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Guerre en Ukraine : la persistance du conflit armé laisse craindre une pénurie en engrais et une baisse de l'offre céréalière globale sur le marché

L'ampleur des semis de printemps en Ukraine sera conditionnée par la disponibilité en intrants et l'intensité des combats. Le manque potentiel d'engrais azotés inquiète, globalement, les pays producteurs, contraints d'importer leurs fertilisants. Pour assurer leur souveraineté alimentaire, certains pays suspendent leurs exportations de grains, d'autres envisagent d'acheter une partie, voire la totalité, de leur production agricole nationale.

Les produits à base de tournesol commencent à manquer en Europe, suite au conflit entre la Russie et l'Ukraine.
© Mike Lee

Dans un entretien accordé à Agra presse le vendredi 11 mars, le ministre de l'Agriculture ukrainien Roman Leshchenko a annoncé que son pays a « besoin de livraisons de gazole et de produits phytosanitaires » en provenance de l'Union européenne. En effet, la période des semis arrive (début avril pour la grande majorité des surfaces concernées, un peu plut tôt, et dès mi-mars, dans certaines régions). D’ores et déjà, le ministre estime, dans cet entretien, que « la récolte des cultures de printemps sera au moins inférieure de 30 % à celle de l'année précédente. Notre capacité à atteindre ces 70 % dépendra de nos livraisons en gazole et autres facteurs de production ».

 

Quid des semis en Ukraine ?

Un plan facilitant le crédit aux agriculteurs est en préparation et le gouvernement a interdit les exportations, temporairement, de certaines denrées agricoles et des engrais.

Selon Roman Leshchenko, les infrastructures portuaires n'ont pas subi de dommages importants : « si le transport maritime était débloqué, nous pourrions démarrer en une semaine ». Dans le même temps, certains traders, en lien avec la compagnie ferroviaire ukrainienne, envisagent de faire sortir du pays des cargaisons de grains en utilisant le train. Potentiellement, le volume concerné pourrait être de 600 000 t par mois et pourrait être acheminé vers les frontières roumaine, hongroise, slovaque ou encore polonaise. Mais rien n’est fait, la mise en place des contrôles et des capacités réelles de chargement devant être vérifiées.

Denys Shmygal, le Premier ministre ukrainien, a confirmé, le 13 mars, la mise en place d’un plan pour aider à la campagne de semis à venir et a précisé que l’Ukraine possédait des stocks alimentaires de base suffisants pour les « prochains mois ».

Attention cependant, cette campagne de semis printanière pourrait prendre un peu de retard. Il serait de l'ordre de deux à trois semaines car une vague de froid, défavorable au travail dans les champs, frappe le pays, explique un spécialiste des grandes cultures en Ukraine. Quant aux cultures d’hiver, elles sont, actuellement, couvertes de neige.

Toujours concernant cette campagne, le syndicat des producteurs de grains en Ukraine a affirmé vouloir remplacer certains semis de maïs et d’oléagineux par des semis supplémentaires de sarrasin, d’avoine ou encore de millet, tant la situation des semis de printemps pour les céréales traditionnelles devient incertaine.

 

La souveraineté alimentaire en question

Selon Volga Baikal Agro News, les exportations russes d’huile de tournesol pourraient atteindre entre 3,4 et 3,5 Mt en 2022 mais les capacités de production est bien plus importante. La part des huiles de tournesol échangée sur le marché mondial de cette denrée représentent normalement 78 % du marché (50 % pour l’Ukraine seule). La 10 mars, l’UE a annoncé manquer d’huile de tournesol en raison des volumes bloqués et destinés à l’exportation au départ des ports ukrainiens, selon la Fediol (association européenne des producteurs d’huile végétale et des protéines). Les raffineries de l’UE reçoivent entre 35 et 45 % des huiles de tournesol qu’elles traitent en provenance d’Ukraine. Les réserves actuelles n'atteindraient qu'entre 4 et 6 semaines de consommation.

Plusieurs pays ont annoncé mettre en place des mesures financières pour être en mesure d’acheter à leurs propres producteurs les récoltes à venir, notamment en blé. Les Etats s’assureraient ainsi qu’une partie de la production ne part pas à l’exportation et renforcent ainsi une partie de leur souveraineté alimentaire. Le gouvernement iraquien a ainsi déclaré son intention d’acheter la totalité de la production domestique de son pays, au prix du marché mondial, selon Reuters. La Bulgarie a pour sa part annoncé vouloir acheter 1,1 Mt de blé directement auprès des ses agriculteurs pour constituer des réserves supplémentaires. Le gouvernement de ce pays a aussi débloqué 616 M$ pour acheter des graines de maïs et de tournesol à des usages alimentaires et de semis.

