Hausse des coûts, baisse des tarifs : la méthanisation agricole prise en étau
Après une phase de fort développement, tiré par l’injection, la méthanisation agricole connaît un coup d’arrêt provoqué par l’abaissement des tarifs d’achats. La filière s’inquiète pour son avenir.
Après une phase de fort développement, tiré par l’injection, la méthanisation agricole connaît un coup d’arrêt provoqué par l’abaissement des tarifs d’achats. La filière s’inquiète pour son avenir.
Quel paradoxe ! Alors que la guerre en Ukraine a chauffé à blanc l’enjeu de l’approvisionnement énergétique européen, la méthanisation agricole française est au point mort, et son avenir est incertain. Le revers de la médaille d’une histoire qui a trop bien marché ? Les pouvoirs publics ont en effet largement soutenu le développement de la méthanisation depuis 2010, avec l’intention de promouvoir cette énergie verte et locale.
D’abord portée par la multiplication des méthaniseurs en cogénération, la filière a mis les bouchées doubles sur l’injection. Le raccordement de nouvelles unités au réseau de gaz a bénéficié d’une politique volontariste : tarifs de rachat attractifs instaurés en 2011, garantis pour 15 ans, puis, en 2019, le « droit à l’injection ». Cette mesure fait peser sur les gestionnaires de réseaux, et non plus sur les producteurs de biométhane, les travaux de renforcements nécessaires à l’injection de gaz produit localement.
Ce contexte incitatif a dopé les projets en injection, notamment à l’initiative des exploitations céréalières. D’une centaine d’unités en 2019, le nombre de méthaniseurs raccordés au réseau a grimpé à plus de 200 en 2020. Fin 2021, on en dénombrait 365 (à 80 % portés par des agriculteurs), et 800 projets sont en instruction ou en construction. De quoi rattraper le retard face à la cogénération (environ 900 unités), dont la croissance est bien plus modeste.
Ce dynamisme est allé au-delà des objectifs établis par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui fixe la trajectoire du mix énergétique français : les 6 térawattheures (tWh) en injection prévus pour fin 2023 sont déjà en place. Le gouvernement y a vu le signal de mettre la pédale douce, soucieux d’alléger le coût pour les caisses de l’État. Ce dernier paie en effet aux fournisseurs d’énergie, obligés d’acheter le biométhane au tarif conventionné, la différence de coût par rapport au prix de marché. Or, jusqu’à la récente flambée des prix de l’énergie, le tarif garanti moyen pour le biométhane était d’environ 100 euros par mégawattheure (MWh), contre 25 €/MWh pour le gaz sur le marché libre. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) en a conclu en 2020, que « le renforcement des conditions d’accès au contrat d’achat et la baisse du niveau de soutien des installations de biométhane sont impératifs pour obtenir un développement de la filière conforme aux objectifs de la PPE tout en étant soutenable pour les finances publiques ».
L’État a tranché en novembre 2020 et a revu les tarifs à la baisse pour tous les contrats signés après le 24 novembre de cette même année. Et nettement : la chute du prix est évaluée entre 6 % pour les systèmes avec effluents d’élevage et 15 % pour ceux à base de cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). À cette baisse initiale s’ajoute une diminution du tarif de 2 % par an, ainsi qu’un mécanisme de réduction dynamique du prix en fonction du rythme de signature de nouveaux contrats.
« Nous étions d’accord sur une trajectoire de baisse du coût de rachat, mais cette première marche est trop forte et remet en cause la rentabilité des projets, affirme Cécile Frédéricq, déléguée générale de France gaz renouvelables. Alors qu’il y avait de nombreux projets en file d’attente avec les tarifs de 2011, cela fait maintenant un an et un trimestre qu’il y a désormais très peu de demandes d’études. »
Des surcoûts de 30 % par rapport à 2017
Jérémie Priarollo, responsable de l’activité méthanisation chez Solagro, confirme que les nouveaux tarifs « ont mis un gros stop à la filière ». Le timing est désastreux, car simultanément à cette baisse des tarifs, les porteurs de projets sont confrontés à la flambée des coûts de production (matériaux) et d’exploitation (électricité) qui dégrade plus encore la rentabilité. Il faut y ajouter les surcoûts liés au durcissement des contraintes réglementaires appliqué après deux accidents survenus sur des méthaniseurs, à Châteaulin, en Bretagne, et à Gramat, dans le Lot, qui ont eu un écho retentissant. « La hausse de l’investissement liée à l’inflation des matériaux de construction et à la réglementation est d’environ 30 % par rapport à 2017 », calcule Jean-Marc Onno, coprésident de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF). Une note douloureuse pour des budgets souvent initialement compris entre 3 et 5 millions d’euros.
