Développement durable
L’affichage environnemental encore bien flou
La crise a détourné l’État, et les entreprises, de l’objectif de transparence en matière d’impact sur l’environnement des produits de grande consommation. L’absence de données de références est également problématique.


Permettre à chacun de choisir les produits qui ont le plus faible impact environnemental. Telle était l’ambition de la loi Grenelle 2, promulgée en 2010, qui prévoyait un étiquetage obligatoire de cette donnée sur tous les produits de grande consommation. Le but : donner l’opportunité aux citoyens « de changer de modèle de consommation et de production », espérait le ministère de l’Écologie, lors du lancement de la phase expérimentale de la démarche, en juillet 2011. Selon l’enquête Ethicity 2011, un Français sur deux était alors dans l’attente de ces informations. Quelque 168 entreprises, de tous secteurs et de toutes tailles, ont joué le jeu de ce test grandeur nature. La filière brassicole a répondu présente. L’heure est désormais aux bilans, les autorités préparant un rapport pour la fin de l’année. Comment les entreprises volontaires se sont-elles appropriées le projet ? Quels enseignements en tirent-elles ? Retour d’expériences.
Un test mobilisant la filière
La France a fait le choix d’un affichage environnemental multicritères. À chaque groupe de travail (GT), constitué pour cette expérience nationale, d’identifier les siens. Le GT1, consacré à l’ « alimentation et aux aliments pour animaux domestiques », a choisi d’évaluer ses produits selon les paramètres suivants : émissions de gaz à effets de serre (GES), consommation d’eau, eutrophisation marine, écotoxicité aquatique et impact sur la biodiversité. Les entreprises en bout de chaîne, les brasseurs en l’occurrence, doivent afficher l’impact de leurs produits, sur l’ensemble de son cycle de vie. De l’extraction des matières premières qui les composent jusqu’à disparition, en passant par les étapes de fabrication, de distribution et d’utilisation. Cette démarche suppose donc un dialogue au sein de la filière pour cumuler les données à chaque étape.
« Lorsque le gouvernement a lancé cette expérimentation, nous avons jugé opportun de mettre à profit notre expérience, acquise sur la filière blé/farine, pour réaliser une ACV (Analyse du cycle de vie) sur l’orge », explique Nathalie Torres, responsable Outils agroenvironnementaux et Responsabilité sociétale des entreprises chez Vivescia. Cette dernière témoigne « d’une attente forte de la distribution, donc des maillons intermédiaires, pour des données précises concernant l’impact environnemental des produits. Certaines GMS s’appuient, en effet, sur ce point pour arbitrer leurs achats, assure-t-elle. Elles optent donc pour le fournisseur qui a la démarche la plus aboutie et l’impact le plus faible. » De quoi motiver l’ensemble de la filière. D’ailleurs, selon Nathalie Torres, « la logique environnementale est déjà passée dans les mœurs. Aujourd’hui, c’est l’entreprise qui ne s’est pas engagée qui se poste à l’écart ». Néanmoins, Alain Stepien, responsable du dossier au sein de l’entreprise Brasseries Kronenbourg, note « un essoufflement de la dynamique ». Une tendance confirmée par Béranger Hoppenot, consultant en écoconception chez Bureau Veritas Codde : « Les industriels sont moins volontaires sur ce dossier. Avec la crise, le Grenelle est plus ou moins mis entre parenthèses et les entreprises sont en stand-by depuis fin 2011. » Celles qui ne participent pas à la phase expérimentale préfèrent attendre les retours, et l’évolution éventuelle de la législation, pour avancer sur ce dossier. Et les débats lors des élections présidentielles n’ont laissé que peu de place à cette démarche.
Une expertise à développer
« La récupération des informations pour évaluer l’impact environnemental représente un travail important, souligne Béranger Hoppenot. Cela est en particulier vrai en agroalimentaire, où il y a de nombreux procédés différents, des emballages, des déchets, dont il faut tenir compte et qui sont, parfois, valorisés en coproduits… » D’ailleurs, la coopérative agricole Vivescia, comme les malteurs engagés, Brasseries Kronenbourg et son concurrent Heineken, ont confié la réalisation de l’ACV à un cabinet extérieur, qui a compilé pour eux l’ensemble de leurs données. « Sur un sujet aussi complexe , nous avons opté pour le choix d’un spécialiste en la matière », explique Alain Stepien. « Les entreprises connaissent en effet peu l’ACV et se tournent donc vers des prestataires extérieurs, comme Bureau Veritas, explique son représentant. Nous leur fournissons des fichiers de collecte des informations dont nous avons besoin. Ce sont souvent les responsables Qualité qui sont chargés de les renseigner. Des personnes rarement spécialisées sur ce sujet. Certaines entreprises demandent donc à être formées. » Une fois les informations collectées, « on mouline le tout pour obtenir le résultat de l’ACV », résume Béranger Hoppenot.
