Gouvernance
Des politiques agricoles fortes à l’échelle mondiale, seul moyen d’assurer la sécurité alimentaire
Réunis à l’occasion d’une conférence de presse, des économistes et les dirigeants de Sofiprotéol ainsi que l’ancien ministre Henri Nallet ont débattu des solutions possibles à la crise alimentaire.

Nouvelle donne. En moins de quarante ans, l’agriculture mondiale s’est considérablement métamorphosée. L’apparition de nouvelles puissances agricoles dans l’hémisphère Sud, l’émergence d’une demande nouvelle en Asie, « pompe aspirante des produits agricoles », le réchauffement climatique ou encore la libéralisation accrue des marchés ont bouleversé le paysage économique de l’agriculture mondiale et ses pratiques. C’est d’autant plus vrai en Europe, « passée du stable à l’instable » selon Philippe Chalmin, avec la disparition progressive des soutiens et des outils de marché de la Pac. Et malgré la progression de l’offre continue, l’explosion de la demande, avec des changements de régime alimentaire dans les pays en forte croissance (Inde et Chine principalement), et l’irrégularité de la production mondiale ont conduit à une grande instabilité des prix qui génère des émeutes de la faim. Invités à réfléchir au cours d’une table ronde aux « nouveaux équilibres agro-alimentaires mondiaux », Philippe Tillous-Borde, directeur général de Sofiprotéol, et Xavier Beulin, président de la FNSEA et de Sofiprotéol, ont confronté le 30 janvier à Paris leurs visions avec Philippe Chalmin, Pierre Jacquet et Olivier Pastré, tous trois économistes.
L’importance des politiques agricoles face aux limites du libéralisme
« Dans les pays du tiers monde, les politiques nationales ont été les premières victimes des programmes structurels insufflés par le FMI ou la Banque mondiale. Tous les pays du tiers monde devraient avoir une Pac version 1958 », assure Philippe Chalmin, professeur d’économie à Paris Dauphine, illustrant là le changement de position qui s’opère doucement depuis quelques années parmi les plus grands partisans du tout marché. « Le marché libre et parfait ne fonctionne pas, d’ailleurs il n’a jamais été réellement libre et parfait », estime pour sa part Olivier Pastré, professeur d’économie à Paris VIII. « Il faut privilégier le protectionnisme et la fixation des prix », a-t-il ajouté. Mais ces politiques ont un coût. Car ce sont bien les contribuables européens et américains qui ont financé la Pac et le Farm Bill. « Comment faire dans ces pays où les consommateurs n’ont pas d’argent ? », s’est interrogé Philippe Chalmin. Les moyens à engager ne seraient pas insurmontables. Pour Olivier Pastré, il suffirait de débloquer un peu plus de 2 Md€ pour structurer et apporter de l’information sur les marchés locaux des pays pauvres, faire progresser l’aide à l’investissement, ou encore développer des outils de stockage. « Avec une perte de 30 % de la production mondiale chaque année par le manque de capacités de stockage », comme l’a rappelé Philippe Tillous-Borde, ce dernier élément apparait fondamental. Mettre en place des marchés locaux est la seconde priorité. « Il ne faut pas imposer une Pac mais commencer par organiser les marchés locaux avec des protections juridiques. Cette démarche est déjà un acte de politique publique. Et c’est grâce à cela que l’on pourra développer l’agriculture dans ces pays », a expliqué Pierre Jacquet, économiste en chef à l’Agence française de développement (AFD). Pour lui, l’important n’est pas de produire plus, mais de faire en sorte que les aliments soient disponibles au bon moment et surtout au bon endroit, d’où l’importance d’augmenter la production dans ces zones. L’ancien ministre de l’Agriculture français et garde des Sceaux, Henri Nallet, a ajouté qu’il ne fallait « pas oublier les volets de l’encadrement et de la formation ».
Biocarburants et finance, deux facteurs d’instabilité
Les biocarburants, qui rentrent en compétition avec les cultures alimentaires, ont suscité quelques réserves. « Le principal problème concernant ces nouvelles productions est l’allocation des terres à l’échelle mondiale », estime Pierre Jacquet, ajoutant qu’il « fallait également s’interroger sur l’usage des terres agricoles liées à l’exportation ou transformées pour construire des logements. ». Le président de la FNSEA et de Sofiprotéol, Xavier Beulin, a pour sa part argué qu’en France, « seulement 2 % des terres agricoles étaient occupées par des cultures énergétiques, alors qu’il y a encore quelques années, la jachère en occupait 15 % ».
Autre vecteur d’incertitude, la volatilité des matières premières agricoles. Sur ce point, l’ancien ministre de l’Agriculture s’est montré des plus fatalistes : « Sur la volatilité des matières premières agricoles, le politique ne peut rien. » Pour autant, les variations de cours n’ont pas le même impact sur toutes les agricultures. Le monde est instable mais, il l’est plus pour certains que pour d’autres, a estimé Olivier Pastré. « Un agri-culteur des pays développés peut s’en sortir alors que celui des PVD ne le peut pas », a confirmé Philippe Chalmin. « Le G20 a mis le doigt sur quelque chose d’important mais il reste beaucoup à faire », a jugé Philippe Tillous Borde.