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Bioéthanol : la montée en puissance d’une filière agricole

«Dans un contexte de marché céréalier particulièrement difficile, le bioéthanol offre des perspectives que nous devons absolument cultiver.»

POUR LE PRÉSIDENT d’Arvalis, Christophe Terrain, c’est clair : «si beaucoup reste encore à faire, nous devons œuvrer au quotidien pour démocratiser les biocarburants issus notamment des céréales de nos terroirs». L’institut du végétal qui, en coordination avec les organisations professionnelles agricoles, s’emploie à conforter les connaissances sur le bioéthanol de céréales, a profité du Sima pour diffuser au plus grand nombre les résultats de leurs derniers travaux en la matière. L’occasion également de revenir sur le cadre réglementaire et fiscal en France et dans l’Union européenne.

Des atouts environnementaux et économiques…

La filière bioéthanol de céréales répond à trois enjeux majeurs : un impact environnemental réduit par rapport aux carburants fossiles, le développement d’une activité économique source de recettes directes ou indirectes pour l’Etat, la création et le maintien d’emplois dans les régions de production. Autant d’atouts mis en valeur par une série d’études, sur lesquelles a travaillé Arvalis-Institut du végétal.

Le bioéthanol a été décrié jusque dans les années 90 avec un seul argument, aujourd’hui réfuté : sa fabrication nécessitait une dépense énergétique supérieure à l’énergie produite. Cette ambiguïté a été levée par différents rapports américains et anglais, mais aussi grâce à une étude menée en 2002 – et complétée au premier semestre 2004 – sur la production française par PricewaterhouseCoopers, financée par l’Ademe Ademe : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. et la Direm Direm : Direction des ressources énergétiques et minérales du ministère de l’Industrie..

L’étude a montré que, au regard de la production actuelle, la filière bioéthanol de blé restitue deux fois plus d’énergie qu’elle ne consomme d’énergie d’origine non renouvelable (données 2002). Elle a également montré que dans le cadre d’un scénario prospectif (horizon 2010) incluant la construction de nouvelles unités de production de bioéthanol de blé, ce rapport s’améliorera rapidement pour atteindre 3,5 fois plus d’énergie restituée par le bioéthanol qu’il n’a fallu d’énergie non renouvelable pour le fabriquer. Appliquée à l’essence, cette évaluation est moins performante : on consomme 1,25 fois plus d’énergie non renouvelable pour produire de l’essence que d’énergie contenue dans cette même essence. En plus d’un bilan énergétique positif, le bioéthanol se targue de pouvoir réduire les émissions de gaz à effet de serre, grâce au caractère renouvelable de la biomasse dont il est issu.

Ses atouts ne peuvent se réduire au seul impact environnemental. Les effets économiques induits sont multiples et relèvent tant des recettes fiscales, de l’emploi que de la valorisation des drêches (co-produits riches en protéines) ou encore de l’indépendance énergétique. Ainsi la richesse créée par la filière bioéthanol de blé – plus importante que celle produite par le carburant traditionnel – se répartit-elle de façon plus équilibrée entre les différents acteurs de la filière.

… mais un cadre réglementaire et fiscal à adapter

Malgré ses avantages indéniables la filière française du bioéthanol peine à se mettre en place. Pour pouvoir honorer les objectifs européens à l’horizon 2010 – à savoir, l’incorporation à hauteur de 5,75% de biocarburant dans leur homologues fossiles –, la production nationale actuelle va devoir tripler. Cependant, le monde agricole est toujours dans l’attente d’un cadre réglementaire et fiscal adapté…

Depuis 2003, les biocarburants sont revenus sur le devant de la scène. En effet, c’est à cette date que deux directives européennes ont défini un cadre et des objectifs d’utilisation. La première, du 8 mai 2003, a permis de fixer des objectifs indicatifs d’incorporation dans les carburants d’origine fossile. De 2% en 2005, le taux devra passer à 5,75% dès 2010. D’après la réglementation européenne actuelle, les biocarburants peuvent être déjà utilisés en mélange à hauteur maximum de 5% de biodiesel dans le gazole et de 5% d’éthanol ou de 15% d’ETBE dans l’essence, sans nécessité de le mentionner. La seconde mesure, du 27 octobre 2003, vise à permettre une défiscalisation de ces biocarburants incorporés. Chaque Etat a la liberté de prendre ses dispositions fiscales pour atteindre de manière globale les objectifs fixés par l’Europe.