Des bases de données à homogénéiser
« Nos travaux collectifs sont sensés aboutir à une base de données fiable et facilement utilisable pour générer nos indicateurs environnementaux », rappelle le représentant des Brasseries Kronenbourg. Mais la démarche patine. En effet, « l’Ademe travaille à une base de données commune qui n’est pas encore prête et nécessite une homogénéisation », confirme Béranger Hoppenot. « Les entreprises éprouvent alors des difficultés à obtenir des données fiables », poursuit-il. D’autant qu’en parallèle, « les prestataires de service développent leurs propres bases à partir de données littéraires ou des données des clients pour lesquels ils ont travaillé ». L’absence de référence unique biaise les résultats : « Si deux enseignes de grande distribution travaillent avec des logiciels différents, les valeurs auxquelles elles ont accès ne seront pas les mêmes. » La comparaison des produits ne sera donc pas fiable. De plus, « la collecte des données peut générer des résultats très différents en fonction de l’interprétation de celui qui la réalise », indique le spécialiste. « L’écart peut atteindre 10 à 15 % ! » En attendant un cadre validé, les deux principaux brasseurs ont opté pour une collaboration : « Nous avons travaillé ensemble avec Heineken en termes de calcul et de choix des indicateurs, afin de ne pas risquer une comparaison de données non fiabilisées, tant que les méthodes ne sont pas harmonisées. Ceci afin de ne pas induire le consommateur en erreur », explique le spécialiste de chez Brasseries Kronenbourg, Alain Stepien.
Autre écueil de cette expérimentation relevé par Béranger Hoppenot : « La base de données, annoncée gratuite, ne le serait peut-être pas, car la démarche a été coûteuse, en temps et en argent. Son utilisation, à terme, pourrait donc engendrer un coût supplémentaire pour les acheteurs. »
Libre affichage des données
Les entreprises sont libres d’afficher les résultats comme elles le souhaitent. « L’utilisation des valeurs absolues étant peu parlante pour le consommateur, selon Beranger Hoppenot, les entreprises optent le plus souvent pour un code hiérarchisé, type A,B,C. » Chez Brasseries Kronenbourg, « comme beaucoup de participants, nous avons choisi de dématérialiser l’information et avons opté pour un affichage sur Internet ». Les brasseurs n’ont choisi de communiquer que sur les émissions de GES et l’utilisation de ressources naturelles, pour le conditionnement. Productivité et apport d’engrais, pour le poste agricole, consommation d’énergie et d’eau, pour les étapes de maltage et de brassage, sont les principaux éléments ayant un impact sur l’environnement au cours de la fabrication de la bière. Mais c’est l’emballage qui a la plus forte incidence. Les résultats ? 105 g d’équivalent carbone sont générés pour 100 ml de bière consommés, et son emballage en verre est composé à 93 % de matériaux recyclés. L’ACV étant encore jeune, les méthodes d’évaluation des autres critères ne sont pas encore totalement calées. Les industriels n’ont alors pas voulu communiquer sur ces données non significatives et, qui plus est, complexes. Pour être accessibles, les résultats concernant les informations illustrant l’impact sur l’environnement sont très simplifiés. Les professionnels appellent à ce sujet, de manière unanime, à une sensibilisation du consommateur à leur signification. Si la question des émissions des GES reste compréhensible, « il faut, par exemple, prendre des précautions, si l’on évoque l’écotoxicité, paramètre qui peut vite être mal interprété ».
Si les résultats communiqués en ligne sont communs à Kronenbourg et Heineken, leur restitution est différente. Le Néerlandais a opté pour une approche plus pédagogique en présentant le détail de chaque étape de la production de la bière. Le consommateur est-il sensible à cet affichage ? Cela est difficile à mesurer. « La fréquentation de la page du site Brasseries Kronenbourg reste limitée comparativement à des marques non impactées par la Loi Evin et seuls les internautes qui le souhaitaient se sont exprimés à partir d’un questionnaire en ligne », confie Alain Stepien.
L’affichage environnemental n’en est qu’à ses balbutiements. « Tout reste en effet très vague », convient Béranger Hoppenot. En juillet, seuls 10 référentiels sur tous les produits vendus en GMS étaient réalisés. Quoi qu’il en soit, « même si l’affichage devenait obligatoire, compte tenu des délais législatifs, rien ne devrait entrer en vigueur avant cinq ans, d’autant que cette démarche a un coût conséquent, en particulier en temps de crise ». Au niveau européen, Bruxelles attend le retour de la France pour voir si la démarche est généralisable.