comment l’appliquer au pain ?
comment l’appliquer au pain ?
Notre comportement alimentaire étant dicté par nos sens, voici des astuces qui aideront notre boulanger à nous faire aimer le bon pain.
«EN MATIÈRE de qualité sensorielle, ce que perçoit le consommateur par ses cinq sens est, pour lui, la vérité.» C’est en ces mots que Joseph Hossenlopp, analyste sensoriel, a débuté son exposé sur “La communication sensorielle” dans le cadre des Journées techniques des industries céréalières qui se sont déroulées en novembre dernier, sous l’égide de l’Aemic. L’objectif de la présentation était de donner aux professionnels de la panification “des recettes” pour valoriser la diversité de leur offre auprès des consommateurs en émoustillant leurs sens.
Les propriétés de nos sens
En premier lieu, il faut savoir que nos sens sont sensibles aux différences (ce que les spécialistes appellent l’amplification de contraste). «Ils ne fonctionnent pas dans la durée mais dans la variation», explique Joseph Hossenlopp. A partir du moment où le signal est continu, on ne le ressent plus. «Un pain en valeur absolue suppose une mémorisation qu’ont les experts mais pas forcément les consommateurs, alors qu’en mémoire immédiate n’importe qui peut sentir des différences», précise le sensorialiste. Une idée concernant la présentation des pains serait donc de faire des simulations contrastées. En effet, c’est à partir du moment où l’on met en évidence des différences, que l’on peut s’en apercevoir.
Ensuite, sachant que la variation stimule les sens donc attire l’intérêt, il faut jouer sur la diversité des produits de panification offerts au consommateur pour créer l’attention et ainsi générer des envies. Toute mise en scène de pains différents, agréable à l’œil, incitera le consommateur à négliger sa baguette quotidienne pour se laisser tenter par un nouveau pain, qui lui paraît “plus appétissant”.
Enfin, la mémoire permettant l’anticipation d’un sens à l’autre, c’est la belle croûte dorée qui craquera sous ses dents, qui permet au consommateur d’imaginer la mie savoureuse qu’elle cache. A la vue, il a de fait associé un goût, mémorisé lors d’expériences passées. Et c’est cette correspondance de sensations, qui décide l’amateur à sauter le pas et s’offrir un pain “si alléchant”.
La place de la perception dans le comportement alimentaire
Après avoir posé les mécanismes de fonctionnement de nos sens, on peut maintenant chercher à comprendre la place de la perception dans le comportement alimentaire.
Un consommateur reprendra d’un aliment s’il a considéré a posteriori que son ingestion et sa digestion lui ont fait du bien. «Ce sont les perceptions (voir, écouter, sentir, toucher, goûter) et les effets post ingestion (sur la faim, la soif, la santé,…) qui sont à l’origine de la décision d’en remanger», précise l’analyste sensoriel. Ce qui est considéré comme bon par une personne lui est appris par l’expérience. De fait, si l’on reprend notre exemple du pain, il n’existe pas un taux de sel de référence, pour qu’un pain soit bon ou pas, sur le plan sensoriel s’entend. Cela s’apprend par une longue pratique. Ceux qui ont toujours été habitués à un taux de sel élevé joueront de la salière, les autres diront que c’est trop salé. L’apprentissage du goût passe donc par une démarche individuelle, qui fait appel à l’acquis des autres (la mère, la famille, les professionnels, la société)… «Et qui pourrait passer par les boulangers, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle», insiste Joseph Hossenlopp, quitte à choquer son auditoire principalement composé d’acteurs de la filière blé-farine-pain. «Les références alimentaires font parties intégrantes de la culture, poursuit-il. Et ce que je ne connais pas, je ne mange pas». D’où l’intérêt de faire déguster des pains comparativement, avec l’idée sous-jacente de faire “expérimenter” pour apprendre à “aimer”. Aider à la découverte, c’est expliquer pour sécuriser le consommateur et le stimuler à acheter autre chose. Le boulanger doit trouver des situations où il peut aider le consommateur à s’ouvrir à d’autres sensations. Donner une leçon de panification à des élèves de primaire, distribuer des échantillons, faire des dégustations commentées, trouver des accompagnements originaux (association pain/fromage) ou rehausser des buffets campagnards avec des pains divers…, voilà autant de moments privilégiés qui permettront au boulanger d’informer et de former une clientèle potentielle, en enrichissant son patrimoine sensoriel.
La compréhension du comportement alimentaire passe aussi par la notion de centre de plaisir, matérialisé par notre hypothalamus. «Nous avons tous un centre de plaisir, qui est stimulé positivement ou négativement par nos sens», explique le sensorialiste. Le plaisir de manger découle de la combinaison de trois facteurs : le produit, certes, mais également le contexte et l’état interne de la personne. Appliqué à l’univers de la panification, «c’est ce que l’on pourrait appelé la “Trinité” ou les “trois P”» : le Pain (sa présentation, son aspect, ses sensations en bouche, l’anticipation de ses effets physiologiques,…), la Place (le cadre de consommation ou d’achat, l’ambiance, les relations avec le vendeur,…) et la Personne (ses expériences passées, son état de satiété et de santé, son humeur,…). «Si la ménagère est garée en troisième file devant la boulangerie, l’acte d’achat sera conditionné par son état de stress : elle ira directement vers sa baguette traditionnelle, sans un regard vers les multiples pains qui lui tendent les bras», imagine —non sans humour— Joseph Hossenlopp. Pour amener le consommateur à expérimenter d’autres produits de panification, que son éternel “pain-pas-trop-cuit”, les professionnels ont tout intérêt à lui présenter leur offre dans un endroit pittoresque, dont l’ambiance déstressante l’incitera à savourer sereinement les différents produits, exposés de façon gourmande. Car, «dans un tel environnement, le pain ne peut être que bon», commente-t-il.
Existe-t-il un profil idéal du pain ?
Ces considérations mises à part, existe-t-il un profil idéal du pain en terme de communication sensorielle ? Autrement dit peut-on en déterminer les propriétés sensorielles type ? Une expérience, menée à la demande d’un fabricant sur le thème : “Quelle est la bonne baguette ?”, a donné des résultats pour le moins surprenants au premier abord. Un échantillon de seize personnes, comprenant des consommateurs et des professionnels (distributeurs et boulangers), a testé six baguettes, dont les différences sensorielles et technologiques étaient importantes. «Aucun accord et aucune homogénéité de comportement en a résulté», affirme l’analyste sensoriel. «Il n’y a pas de bon pain idéal : ce que les consommateurs aiment sur l’extérieur, ils ne l’aime pas de l’intérieur ; ce que les professionnels disent être bon, ne l’est pas pour les consommateurs, etc.» Sur seize personnes, il n’a donc pas été possible de définir les critères du pain idéal.
«Aussi peut-on dire que le bon pain est celui que vous avez appris à aimer et que vous avez apprécié dans un contexte donné», conclut Joseph Hossenlopp. Et d’ajouter : «La grammaire du comportement alimentaire, dont je vous ai donné les principales règles (l’apprentissage du goût et les “trois P”), peut vous aider à communiquer sur la qualité sensorielle et hédonique du pain». Un outil, simple, au service des professionnels de la panification… qui vont avoir du pain sur la planche !