Inra : agriculture et biodiversité, quelles recherches?
Après la conférence internationale organisée à Paris en janvier, l’Inra a décidé de faire de la biodiversité son sujet de prédilection lors du Sia.
COMMENT évaluer les impacts réciproques entre l’activité humaine et la biodiversité ? Comment développer des pratiques favorables ? Comment utiliser la biodiversité dans les cycles de l’eau ou du carbone ou vis-à-vis des espèces invasives ? Voilà quelques questions auxquelles l’Inra tentera de répondre sur son stand du Salon international de l’agriculture (Sia) à Paris du 26 février au 6 mars. «L’Inra est extrêmement impliqué dans ce dossier, assure Marion Guillou, présidente de l’Inra. L’agriculture intensive a un impact négatif en réduisant le nombre de races et de variétés utilisées. Mais, dans le même temps, la diversité du vivant est un enjeu majeur pour l’avenir de l’agriculture et cette dernière a su maintenir une diversité sur les territoires français. Nous avons comme objectif de construire des systèmes dont l’impact positif est avéré (haies, bandes enherbées, prairies,...) et de protéger les ressources génétiques.»
Biodiversité, à la fois menacée et préservée par l’homme
On assiste à une érosion accélérée de la biodiversité. Parmi les causes d’origine humaine : l’urbanisation, l’aménagement du territoire, l’industrialisation, l’agriculture, le tourisme ou l’exploitation par cueillette, pêche, commerce des animaux… peuvent être néfastes pour la biodiversité. On cite souvent l’intensification et l’organisation de l’agriculture comme un facteur important de la transformation des communautés d’êtres vivants et des milieux, favorisant des écosystèmes, des cycles biologiques et des espèces plus productives parfois au détriment d’autres espèces. L’aménagement rural peut également jouer un rôle négatif : drainage et assèchement des zones humides, irrigation, remembrement ou création de routes… Le réchauffement climatique pourrait également constituer une cause majeure de perte de diversité car la modification trop rapide des paramètres climatiques condamne les espèces qui ne peuvent s’adapter ou migrer assez rapidement. Les échanges internationaux favorisent l’introduction d’espèces envahissantes ou de pathogènes exotiques qui modifient l’état des écosystèmes. Les travaux de l’Inra, en collaboration avec d’autres organismes de l’Etat (Services de la protection des végétaux…), visent à mettre au point des outils pour détecter ces organismes de façon précoce et limiter leur expansion, voire la prévenir. De nouvelles maladies ou espèces envahissantes sont ainsi étudiées à l’Inra : la chrysomèle du maïs, la mineuse du marronnier, la graphiose de l’orme ou le virus du Nil… L’homme peut être à l’origine d’une sélection de biodiversité qui s’avère négative (par exemple sélection de pathogènes résistants aux pesticides ou aux médicaments vétérinaires, sélections de races de pathogènes agressives vis-à-vis de variétés résistantes…). Les recherches de l’Inra dans ce domaine sont extrêmement importantes puisqu’elles visent à connaître les mécanismes moléculaires et populationnels à l’origine de cette sélection et à les utiliser pour empêcher l’expansion de ces nouveaux organismes.
L’action de l’homme n’est pas toujours négative : les activités humaines, à leur façon, créent aussi de la biodiversité. Ainsi l’agriculture a engendré la création de nouvelles variétés de plantes, de nouvelles races animales, et de nouveaux ferments pour l’industrie agro-alimentaire… Les espaces gérés par les agriculteurs (les deux tiers du territoire en France) peuvent générer ou tout au moins favoriser une biodiversité. Les paysages ruraux et leurs agencements particuliers créés par l’homme hébergent une flore et une faune importantes : bocages, prairies, marais, chemins, murets, lisières, bosquets, réseaux hydrauliques, jachères… Dans notre pays, les prairies permanentes jouent un rôle très important pour la biodiversité. C’est dans ces prairies, par exemple les pelouses calcaires ou les parcours méditerranéens, que l’on trouve la majorité des espèces végétales précieuses de France. Leurs sols abritent également une biodiversité remarquable et insuffisamment connue.
