Blé dur
La flambée a aussi une origine structurelle
Lors de leur traditionnelle rencontre annuelle, les opérateurs de la filière blé dur ont cherché à analyser cette campagne inédite en termes de prix
PRODUCTEURS et transformateurs de blé dur français se sont réunis, le 17 janvier à Labège (31), pour leur traditionnelle journée de filière. Cet événement, qui a établi une fréquentation record avec 380 participants pour sa 10 e édition, a été l’occasion de faire le point sur la première partie de campagne. Et quelle campagne pour un anniversaire ! Avec une explosion des prix, 2007/2008 restera dans les annales. Le fob Saint-Laurent, référence sur cet étroit marché mondialisé depuis 1992, est passé de 280 $/t en juin à plus de 800 $/t fin 2007 ! Les prix français n’ont eu qu’à s’aligner. De quoi réjouir les producteurs… et accabler les industriels. À l’export, si la tension n’a pas entamé la demande, la qualité handicape les blés français.
Le Canada aux commandes du marché
Avec des surfaces en hausse, à « des sommets proches des niveaux de 1991 », la filière s’attendait en France à une récolte d’environ 2,5 Mt, rappelle Philippe Braun d’Arvalis-Institut du végétal. Mais les rendements se sont avérés décevants et la récolte finalement « correcte » à moins de 2 Mt. Pas de quoi mettre le feu au marché. La flambée a des origines internationales, conjoncturelles et structurelles. Parmi les premières causes, le recul, pour la 4 e année consécutive, de la production mondiale (33,1 Mt contre 34 Mt en 2006/07), en particulier dans les zones de consommation. À cela s’ajoute le repli du stock de report des grands exportateurs (Canada, États-Unis, Europe). À 1,7 Mt, il chuterait « à son plus bas niveau depuis 40 ans, pour ne plus représenter que 5 % de la demande », contre 15 % ces 35 dernières années, rappelle Xavier Rousselin de l’OniGC. Le déficit de l’UE, première zone de production et d’utilisation, avoisine les 2 Mt. Cela devrait d’ailleurs conduire à un rééquilibrage entre l’export sur pays tiers et les ventes intracommunautaires. Les blés durs français partiraient, comme les espagnols, davantage sur l’Italie. Les importations depuis les pays tiers pourraient aussi progresser, à près de 100.000 t. Mais ces chiffres n’expliquent pas à eux seuls l’ascension ininterrompue ayant conduit les prix français de 190 €/t en juillet à 430 €/t en novembre. Cela tient plus à « la faible élasticité de la demande », analyse Xavier Rousselin. L’envolée des prix n’a en effet pas modéré la consommation. En Italie, les pâtes sont trop ancrées dans les habitudes alimentaires pour être évincées brusquement. En France, même avec des prix en hausse, ces produits demeurent bon marché. Et en Afrique du Nord, l’alimentation de base des populations s’appuit sur le blé dur. Ces dernières sont de surcroît préservées de l’inflation par des mesures gouvernementales : les droits à l’importation ont été supprimés au Maroc, la Tunisie subventionne la vente au détail des pâtes et couscous, et l’État algérien achète de gros volumes pour les revendre à bas prix aux industriels. La subvention est évaluée à 200 €/t.
Le fait qu’un seul pays, le Canada, assure 50 à 60 % des échanges internationaux, accentue la réactivité du marché. Avec les USA et le Mexique, l’Amérique du Nord concentre 75 % du marché. Celui-ci se montre donc très sensible aux évènenements affectant cette zone, et notamment aux incidents climatiques. Cela signifie aussi que plus de la moitié du marché est aux mains d’une seule structure, à savoir le Canadian Wheat Board. Celui-ci « a donc une influence incontestable sur les prix ». « C’est le directeur du CWB qui décide »! Ainsi, pendant la première partie de campagne, les opérateurs français appelaient directement Winnipeg pour connaître les cours.
Moindre qualité en 2007
Petits grains échaudés, couleur dégradée, mouchetage, germination, mycotoxines… la cuvée 2007 française réservait aussi de « relatives désillusions » qualitatives, comme le rappelle Philippe Braun d’Arvalis. Seul le Sud-Est a été épargné. En cause ? La météo. Après un hiver chaud et un stress hydrique en avril, les cultures ont subi un excès de pluies de mai à juillet. Résultat : un terrain propice aux maladies et une verse importante. La moindre qualité physique des grains a affecté l’activité d’export. Si les consommateurs italiens ont continué à acheter des blés français –pour leurs bons indices de couleur, teneurs en protéines élevées et qualité de gluten–, ils ont procédé à des assemblages avec des blés espagnols afin de compenser la moucheture. Le blé hexagonal n’a ainsi été incorporé qu’à 37-45 % contre 70 % l’an dernier.
Après « trois excellentes campagnes à destination de l’Afrique du Nord », le blé français y « trouve, en revanche en 2007/2008, difficilement sa place », selon l’OniGC. Il se heurte à la concurrence nord-américaine. Pour fournir aux opérateurs des critères de « comparaison objective » des différentes origines et défendre « concrètement les blés » français, les équipes d’Arvalis ont évalué des blés 2006 selon les méthodes françaises. Les Canadiens (CWAD 1, 2 et 3) se placent ainsi en tête des indices de jaune, premier critère retenu par les acheteurs du Maghreb. Mais les Français sont capables de fournir des blés de couleur proche, davantage en tout cas que les Américains. Si « des efforts sont possibles sur la vitrosité », Catherine Deschamps souligne que nos blés durs sont très bien situés en termes de teneur et surtout de qualité protéique. Un critère discriminant sur l’Italie, moins sur le Maghreb, où les attentes sont par ailleurs disparates selon les pays. Les Marocains sont les plus exigeants. Ils privilégient le CWAD 1, le top, pour confectionner leurs pains et couscous. Seul un différentiel de prix conséquent pourrait les faire opter pour l’origine française. Le niveau de fret constitue à cet égard une donnée primordiale.
Evolution difficile à anticiper
Avec de tels prix, « on s’attendait à n’avoir plus que du blé dur en France », lance avec humour le président du comité de pilotage de la filière, Jean-François Gleizes. Pourtant, les surfaces nationales reculent de 5 %, à 430.000 ha. Et pour cause, la flambée du blé dur n’était pas encore effective au moment des achats de semences. « L’écart avec le blé tendre était moins marqué qu’aujourd’hui », insiste Crystel l’Herbier d’Arvalis. L’effet dopant des cours sur les ensemencements devrait en revanche se faire sentir en Espagne et en Italie. Pour 2008/2009, la sole mondiale ne devrait plus régresser. De quoi aider le marché à se rééquilibrer... sauf caprice de la météo. Quoi qu’il en soit, la faiblesse des réserves devrait maintenir les prix sous tension. Mais l’hypersensibilité du marché rend toute prévision hasardeuse.