Transmission en agriculture : bien évaluer la valeur de sa ferme pour bien vendre
Évaluer la valeur d’une exploitation va au-delà de la simple estimation du matériel et des corps de ferme. Et en cas de cession, sa justesse garantit sérénité et tranquillité.
Évaluer la valeur d’une exploitation va au-delà de la simple estimation du matériel et des corps de ferme. Et en cas de cession, sa justesse garantit sérénité et tranquillité.
Combien vaut votre ferme ? Dans une carrière, on a parfois besoin de faire estimer la valeur de son exploitation. Pas seulement à l’occasion d’une transmission : une telle évaluation peut également être justifiée lors de la création d’une société, dans le cadre d’une succession ou avant un projet de cession de parts sociales.
À chaque fois, il s’agit d’estimer l’entité à sa juste valeur. Ni trop, ni trop peu. Quoique très subjective, une valeur juste doit être conforme à la réglementation. La raison ? « Une cession qui s’appuie sur une évaluation trop éloignée du marché est susceptible d’être attaquée par les repreneurs, les cohéritiers et l’administration fiscale », plante Emmanuel Lambert, conseiller d’entreprise chez Agriexperts. Les sanctions prévues par l’article L411-74 du Code rural sont lourdes : restitution des « sommes indûment versées » et grosses pénalités pour tout bailleur ou preneur qui imposerait une reprise à un prix supérieur de plus de 10 % de sa valeur vénale. Pire, ce risque persiste durant des décennies et s’applique aux générations suivantes : il est opposable sur toute la durée du bail « et des baux renouvelés qui lui font suite ».
Plusieurs acteurs sont susceptibles d’effectuer l’évaluation de l’exploitation, mais seul le travail d’un expert foncier et agricole agréé aura de la valeur devant un tribunal. Toutes les situations potentiellement à risque – qu’il s’agisse de cessions familiales ou hors cadre familial – doivent donc être sécurisées par les travaux d’un expert. « L’essentiel est de s’appuyer sur une méthode, de l’expliquer et de justifier les chiffres retenus, précise Emmanuel Lambert, dont le cabinet d’expertise comptable apporte son aide dans ce type de situation. Il faut raisonner en termes de moyennes et réunir une série de pièces. L’évaluation par un concessionnaire ne suffit pas, mais il ne faut pas s’en exonérer non plus. Elle peut donner des idées. »
La valeur du patrimoine, premier facteur à analyser
Différentes méthodes d’évaluation existent. La première, la plus simple, consiste à réaliser une évaluation de la valeur patrimoniale de l’exploitation. « Il faut alors estimer tous les actifs de l’exploitation : les bâtiments, le matériel, les terres, les stocks, les améliorations de fonds », détaille Rodrigue Limousin, chargé de développement du marché agricole au Crédit mutuel de Normandie. En d’autres termes, il suffit de reprendre la valeur de l’actif immobilisé au bilan. L’ensemble peut rapidement constituer un montant significatif.
Les experts estiment la valeur des terres sur la base des ventes locales et des références existantes. Les bâtiments agricoles sont évalués en fonction de leur valeur d’origine, de leur âge et de leur fonctionnalité, en prenant en compte la vétusté. Les experts utilisent des systèmes d’information géographiques, qui compilent des données cartographiques et des informations sur le bien et son environnement (urbanisme, risques naturels…). « Outre notre connaissance du terrain, ces données renforcent la validité de nos démarches d’évaluation. Elles nous permettent d’étayer notre propos par des preuves tangibles, explique Anne Chartier, expert foncier et agricole à Essuiles (Oise) et expert judiciaire près la cour d’appel d’Amiens.
Déterminer la valeur économique de l’exploitation
Mais attention à ne pas en rester là. « Une exploitation agricole est une activité très capitalistique mais sa valeur n’est pas seulement l’addition des biens que l’on possède, développe l’experte. Elle a aussi une valeur économique qu’il ne faut pas négliger et qui justifie de s’intéresser à ce qu’elle rapporte. » Soucieux d’apporter l’éclairage le plus exhaustif possible, les experts combinent à la fois des statistiques, les contraintes et les atouts de chaque bien en utilisant une méthode d’évaluation appelée VEA, pour valorisation de l’exploitation agricole, élaborée par les experts de l’Union Nord de la France, laquelle permet d’éviter les appréciations subjectives.