Préserver et gérer la biodiversité
La protection de la biodiversité fait partie des objectifs de recherche de l’Inra, objectif d’autant plus impérieux que la disparition d’espèces ou d’écosystèmes peut avoir un caractère irréversible. L’un des modes de préservation de la biodiversité consiste en la mise en place volontaire de collections dites ex-situ. Les espèces sont prélevées de leur milieu pour être conservées ou multipliées dans des banques ou des collections créées spécialement (sans oublier les collections d’insectes et les herbiers). Leur création répond à un double objectif pour l’Inra : la préservation du patrimoine biologique et la possibilité d’augmenter la biodiversité par la création de nouvelles variétés et races. L’Inra a une expertise et un savoir-faire uniques dans la connaissance et la gestion des ressources génétiques végétales : il s’est résolument engagé dans la mise en place de Centres de ressources génétiques en 2001. Des moyens importants ont permis de professionnaliser le dispositif : sécurisation du stockage des semences à basse température, amélioration de la multiplication des espèces pour éviter les pollutions génétiques (pour le tournesol, les choux, le melon…), protection des collections contre les maladies.
Un exemple, le Centre de ressources génétiques “céréales à pailles”
Le Centre de ressources biologiques (CRB) des céréales à pailles de Clermont-Ferrand regroupe les espèces majeures d’intérêt agronomique des genres Triticum (blé), Hordeum (orge), Secalae (seigle), Triticosecalae (triticale) et Avena (avoine), et leurs apparentées sauvages. Une partie des accessions conservées concerne des ressources génétiques “patrimoniales” (variétés populations, lignées de sélections, lignées élites fixées), qui représentent environ 10.000 blés, 6.300 orges, 1.000 triticales, 800 avoines et 50 seigles.
Le CRB gère également près de 10.000 accessions d’intérêt scientifique dédiées aux études de génomique ; il s’agit de tout un cortège de matériel scientifique : lignées porteuses de caractères particuliers comme des résistances aux maladies, matériel d’intérêt cytogénétique et moléculaire, population de cartographie génétique, mutants de délétion, etc.
La collection de blé de l’Inra est l’une des premières collections européennes. Les blés tendres représentent le plus gros des effectifs de ressources génétiques (près de 4.000 sont d’origine française sur les 10.000). Cette collection rassemble la quasi-totalité des blés français, depuis les populations utilisées au XVIIIe siècle jusqu’aux variétés les plus récentes, permettant ainsi de retracer l’histoire française de la sélection sur cette espèce. Elle contient en outre des variétés et des lignées de sélection issues d’une soixantaine de pays étrangers, ce qui en fait l’une des premières collections européennes. Les espèces sauvages apparentées autrefois maintenues et évaluées à Rennes, sont en cours d’intégration dans le dispositif de Clermont-Ferrand pour leur conservation et distribution. Pour les blés durs, la collection est en cours de caractérisation et de multiplication à Montpellier, et sera transférée prochainement à Clermont-Ferrand. Le matériel végétal “blé scientifique”, dédié aux études cytologiques et de génomique, représente une part croissante des accessions conservées (6.500 à ce jour). Sur la totalité du matériel conservé à l’Inra de Clermont-Ferrand, environ 10% de ces collections sont intégrés dans le dispositif national de conservation des ressources génétiques des céréales à pailles (BRG-Inra-Geves).
Pourquoi conserver la biodiversité ? Ce centre de ressources génétiques a pour but de décrire, maintenir, et conserver la diversité parmi les différentes espèces de céréales à pailles, afin de la rendre rapidement disponible auprès des différents utilisateurs autant en France qu’à l’étranger (chercheurs, sélectionneurs privés ou publics, agriculteurs, associations…), sous forme d’envoi d’échantillons de semences. C’est également un outil précieux pour les chercheurs qui travaillent à l’amélioration des plantes et la création de variétés.
Le blé Farandole est ainsi né du croisement de plusieurs lignées conservées dans les collections. Créée à l’Inra de Dijon et inscrite en septembre 1999, Farandole est un blé tendre panifiable, qui présente des qualités de rusticité (résistance au froid) et de résistance aux maladies telles que la septoriose, le piétin-verse et les rouilles. Farandole a montré son avantage économique et environnemental dans le cadre d’une utilisation d’itinéraires techniques plus économes en intrants chimiques (engrais et produits phytosanitaires).