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Meunerie: comment valoriser les qualités nutritionnelles du pain?

Christian Rémésy, directeur de recherche à l’Inra, plaide pour la production de farines bises de type 80 avec une logique industrielle.

LE MINISTÈRE DE LA SANTÉ a mis en place un Programme national nutrition Santé (PNNS) pour favoriser l'adoption de modes alimentaires équilibrés, favorables au maintien de la santé. Un des objectifs principaux de ce Programme est d’augmenter la consommation de fruits, de légumes et de glucides complexes, sous forme de pain en particulier.

L’Auvergne a été choisie comme région pilote pour tester l'impact de l'information nutritionnelle sur la consommation de pain. Il s'agit de soutenir la consommation du pain en communiquant sur sa valeur nutritionnelle et de mettre à la disposition du public le meilleur pain possible sur le plan de la santé. Pour être pleinement bénéfique sur le plan de la santé, il est nécessaire que le pain contienne une proportion suffisante des composés protecteurs (fibres, minéraux, vitamines…) naturellement présents dans le grain de blé.

Des farines de type 80

Or, avec une farine de type 55, les trois quarts de ces composés (principalement contenus dans les sons et les germes) sont éliminés durant le blutage. Les farines de type 55 ou 65 habituellement utilisées sont donc loin d’être idéales sur le plan nutritionnel. Puisqu’il existe une relation directe entre le type des farines et leur teneur en minéraux et vitamines, il est extrêmement souhaitable de proposer des pains courants confectionnés avec des farines de type 80.

Il est remarquable que la réglementation sur le type de farines, initialement conçue pour contrôler le degré de blutage, puisse maintenant être utilisée comme un critère positif d’appréciation globale de la valeur nutritionnelle des farines et, par extrapolation, du pain. Bien peu d’aliments bénéficient d’un critère de qualité aussi global, aussi fiable et aussi sûr à mettre en œuvre. Or la filière blé-farine-pain semble encore utiliser le type de farine comme seuil négatif à ne pas dépasser. D’autre part, les consommateurs ne sont pas (ou si peu) informés de la signification des types de farines et ne disposent pas ainsi de points de repère clairs pour choisir leur pain en fonction de sa valeur nutritionnelle. Nous sommes rendus dans une ère de concurrence forte et de marketing alimentaire agressif où le discours nutritionnel est omniprésent. Dans ce domaine, il existe une très grande disparité dans l’approche des filières et certaines d’entre elles, comme la filière laitière, s’appuient très fortement sur des allégations nutritionnelles, avec un réel succès commercial. Sans emboîter le pas de certaines exagérations de marketing, il est normal que le consommateur soit informé sur la valeur nutritionnelle des pains qui lui sont proposés et donc sur celle des farines utilisées à cette fin.

Manque récurrent de fibres alimentaires

La consommation de pains complets ne correspond pas à la culture courante de la population française. Notons que lorsque les Français consommaient plus de 500 g de pain par jour, il était logique d’utiliser des farines un peu raffinées pour alléger le pain en fibres et ne pas surcharger la digestion intestinale. Avec les 160 grammes de pain consommés actuellement, le problème serait plutôt un manque récurrent de fibres alimentaires (l’apport quotidien est d’environ 20 g et les apports nutritionnels conseillés de 30 g).

La nature des farines utilisées en boulangerie a évolué du type 55 au type 65 mais cela semble insuffisant pour redonner au pain son potentiel nutritionnel. Il faudrait revenir au type 80, qui correspondait sensiblement aux caractéristiques des farines issues de meules de pierre.

Actuellement, les boulangers ne sont pas encouragés à produire du pain avec des farines de type 80 parce qu’elles sont peu disponibles ou trop chères, parce qu'elles semblent plus difficiles à panifier et enfin parce que la grande majorité des consommateurs en ignorent l’existence et les qualités nutritionnelles.

