INTERVIEW DE LIONEL DELOINGCE (ANMF)
« Les outils numériques sont à portée de mains et devenus incontournables »

La Dépêche - Le Petit Meunier : La convention de la meunerie sera tournée vers le thème du “digital”. Des gains de productivité peuvent-ils être attendus ?
Lionel Deloingce : Si on peut parler de révolution industrielle au début du siècle dernier, on peut tout à fait parler pour l'industrie de révolution numérique depuis les années 2000. Et le secteur de la meunerie ne fait pas exception. Cette révolution numérique trouve sa place dans tout le périmètre d'une entreprise de meunerie. L'utilisation des outils digitaux permet d'améliorer la productivité au sens global du terme. Au niveau de l'exploitation mais aussi des conditions de travail : il s'agit du process industriel lui-même, du rôle des opérateurs, de la logistique et des relations commerciales. C'est aussi bénéfique pour le chef d'entreprise que pour les opérateurs. Cette intelligence artificielle doit permettre de faire une synthèse et ensuite de la restituer à l'opérateur qui fera l'arbitrage. Il ne faut pas s'y tromper : le numérique ne remplace pas l'intelligence de l'homme. Ce dernier reste décisionnaire de son action. Par méconnaissance, on pourrait occulter le rôle de l'opérateur en pensant que c'est la machine qui va décider. Or, pour moi, c'est un couple gagnant : la machine ne remplace pas l'homme. Il y a une dimension sociale importante dans les outils numériques. Certes, ils permettent d'optimiser la performance de nos outils, mais ils participent aussi à l'amélioration des conditions de travail notamment en matière de la pénibilité. L'objectif de la convention n'est pas d'amener des solutions clés en main aux participants mais de les guider vers une réflexion. Le rôle de l'ANMF est de leur permettre d'avoir une approche globale de leur écosystème, des évolutions, par exemple aujourd'hui sur le digital, pour aborder au mieux leur métier. Certains meuniers sont aujourd'hui très avancés — et nous en ferons un retour d'expérience — et, pour d'autres, c'est encore nouveau. Il y a parfois un complexe vis-à-vis de ces techno-logies par ignorance ou défaut de formation. Notre volonté est de montrer que ces outils sont accessibles à tous et ne sont pas ciblés seulement vers cer-taines entreprises. La meunerie doit prendre conscience que ces outils sont à portée de main, qu'ils sont devenus incontournables.
LD - LPM : Que peut-on dire actuellement au sujet de l'impact de la récolte de blé française sur les approvisionnements meuniers ?
L. D. : Le constat est catastrophique. Tant au niveau quantitatif que qualitatif, c'est du jamais vu. Nous n'avons absolument aucun recul sur une telle année mais nous pouvons dire que l'impact sur les comptes d'exploitation de la meunerie sera important. Le nord-est du pays est largement touché avec une matière première en partie inutilisable par la meunerie pour la panification. Certains meuniers, et non des moindres, vont devoir se sourcer dans d'autres régions. La première conséquence est un travail de tri important pour séparer les grains maigres des grains à poids spécifique suffisant. Mais le faible PS des grains se traduira par un recul de 3 à 5 % du rendement puisque l'amande y est moins présente. Enfin, les blés impropres à la meunerie iront vers d'autres débouchés, notamment vers la nutrition animale qui réduira de fait ses achats d'issues de meunerie. Nous avons perdu près de 35 % sur les prix des sons, et cela pourrait s'aggraver. Enfin, le coût de revient de la farine sera plus élevé. Le meunier devra avoir une vigilance particulière sur la composition de son assemblage, sur les corrections nécessaires au process de panification auxquels viendront probablement s'ajouter des surcoûts logistiques. Les conséquences au niveau des quantités sont catastrophiques pour les producteurs. Mais au-delà de cela, nous souhaitons faire prendre conscience aux pouvoirs publics que cette récolte ne touche pas que le secteur de l'agriculture. Elle a un impact très lourd sur l'ensemble de la filière, dont la première transformation, qui est un maillon central.
LD - LPM : Ces circonstances liées à la récolte peuvent-elles peser en votre faveur au sujet de votre demande de retrait de la taxe farine ?
L. D. : Clairement. Avant la récolte, nous étions dans une situation économique grave que nous avons expliquée à cette époque. Si on cumule la taxe farine, qui grève lourdement nos comptes de résultat, à une récolte catastrophique, qui va provoquer d'autres pertes importantes, nous pouvons nous inquiéter de l'avenir ! Le rôle de l'ANMF est d'alerter les pouvoirs publics sur cette situation qui risque d'empirer. C'est ce que nous ferons lors d'un prochain rendez-vous avec les conseillers du ministre de l'Agriculture. Nous sommes déterminés à obtenir gain de cause pour assurer la pérennité de notre profession.