Insectes, vers une intégration en nutrition animale
La production industrielle de farines d'insectes pour l'alimentation d'animaux de rente présenterait un intérêt comme alternative au tourteau de soja, notamment, avec des taux moyens de protéines de 35 à 70%.
« Développer la consommation d'insectes pour l'alimentation humaine et animale est un sujet hautement sensible, notamment pour la FAO », a introduit Patricia Lecadre, directrice des études alimentation et filières animales au Céréopa, lors du débat “Les insectes intégreront-ils les aliments composés” de la journée Vigie matières premières, le 2 décembre à Paris. Le point sur l'intérêt et la faisabilité d'incorporer des farines d'insectes en nutrition animale.
En tant que source de protéines pour l'alimentation humaine et animale, 1.900 espèces d'insectes comestibles ont été recensées, mais en vérité, il y a très peu d'élues pour la fabrication industrielle de farines. Cinq espèces sont retenues, dont trois majeures car adaptées à nos conditions climatiques : la mouche soldat, la mouche domestique et le ver de farine. Nécessité pour les variétés sélectionnées : « supporter de fortes densités au mètre carré, ne pas être trop invasives, ne pas être cannibales, et être très homogènes sur leur stade de développement », explique Philippe Schmidely, professeur à AgroParisTech. Leur adaptabilité à différents substrats entre aussi en jeu.
Des taux moyens de protéines entre 35 et 70 %
La qualité principale des farines d'insectes réside dans leur taux moyen de protéines de 35 à 70 %. Seul bémol, cette forte variabilité intrinsèque pourrait poser problème pour les formulateurs qui ont un important besoin de stabilité. Sur l'équilibre en acides aminés, on retrouverait la même teneur en lysine que dans le tourteau de soja ou les farines de viande, mais un niveau inférieur aux farines de poisson. La digestibilité est équivalente à celle du tourteau de soja pour les volailles, avec un gradient supérieur pour les stades jeunes et inférieur pour les âgés.
Il reste encore beaucoup de recherches à mener. « Il nous faut notamment plus d'essais et de références. Nous n'avons quasiment aucune donnée sur les ruminants. Le plus grand nombre d'essais ont été faits sur les espèces naturellement consommatrices d'insectes, comme les poissons. Les taux d'incorporation vont de 20 à 40 %, avec au-delà une perte de rendement. On a également des données sur les volailles, avec une perte d'appétibilité au-delà de 30 %, ainsi que quelques chiffres sur les porcs », avance Philippe Schmidely. ”
“Il reste encore beaucoup de recherches à mener, notamment sur les ruminants.
« En ce qui concerne la durabilité de la production, il y a un rapport de 1 à 200 pour les surfaces utilisées entre une production de soja et de larves de mouche. Les insectes ont une très faible production de GES et une faible utilisation d'eau. Si les substrats sont des résidus organiques, il n'y a pas de concurrence avec l'homme ou d'autres productions animales. En revanche, ils ont des exigences thermiques très particulières. Par exemple, les mouches soldats ont besoin d'une température entre 27 et 40° C. Si on ajoute à cela les conditions de “mise à mort” et le process technologique derrière, la production d'insectes est plus énergivore que les productions laitière, porcine ou avicole. »
Nécessité d'un cadre réglementaire
« Il nous faut surtout une réglementation claire. C'est le principal frein. Aujourd'hui, les insectes ne sont pas considérés comme des ingrédients, donc ne sont pas utilisables en nutrition animale. Si c'était le cas, ils tomberaient dans la catégorie PAT (protéines animales transformées), soit la catégorie 3 des sous-produits animaux qui ne peuvent être utilisés dans l'alimentation d'animaux de rente depuis 2000, mis à part les farines de porcs et de volailles dans l'aquaculture depuis le 1er juin 2013. Il faudrait donc que les farines d'insectes soient reconnues comme une catégorie 3 à part. Par ailleurs, si les insectes deviennent des animaux d'élevage, ils pourraient tomber sous le coup de la réglementation bien-être animal, ce qui entraînera des conditions particulières d'élevage et d'abattage. Pour cette dernière étape, le plus éthique serait un refroidissement progressif et une congélation, ce qui coûte cher », argumente Philippe Schmidely. Néanmoins, cela pourrait aller vite. Lors d'un colloque international en mai 2014, les opérateurs tablaient sur une réglementation opérationnelle d'ici trois à quatre ans. Et le reste devrait suivre : production à grande échelle, baisse du coût de production, etc.
« Suite à une simulation sur l'incorporation de la farine de larve de mouche domestique dans un aliment pour daurade en fonction de son prix, réalisée au 1er novembre, le prix d'intérêt serait de 800 €/t pour un taux de 9-10 %. À 630 € – prix de la farine de viande à l'époque –, il pourrait monter à 30 %, et jusqu'à 40 % pour 350 €/t – le prix du soja à l'époque –, explique Philippe Schmidely, professeur à AgroParisTech. Pour des poules pondeuses, à 350 €/t, on aurait un taux d'incorporation de 12 %, soit une baisse maximale de 14 % sur le prix de l'aliment. Avec des mouches soldats, le taux serait de 9 % et la baisse maximale de 7 %. Il y a donc des opportunités ». Tout dépend, principalement, de la conjoncture du soja. La production industrielle, de type bio-raffinerie, permet également de générer un certain nombre de coproduits, dont de l'huile pour la production de biodiesel, des antimicrobiens, et des fertilisants, voire des stimulateurs de plantes.