Des solutions techniques

De même que pour la farine blanche, il serait possible de produire des farines bises de type 80 avec une logique industrielle, cela augmente même sensiblement le rendement meunier. Les solutions techniques existent : addition de remoulages ou de sons micronisés, mélange à la farine blanche de 10-15 % de farine de blé intégrale obtenue par simple broyage, plus des remoulages. Enfin, une autre solution très simple peut être mise en œuvre : il s'agit d'incorporer à la farine blanche, 25 % de boulange (blé entier grossièrement broyé).

Dans ce cas, il est préférable de faire subir la veille à la boulange, une préfermentation en milieu très hydraté (sous forme de poolish ou de levain liquide). Cette formule a déjà été testée et adoptée par plus de 70 boulangers en Loire-Atlantique et donne des résultats extrêmement satisfaisants sur le plan de la qualité du pain. Cette préfermentation permet d’obtenir une hydratation maximale des fibres, elle favorise l’action des enzymes de la farine et celle des ferments, elle permet de détruire totalement l’acide phytique et de rendre entièrement assimilable les minéraux.

On peut mettre ainsi en valeur certaines céréales anciennes ou de pays pour leur typicité ou leur richesse en micronutriments. La préfermentation en milieu liquide est facile à mettre en œuvre et l’utilisation du froid permet de maîtriser les fermentations.

Même si la technique de préfermentation d’une boulange mérite d’être développée en priorité pour optimiser la valeur nutritionnelle du pain, l’essentiel est cependant d’accroître la densité nutritionnelle du pain et de généraliser l’utilisation de farines de type 80 en panification. A cet égard, quels que soient la nature des farines et les modes de panification utilisés, il faudrait pouvoir définir la qualité nutritionnelle des pains par une appellation simple telle que “pains de type 80” (désignés type 80 par analogie avec le type de la farine). De plus, il est bien sûr intéressant de privilégier les pains de tradition française, c’est-à-dire sans additifs ni congélation.

Utiliser un logo “type 80”

Pour faciliter la perception de la clientèle, il pourrait être proposé aux boulangers l’utilisation d’un logo “pain de type 80” derrière lequel pourrait être rangé l’ensemble des pains de cette valeur nutritionnelle.

Il est normal que ces pains aient un volume moindre que les pains blancs classiques, qu’ils aient une mie de couleur gris crème à marron clair. Ni la couleur blanche ni un volume élevé ne doivent être recherchés dans cette gamme de produits de valeur nutritionnelle accrue.

Grâce à une campagne d’information appropriée, les consommateurs pourraient être informés de cette initiative et ainsi faire clairement leur choix entre les pains blancs classiques et les pain bis (de type 80).

Il serait possible d’informer la clientèle des qualités nutritionnelles des nouveaux pains de type 80 par des affiches, des dépliants ou des textes (à faire imprimer sur les papiers d’emballage). D’une manière générale, il semble nécessaire que les boulangers (ainsi que le personnel de vente) puissent disposer d’une formation concernant la valeur nutritionnelle du pain et qu’ils se sentent porteurs d’une mission de santé publique.

Pour que les pains de type 80 produits correspondent entièrement aux objectifs préconisés par le ministère de la Santé, il est de plus recommandé de réduire progressivement leur teneur en sel, qui ne devrait pas dépasser les 18 grammes par kilo de farine.

La Fédération de la boulangerie d’Auvergne de même que la mutuelle des artisans (CMR) de la région Auvergne soutiennent entièrement ce programme initié par le ministère de la Santé dans un but de santé publique mais aussi pour valoriser la qualité nutritionnelle du pain et sa consommation.

Pour accompagner cette démarche, divers documents d’information vont être réalisés à destination : des meuniers et des boulangers, des professionnels de la santé (médecins-infirmiers-diététiciens), des établissements primaires et secondaires (outils pédagogiques), et du grand public, consommateur de pain.

Le suivi de cette action est assuré par deux nutritionnistes du Centre de recherche en nutrition humaine d’Auvergne. Un travail de terrain pour informer des boulangers adhérents au programme sera réalisé par zone géographique, avec la mise en place d’essais expérimentaux en commun pour la conception de nouveaux types de pains. Les établissements scolaires seront sensibilisés à la qualité du pain par des conférences, ce qui devrait modifier progressivement la nature du pain proposé aux élèves dans les restaurants.

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