement climatique.
LD-LPM : Quand ce consortium sera-t-il opérationnel ?
V.P. : La préparation des textes a été rapide, et une convention doit être signée par les membres fondateurs le 29 juin prochain. Les instances et le programme de travail de l’EPCS seront donc mis en place d’ici la fin 2009, et il est prévu d’engager d’ici là la production d’un livre blanc reprenant l’ensemble des projets que les communautés scientifiques souhaitent réaliser rapidement. Il est raisonnable de penser que l’EPCS sera pleinement opérationnel en 2010.
LD-LPM : Quels sont les « nouveaux modèles » proposés en ce qui concerne l’agriculture, l’alimentation et la gestion durable des ressources et des territoires ?
V.P. : Cette question a été et est encore au programme des travaux de la Stratégie Nationale de Recherche et d’Innovation, qui comportait un volet dédié au défi de l’alimentation et de l’eau. Une chose est sûre, nous souhaitons développer une agriculture qui produise autant, voire plus, mais en produisant mieux, c’est-à-dire en consommant moins de produits chimiques et en limitant les impacts sur l’environnement et la biodiversité. Il s’agit de rapprocher les méthodes de l’agronomie de celles de l’écologie, et de mieux connaitre la dynamique des écosystèmes pour mieux utiliser les ressources. De ce fait, les systèmes de production doivent être plus diversifiés et mieux tenir compte des spécificités de l’écosystème environnant. Dans le même temps, l’agronomie bénéficie de progrès technologiques importants. L’exploration du vivant a permis l’essor de la génomique, dont bénéficie l’amélioration des plantes et des espèces animales. Enfin, nous aurons besoin de modéliser le fonctionnement des écosystèmes. Cela doit permettre d’anticiper les changements mieux que par le passé, et de comparer la performance de différents systèmes de production. Par exemple, l’analyse des cycles de vie est une méthode utile pour comparer les impacts sur l’environnement de deux systèmes de production dans une même filière, par exemple élevage intensif ou élevage biologique. Les terrains d’expérimentation dans les pays du Sud, que connaît bien le Cirad, apportent de nouvelles approches qui enrichissent cette réflexion. C’est pourquoi le rapprochement Inra/Cirad avait été entrepris dès 2006. Cette dynamique concernait déjà la formation supérieure sur le site de Montpellier ; elle va s’organiser maintenant avec les six fondateurs de l’EPCS.
LD-LPM : Les OGM font-ils partie des « nouveaux modèles » ?
V.P. : La transgenèse est un outil indispensable à la recherche. Les plantes génétiquement modifiées représentent une innovation technologique intéressante, qui est à considérer mais qui n’est pas la seule voie possible.
LD-LPM : Allons-nous vers une productivité intensive, ou plus vers un modèle extensif ?
V.P. : La recommandation de la Stratégie Nationale de Recherche et d’Innovation en ce domaine est de passer d’une approche essentiellement productiviste, fragmentée et sectorielle, à une approche systémique, intégrant gestion de l’eau et des territoires et production agricole, transformation industrielle et consommation des produits alimentaires, dans laquelle chaque variable devra être raisonnée et optimisée en tenant compte de l’ensemble. Si l’enjeu est de produire plus, au regard de la croissance prévisible de la demande mondiale, il s’agit aussi de produire mieux et autrement.