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COOP DE FRANCE
« L'État doit soutenir une agriculture en proie à une triple crise »

Michel Prugue, président de Coop de France, lance un appel à l'aide aux pouvoirs publics. Les mesures que les coopératives mettent en place ne suffiront pas.

La Dépêche - Le Petit Meunier : La récolte 2016 est faible en volume et atypique qualitativement. Quels sont les principaux problèmes rencontrés par les coopératives en ce début de campagne ?

Michel Prugue : La récolte 2016 est en retrait de 30 à 40 % par rapport aux volumes de 2015. Autrement dit, 60 à 70 % des tonnages ont été collectés mais avec une qualité hétérogène, qui n'est pas synonyme de mauvaise qualité.

Notre première préoccupation est de satisfaire le client et valoriser le grain. Le principal travail des OS consistera à être capables de trier la récolte en lots correspondant à l'utilisation et au contrat des clients. Cette année, il faudra identifier la destination du grain et définir les caractéristiques physico-chimiques de chaque débouché afin de valoriser au mieux la collecte. Cela va engendrer un coût (outils d'analyse et d'allotement), qui sera intégrer dans les prix de marché. Certaines coopératives devront chercher de la marchandise chez d'autres fournisseurs. Cela peut être au sein même de la coopérative, entre adhérents, au sein de leur union de commercialisation, voire entre coopératives. On peut même imaginer que les coopératives possèdant une entreprise de trading puissent aller chercher de la marchandise sur le marché. L'objectif est alors de bien expliquer à son client cette démarche de diversification des sources.

Notre seconde préoccupation, c'est l'adhérent et comment faire en sorte qu'il ne subisse pas une double pénalité. Si la disponibilité en semences certifiées n'est pas un souci – volume et qualité seront au rendez-vous, selon les professionnels –, l'agriculteur qui a perdu 30 à 40 % de sa récolte n'a en effet pas de trésorerie pour semer.

LD - LPM : Dans ce cadre, quels sont les instruments proposés par les coopératives pour venir en aide à leurs adhérents ?

M. P. : Certaines coopératives proposent de se porter caution auprès des banques pour l'obtention d'un prêt, ou de fournir les semences à leurs adhérents avec un paiement différé à la prochaine récolte. La grande majorité d'entre elles vont par ailleurs devoir choisir de ne pas faire porter le poids des charges de structure de la coopérative à leurs adhérents.

Et ce, d'autant que le volume collecté étant plus faible, le coût unitaire sera plus élevé cette année. Leurs comptes s'en trouveront moins bénéficiaires, voire déficitaires. Ce sont des exemples de pistes étudiées par les conseils d'administration des coopératives, qui décident des actions à mener selon leurs moyens.

Reste que les pertes sont estimées à 300 €/ha, qui s'ajoutent aux 80 à 90 €/ha enregistrés ces dernières années par les centres de gestion. Il faudra plusieurs années aux agriculteurs pour remonter la pente. Et les coopératives ne seront pas capables d'aider les agriculteurs à ce niveau de perte.

LD - LPM : Qu'attendez-vous des pouvoirs publics ?

M. P. : L'agriculture française traverse une crise comme on n'en a jamais connue. On ne peut pas faire disparaître les outils de régulation du marché (influence sur les prix) et laisser les agriculteurs face à une triple crise, économique (liée à la volatilité des prix), climatique (avec une abondance d'eau au printemps et une sécheresse estivale) et politique (suite à l'embargo russe). Le ministre de l'Agriculture se doit d'intervenir auprès des céréaliculteurs comme des éleveurs car, à situation exceptionnelle, actions exceptionnelles. Au niveau de l'UE, on ne peut pas continuer avec des politiques communes qui ne prévoient pas d'outils collectifs ou individuels permettant de gérer les crises de cette importance. Selon les études économiques, le secteur de l'agriculture et de l'agroalimentaire dégage globalement une très faible valeur ajoutée, de l'ordre de 1 à 2,5 % sur le chiffre d'affaires dans le meilleur des cas. D'où une impossibilité d'amasser des réserves pour faire face aux temps de crise. La Pac et les gouvernements doivent faire un choix : favoriser le consommateur ou mettre en place des politiques en direction des producteurs. En polyculture-élevage, ce que l'on doit gérer aujourd'hui, c'est le maintien de certaines exploitations qui risquent de disparaître.

LD - LPM : La région Île-de-France a décidé d'octroyer une enveloppe de 6,5 M€ pour aider les producteurs franciliens à acheter des semences certifiées. Dans quelle mesure êtes-vous intervenu dans ce dossier ? Qu'en pensez-vous ?

M. P. : Coop de France n'est pas intervenu dans la concertation. Le conseil régional francilien a dû rencontrer des représentants de la profession et des élus locaux avant de prendre cette décision qui lui appartient. Si d'autres conseils régionaux devaient reproduire cette mesure ou adopter d'autres dispositions, certains ne pourront pas suivre, faute de budget. Nous verrons au fil du temps quelles sont les démarches qui ont été les plus efficaces. Et, concernant la région Île-de-France, on jaugera l'effet réel de son aide pour les agriculteurs. Cependant, si des coopératives mettent en place des actions – à l'image de Noriap, Acolyance, Dijon Céréales ou encore Vivescia –, il ne faudrait pas considérer que le travail est fait. Aucune collectivité territoriale n'a les moyens d'agir, c'est au niveau national que cela doit se passer, et à destination des céréaliculteurs comme des éleveurs. Il faut traiter le problème de l'agriculture dans sa totalité, car tous les secteurs sont en crise : le porc, le lait, les céréales, mais également les fruits et légumes (avec la grêle, le gel, l'interdiction de produits phytosanitaires) et la viticulture (qui table sur une baisse de production de 10 % qui, espérons, sera compensée par les prix).

Les prismes agricoles ont changé. Les politiques agricoles n'arrivent plus à assurer le revenu des agriculteurs. En prise directe avec les marchés, ces derniers se doivent d'être compétitifs sur des marchés solvables. Et ce, que ce soit en circuit court, en GMS et dans la restauration, ou sur les marchés national et international. Les coopératives et leurs adhérents doivent adapter leur compétitivité au marché desservi. Aussi escomptons-nous des pouvoirs publics, aujourd'hui sans attendre la Pac 2020, la mise en place d'assurances climatiques et de gestion des risques, et une amélioration de la compétitivité, qui passe par une baisse des charges. En parallèle, il faut initier une discussion sur le sujet de la non-opposition des modèles agricoles. On a besoin de l'ensemble des atouts de l'agriculture française, que ce soit de la production conventionnelle et biologique, de proximité et d'exportation.

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