Aujourd’hui, les pouvoirs publics français affichent une certaine volonté quant au développement de cette filière d’avenir. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin annonçait, le 7 septembre 2004 à Venette (Oise), un triplement de la production française de biocarburants (soit 800.000 t en plus), pour un total de 1,28 Mt produites d’ici 2010, au lieu des 480.000 t actuelles. De plus, la France a mis les biocarburants en bonne place dans sa politique énergétique. Dans la loi d’orientation sur l’énergie datant de mai dernier, l’Etat s’est engagé à «créer les conditions permettant de répondre aux exigences des directives européennes». Par ailleurs, le Plan Climat adopté en juillet dernier, indique que les biocarburants doivent jouer un rôle stratégique pour réduire l’émission des gaz à effet de serre. Enfin, conformément à la disposition de l’article 32 de la Loi de Finance 2005, l’agrément pour 130.000 t supplémentaires de biocarburants devrait se traduire, dès cette année, par un doublement de la production de bioéthanol, soit 2,5 Mhl (200.000 t), à partir de céréales et de betteraves dans les unités existantes. Les surfaces de betteraves dédiées au bioéthanol devraient passer en conséquence de 10.000 à 20.000 ha et celles de blé de 15.000 à 30.000 ha. Le 2 février 2005, le Premier ministre a annoncé l’agrément de 320.000 t pour la filière bioéthanol.

Cette annonce permettra aux investisseurs de concrétiser certains de leurs projets : fin janvier, trois dossiers étaient en lice dans l’Hexagone. Deux utiliseraient à la fois du blé et de la betterave et la troisième, du maïs. Cristal-Union, qui regroupe des coopératives betteravières de la région Champagne-Ardenne étudie actuellement l’implantation d’une usine à Bazancourt, près de Reims (Marne). La capacité maximale pourrait atteindre les 3 Mhl par an. Une deuxième nouvelle usine pourrait voir le jour à Lillebonne (Seine-Maritime), sous l’impulsion du groupe Tereos, sur le site de l’une des plus grosses usines de production d’alcool de synthèse. Une troisième unité d’éthanol, de 180.000 t, devrait s’installer à Pardies, dans le Sud-Ouest, dans le cadre du projet qu’AB Bioenergy France compte présenter au gouvernement en vu de l’obtention d’un agrément. Cette usine serait la première, à l’échelle européenne, à utiliser du maïs. Sa mise en production serait prévue en 2007 et les 400.000 t de maïs transformées par an proviendraient des collecteurs d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées. Un quatrième projet devrait voir le jour en Alsace. Enfin, des industriels de l’amidonnerie développent leur production d’éthanol, comme Tate & Lyle Food & Industrial Ingredients Europe (ex-Amylum), ou projettent d’y investir, à l’image de Roquette sur son site de Beinheim.

Les biocarburants restent, malgré tout, handicapés par leur prix par rapport aux carburants fossiles. Le coût de production des biocarburants avant défiscalisation se situe autour de 0,45 E/l quand le prix de vente hors taxe des carburants en France oscillait en 2003 entre 0,24 et 0,36 E/l.

Avec de plus grandes capacités, de meilleurs rendements et la baisse des frais d’amortissements, les coûts de production seront moins élevés. Pour l’heure, pour pouvoir se développer et présenter un avantage certain par rapport aux carburants classiques, il est vital que les filières concernées puissent bénéficier d’un avantage fiscal. Sans aide, les biocarburants deviennent compétitifs quand le prix du baril de pétrole dépasse les 45-50 $ (pour 1 E = 1,3 $). Si l’Espagne et l’Allemagne ont déjà franchi le pas en matière de défiscalisation, la France se met dans le rang progressivement. Le bioéthanol bénéficie depuis fin 2002 d’une réduction de 37 E/hl de la taxe intérieure de consommation (Tic), soit une taxe effective de 22 E/hl faisant de lui le carburant alternatif le plus taxé loin devant le GPL et le GNV.

Appuyé par les pouvoirs publics, l’avenir des biocarburants – et du bioéthanol en particulier – se jouera vraisemblablement en 2005 : les députés ont voté un amendement (art. 32 de la Loi de finance 2005) instituant une nouvelle taxe sur les carburants, au titre de la TGAP. Celle-ci varie selon le niveau d’incorporation de biocarburant dans le gazole ou l’essence. Persuasive (elle passera de 1% en 2005 à 5,75% en 2010), elle vise à doper la filière en saturant les capacités de production actuelles et en offrant des perspectives durables aux investisseurs.

Reste à savoir si les pétroliers se plieront à ces nouvelles règles du jeu ou s’ils préféreront passer à la caisse, sans rien changer à leurs habitudes.

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