Du fait du conflit armé russo-ukrainien, certains grands pays importateurs de blé commencent à éprouver quelques difficultés. Selon Mediapart, les pénuries s’aggravent en Tunisie et certains ménages ont du mal à trouver du pain fabriqué avec la farine subventionnée par l’Etat. Le ministre tunisien du Commerce a cependant affirmé que les stocks en blé étaient suffisants pour tenir jusqu’en juin 2022. Au Maroc, le responsable de la fédération industrielle des meuniers, cité par Reuters, a indiqué que les stocks de blé étaient suffisants pour couvrir cinq mois de consommation.

En Egypte, c’est le prix du pain qui a bondi et au Liban, « le risque de pénurie est réel. Il ne reste plus qu’un mois et demi de réserves de blé », signale Geryes Berbari, directeur général de l’Office des céréales et de la betterave sucrière, cité par le média en ligne. Après avoir annoncé la suspension de toute exportation de lentilles, de pâtes, de farine et de fèves pour trois mois, l’Egypte a pris la décision de faire de même en ce qui concerne les huiles végétales et le maïs, et ce, pour trois mois à partir du 12 mars. Ces exportations vont traditionnellement alimenter les marchés du Soudan, du Yemen et de la Lybie.

Le 14 mars, c’est le gouvernement argentin qui a annoncé suspendre pour une durée indéterminée les exportations de farine et d'huile de soja, dans un communiqué du sous-secrétariat aux Marchés agricoles.

Une autre grande question émerge, dans le secteur des transports internationaux maritimes cette fois. Certains ports européens ont pris des dispositions pour interdire l’accès à leurs installations aux navires russes. C’est vrai en particulier pour certains méthaniers et les ports hors UE. Cependant, Le journal de la marine marchande signale que les ports de Hambourg et de Rotterdam travaillent sur le même genre de mesures. Un sujet qui pourrait remonter au niveau de l’UE dans son ensemble ? A suivre…

 

La problématique des engrais

Face à des prix de matières premières pour fabriquer les engrais toujours en hausse et à l’impossibilité de trouver de la marchandise en provenance d’Ukraine et de Russie, les marchés importateurs s’organisent. Tel le Brésil, où Cesario Ramalho, président institutionnel de l'Association brésilienne des producteurs de maïs (Abramilho), a rappelé, le 11 mars à l’AFP, que « nous n'avons pas de garantie sur la question du transport maritime des marchandises », gravement perturbé par la guerre, « ni sur celle de l'approvisionnement en engrais ». Le Brésil importe en effet environ 80 % des engrais qu'il utilise, dont 20 % en provenance de Russie. Il faut noter également que la Biélorussie, également grand fournisseur d’engrais, est également frappé par les sanctions politiques, financières et économiques dans le cadre du conflit. Dans ce cadre, la ministre brésilienne de l'Agriculture Tereza Cristina a affirmé que le Brésil disposait de stocks suffisants jusqu'au mois d'octobre, tout en indiquant que le pays négociait déjà avec d'autres importants exportateurs d'engrais. Et le gouvernement brésilien a lancé, le 11 mars, un plan destiné à limiter sa dépendance aux importations d'engrais indispensables à sa production agricole. A la clé : incitations fiscales, crédits et autres mesures pour encourager la création d'usines d'engrais et augmentation de l'exploitation des ressources minières d'ici à 2050.

En France, la Commission des affaires économiques du Sénat a organisé une table ronde, le 15 mars, pour mesurer l’impact de la guerre en Ukraine sur les marchés agricoles et la souveraineté alimentaire. Sébastien Windsor, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), Thierry Pouch, chef du service Études, références et prospective à l'APCA et Vincent Chatellier, ingénieur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) apporteront leur éclairage à cette question.

Et le questionnement commence à gagner les instances régionales des secteurs de l’agriculture et de l’alimentation puisque la session de la Chambre régionale d’agriculture de Bretagne, qui se tiendra le 16 mars, sera largement consacré au conflit russo-ukrainien et son impact sur les filières agricoles et alimentaires, animales et végétales.

De façon plus général, l’OCDE publiera, le 17 mars, une évaluation des impacts et des implications sur les politiques publiques de la guerre en Ukraine. Elle sera présentée par le secrétaire général, Mathias Cormann, et la secrétaire générale adjointe et cheffe économiste, Laurence Boone.

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