Pour l’agriculteur breton, la facture est doublement amère. D’une part parce que l’explosion du prix du gaz, accentuée par la guerre en Ukraine, a changé la donne. « Cette filière ne coûte pas autant aux finances publiques que ce que l’on veut bien dire, puisque le prix du gaz sur le marché dépasse désormais les 100 €/MWh, ce qui réduit très fortement la facture pour l’État, et probablement de façon durable, souligne Jean-Marc Onno. Et n’oublions pas les montants que tous ces projets de méthaniseurs ont rapportés en TVA et en emplois depuis quinze ans. »
« Il n’y aura plus de méthanisation agricole demain »
La surenchère réglementaire reste également en travers de la gorge du coprésident de l’AAMF. « Il y a eu un avant et un après Châteaulin, rappelle Jean-Marc Onno. On est passé d’un extrême à l’autre sur le plan de la réglementation. Or il s’agissait d’un site industriel d’Engie, et non d’origine agricole. » Pourtant, les nouvelles règles ne s’embarrassent d’aucune proportionnalité entre les risques et les contraintes imposées, explique Jérémie Priarollo. Une incohérence, selon lui, car « l’accidentologie démontre que les problèmes surviennent le plus souvent chez les industriels et non dans les unités agricoles ». Le mal est fait : le surcoût est proportionnellement bien plus important pour un petit méthaniseur agricole que pour un gros site industriel.
Pour le représentant de l’AAMF, « si on ne fait rien, il n’y aura plus de méthanisation agricole demain. Non seulement les tarifs ne sont pas là, mais le monde agricole risque de se faire spolier par de grands groupes tels que Total et Engie. Tout est fait pour avantager les grosses unités. » Une perspective renforcée selon lui par le nouveau dispositif faisant la part belle à l’attribution de nouveaux volumes conventionnés par appels d’offres, dont les modalités ne sont guère compatibles avec les projets portés par des agriculteurs.
Face aux craintes des agriculteurs méthaniseurs, Jérémie Priarollo se veut optimiste. « On voit de nouveau des gens arriver avec des projets, en adaptant les modèles économiques », affirme l’expert de Solagro. La première adaptation passe par un dimensionnement des unités plus modeste. Auparavant, les méthaniseurs étaient souvent conçus de façon à pouvoir doubler la production au bout de quelques années. « Désormais, il faut faire le deuil d’une certaine évolutivité, constate Jérémie Priarollo. Les infrastructures sont raisonnées au plus près de la production initiale. Pour accroître la puissance, il faudra réinvestir. » La valorisation du CO2, l’installation de panneaux solaires pour fournir l’électricité, l’amélioration de l’isolation ou encore la chasse aux fuites de gaz font aussi partie des pistes explorées. Le spécialiste reconnaît toutefois que les budgets seront difficiles à boucler dans les secteurs où les aides régionales sont taries.
France gaz renouvelables appelle à mettre en œuvre les certificats de production de biogaz (CPB) prévus par la loi Climat et résilience. Ce dispositif doit imposer aux fournisseurs de gaz naturel l’incorporation d’une proportion (à définir) de biogaz, à l’instar de ce qui existe pour les biocarburants. Un moyen d’accroître les volumes de production et de permettre à la filière de reprendre son développement. Mais cela sera-t-il au profit de la méthanisation agricole ?
La méthanisation pour une autonomie en gaz vert en 2050
L’Ademe, Solagro, et même le WWF : de nombreuses structures considèrent la méthanisation comme un levier indispensable pour verdir le mix énergétique à échéance 2050, date à laquelle elle pourrait fournir une production de 100 à 120 tWh, selon les études de ces organismes. Adossé à la pyrogazéification, qui exploite les déchets résiduels secs non fermentescibles, et au power-to-gas (production d’hydrogène par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable), ce développement permettrait de couvrir la quasi-totalité des besoins en gaz en 2050.
Pour Jacques Wiart, référent méthanisation de l’Ademe, « il faut donc continuer, et même accélérer la tendance pour viser 8 000 à 10 000 méthaniseurs d’ici trente ans. Nous avons besoin de gaz français indépendant. La ressource ainsi que les porteurs de projets sont là. » D’autant plus que, selon l’expert, « adosser une exploitation à un méthaniseur permet de faire de la bonne agriculture ». Encore faut-il des conditions permettant de ne pas envoyer les agriculteurs au casse-pipe économique.
De coûteux délais
Multiplication des recours administratifs, dossiers de plus en plus complexes… les porteurs de projets de méthaniseurs sont confrontés à des délais croissants. Avec un risque économique : les 15 ans de tarif garantis démarrent au plus tard trois ans après la signature du contrat. Au-delà, chaque mois passé est perdu et réduit la période de valorisation au tarif conventionné. « Dans ce cas, soit on garde son contrat, mais c’est une perte de plusieurs mois, soit on établit un nouveau contrat, mais avec les tarifs de 2020, beaucoup plus faibles », explique Cécile Frédéricq, de France gaz renouvelables. Début 2022, 330 projets avaient dépassé ces trois ans, dont plus de 100 accusaient plus d’un an de retard. Les demandes de la filière pour rallonger le délai n’ont pas été entendues par le gouvernement.