La valeur économique, dite « valeur de rendement » est déterminée à partir de l’EBE moyen, abstraction faite des évènements exceptionnels, susceptibles de biaiser une analyse. « Nous travaillons sur les cinq derniers exercices comptables pour prendre en compte les aléas conjoncturels et structurels, puis nous projetons cette rentabilité sur l’avenir », explique Anne Chartier. Cette valeur change selon les caractéristiques de l’exploitation.
Identifier les risques menaçant la rentabilité
Dans leur approche, les experts prennent en compte différents facteurs de risque : les compétences du dirigeant et de ses salariés, la performance des outils de production, le statut des terres (en location ou en propriété), les risques d’expropriation ou de reprise, l’évolution de la PAC et les contraintes environnementales et réglementaires… Ils réalisent une analyse du risque approfondie des facteurs internes (performances des outils de production, caractéristiques agronomiques, fonciers…) et externes (marchés, réglementation, aléas…) selon les ateliers et production présents sur l’exploitation.
« Nous analysons tout ce qui peut dégrader ou majorer la rentabilité de l’entreprise. Par exemple, l’irrigation est un atout car elle permet de limiter l’amplitude des phénomènes climatiques », indique Anne Chartier. Selon la région et les cultures de l’assolement, son absence peut être un sérieux point faible. Le risque de perte de foncier peut également faire fortement varier la valeur de l’ensemble.
Les experts calculent ensuite la moyenne de la valeur patrimoniale et de la valeur économique. « Nous pouvons être amenés à pondérer ce chiffre. Par exemple, la présence d’équipements ou constructions surdimensionnés pour l’activité de l’exploitation donne une valeur patrimoniale qui n’est pas forcément cohérente avec la rentabilité de l’exploitation », illustre Anne Chartier. C’est la raison pour laquelle une valeur de reprise peut singulièrement varier entre deux exploitations dont la structure est pourtant comparable.
Autre méthode : la valeur de remboursement. C’est celle qui intéresse le banquier. « Nous sommes prêts à financer tout repreneur qui a les moyens de reprendre », résume Rodrigue Limousin. Quelle est la capacité d’investissement du repreneur ? L’exploitation pourra-t-elle honorer ses engagements bancaires ? Si le projet de reprise ne passe pas économiquement, une transmission partielle sera sûrement plus durable. « Il faut arriver à vivre des revenus de son exploitation et à valoriser son patrimoine », rappelle Anne Chartier.
Pour justifier de la valeur des biens aux cédants, le rapport d’expertise expose bien sûr les valeurs, mais aussi les méthodes retenues, les fondements et les arguments en leur faveur. C’est tout l’intérêt de l’étude d’un expert foncier : elle ne doit pas laisser de zone d’ombre. Elle détermine la valeur des biens et peut aussi mettre des mots sur les éventuels choix du cédant. Si ce dernier a réduit les amendements de fond depuis plusieurs années, le rapport de l’expert le mentionnera en soulignant une baisse de la fertilité du sol. Un détail qui justifiera une discussion sur le prix final. « La valeur issue de l’expertise n’est pas forcément la valeur finale, rappelle Emmanuel Lambert. Entre l’estimation et le prix final de la transaction, il y a une négociation. »
512 experts reconnus
Les experts agricoles et fonciers sont soumis à une stricte discrétion professionnelle et à une absence de publicité : pour trouver l’un d’entre eux près de chez vous, le plus simple est de consulter la carte interactive sur le site experts-fonciers.com ou sur celui du Conseil national de l'expertise foncière agricole (Cnefaf.fr). Les moteurs de recherche sont également bien utiles. 512 experts reconnus sont recensés en 2022, répartis dans toute la France.