La Commission européenne projette de taxer les engrais russes : les producteurs sont vent debout
Le 14 mars, le Coreper (Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres de l’Union européenne) doit se prononcer sur la proposition de la Commission européenne de taxer lourdement les importations d’engrais russes et biélorusses. Les associations de producteurs s’inquiètent et demandent des mesures d’assouplissement sur les autres fournisseurs de l’Union européenne.
Le 14 mars, le Coreper (Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres de l’Union européenne) doit se prononcer sur la proposition de la Commission européenne de taxer lourdement les importations d’engrais russes et biélorusses. Les associations de producteurs s’inquiètent et demandent des mesures d’assouplissement sur les autres fournisseurs de l’Union européenne.

Les fabricants européens d’engrais s’inquiétaient déjà l’été dernier de la concurrence des engrais russes sur le marché européen, sur fond d’envolée des prix. « Les importations d’urée, à 4 Mt avant le conflit, ont ainsi augmenté à 6 Mt, sans reflux significatif depuis 2023 », a ainsi déclaré Renaud Bernardi, directeur commercial de LAT Nitrogen France et membre du bureau de l’Unifa (Union des industries de la fertilisation). La Commission européenne a ainsi proposé le 28 janvier 2025 une augmentation à 6,5 % auquel s’ajouteront des montants croissants partant de 40 €/t au 1er juillet 2025 à 430 €/t au 1er juillet 2028, sur les engrais russes et biélorusses entrant dans l’Union européenne. Le Copa-Cogeca (Comité des organisations professionnelles agricoles et Confédération générale des coopératives agricoles de l’Union européenne) se sont dressés contre cette mesure, de même que l'AGPB (Association générale des producteurs de blé) en France.
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L’AGPB demande le report d’un an de la mesure et la levée des taxes à l’importation sur les autres origines
« Nous demandons la suppression des taxes à l’importation de 6,5 % assorties de 40 €/t déjà existantes sur la solution azotée et un délai d’un an avant la mise en application du paquet de sanctions contre la Russie et la Biélorussie », s’exclame Cédric Benoist, secrétaire général adjoint de l’AGPB en charge des dossiers européens. L’association de producteurs demande à « ne pas affoler les marchés », quelques mois avant le début du marché morte saison pour les achats d’engrais, ainsi que l’ouverture du marché européen aux fertilisants provenant des États-Unis et de Trinidad-et-Tobago, en cohérence avec leur combat mené dans ce sens depuis quatre ou cinq ans.
Pour Manon Castagné, chargée de plaidoyer Souveraineté alimentaire et Climat pour l’association des Amis de la Terre, l’organisation est « satisfaite de cette nouvelle taxe, mais nous souhaitons éviter un déplacement du flux d’importations vers d’autres pays belliqueux ».
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Les organisations de producteurs s’inquiètent de l’impact possible sur l’approvisionnement des agriculteurs
Pour le Copa-Cogeca comme pour l’AGPB, la principale crainte concerne le risque de hausse des prix des engrais sur le marché européen et de ce fait l’impact sur les producteurs. « Nous risquons de nous retrouver isolés du monde en ce qui concerne les engrais », s’alarme Cédric Benoist. « Ce n’est pas aux agriculteurs d’assumer les coûts de choix politiques », ajoute-t-il. Selon lui, le risque d’effet ciseau coût de production-prix du blé risque de toucher de plein fouet les agriculteurs, et ce, alors que les résultats des exploitations de l’Otex 15 (céréales et oléoprotéagineux) ont été catastrophiques. « Les agriculteurs risquent de lever le pied, ce qui aura un effet sur les rendements et la qualité », alerte-t-il.
Du côté de l’association des Amis de la Terre, si l’organisation se réjouit de cette mesure, elle souhaite tout de même tirer la sonnette d'alarme. « Le risque de cette mesure est la flambée des prix des engrais, avec un cumul de taxes qui mettrait en difficulté les agriculteurs », s’inquiète Manon Castagné. Pour elle, la priorité se situe plutôt dans l’accompagnement des agriculteurs à la baisse de leur consommation d’engrais de synthèse. « Le plan engrais du gouvernement français, motivé par le début du conflit avec la Russie, est resté dans les cartons avec les changements de gouvernements successifs. La hausse des prix des fertilisants risque d’être trop brutale pour les agriculteurs », soutient-elle.
Quel avenir pour la mesure d’ajustement carbone aux frontières ?
Concernant la mesure d’ajustement carbone aux frontières (MACF-CBAM) qui devrait concerner à partir du 1er janvier 2026 les importations d’engrais dont la production est située dans des pays où les normes d’émissions de gaz à effet de serre sont plus importantes qu’en Europe, la Commission européenne souhaite alléger la mesure et introduire un seuil de 50 tonnes par importateur, « ce qui exclurait 90 % des importateurs, principalement des PME, "tout en couvrant plus de 99 % des émissions concernées", assure Bruxelles », selon une information relayée par nos confrères d’Agra.
Cédric Benoist se montre dubitatif sur l’application de cette mesure : « vu le changement de logiciel de la Commission européenne, je ne vois pas comment la CBAM pourrait s’appliquer », affirme-t-il.
Pour les Amis de la Terre, « cette mesure doit être ajustée concernant les engrais, car ils revêtent une importance pour notre souveraineté alimentaire et leur importation ne relève pas des mêmes enjeux que les matériaux de l’industrie lourde, aussi touchés par la mesure », affirme Manon Castagné.
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Pour Renaud Bernardi, directeur commercial de LAT Nitrogen France, les prix des engrais devraient rester stables en 2025
Lors d'une intervention organisée par FranceAgriMer sur le Salon international de l’agriculture SIA 2025, Renaud Bernardi, qui est par ailleurs membre du bureau de l’Unifa, a indiqué croire à une stabilité des prix des engrais sur l’année 2025. « Ceux-ci devraient rester élevés, car nous ne prévoyons pas d’amélioration sensible des prix du gaz naturel en 2025 », a-t-il déclaré. Les stocks et réserves d’engrais sont de plus faibles en Europe. L’Inde, fortement importatrice, continuera à tirer vers le haut la demande mondiale en urée jusqu’à la fin 2025. Et ce, alors que le marché européen ne dicte pas le marché mondial. « Le niveau de production a aussi baissé avec un changement dans les comportements d’achat des agriculteurs. Ceux-ci achètent moins à l’automne, espérant une baisse des prix au printemps, ce qui nous conduit à baisser notre production à l’automne tandis que celle du printemps ne peut pas être augmentée », a-t-il signalé.