Foncier agricole : quelles sont les options pour les terres en propriété lors d'une transmission ?
Être propriétaire des terres que l’on exploite permet de mieux maîtriser le foncier lors de la transmission. Une réflexion reste nécessaire pour le faire dans les meilleures conditions pour à la fois sécuriser le repreneur et préserver l’entente familiale.
Être propriétaire des terres que l’on exploite permet de mieux maîtriser le foncier lors de la transmission. Une réflexion reste nécessaire pour le faire dans les meilleures conditions pour à la fois sécuriser le repreneur et préserver l’entente familiale.
« Dans l’idéal, il faudrait autant d’exploitations que d’enfants ! » Par cette phrase teintée d’humour, Marie-Annick Naudin, cheffe du service juridique territoires à la chambre d’agriculture de l’Allier, illustre bien un des enjeux de la transmission : assurer l’équité familiale. Le foncier de l’exploitation détenu en propriété est au cœur de cet enjeu.
Le foncier est un outil de travail vital pour l’exploitation mais il revêt aussi une dimension patrimoniale qui implique l’ensemble de la famille de l’agriculteur. « Il est important de distinguer la propriété du foncier de l’exploitation des terres », souligne Hervé Paris, expert transmission au Crédit agricole Champagne-Bourgogne. L’équité dans la fratrie, autrefois négligée lors des transmissions d’exploitation, est aujourd’hui cruciale, et les montages choisis visent à ne pas léser les enfants non-repreneurs.
Concilier modèle économique et entente familiale
Revers de la médaille, la solidité du modèle économique du repreneur peut être compromise si la partie foncière n’est pas appréhendée correctement. Pour lui, le risque est de perdre une partie de la surface sur laquelle il s’est basé pour construire son projet d’entreprise. Pour le reste de la famille, il s’agit d’anticiper les conflits et les situations inextricables telles que des indivisions où les différentes parties ne parviennent plus à se mettre d’accord.
Pour concilier pérennité de l’exploitation et entente familiale, plusieurs solutions sont envisageables : forme juridique de la société, mise en place de baux à long terme, donations-partages, constitution d’un groupement foncier agricole (GFA)…L’idée est d’adapter les outils à disposition en fonction de ses besoins. « Les questions cruciales doivent être abordées en famille pour définir les compromis acceptables », conseille Hervé Paris.
Profiter des avantages fiscaux du bail à long terme
Dans le cas où le cédant a un repreneur familial mais qu’il souhaite dans un premier temps rester propriétaire des terres, la conclusion d’un bail rural à long terme de 18 ans au profit du repreneur peut être une option. « Une transmission bien anticipée commence par la conclusion d’un bail à long terme », considère Cyril Dannoux, conseiller en gestion de patrimoine chez Cerfrance BFC (Bourgogne-Franche-Comté). Il permet une exonération fiscale lors d’une donation ou de la succession. Pour ce faire, le bail doit avoir été consenti depuis au moins deux ans à la date de la donation.
L’abattement fiscal est de 75 % de la valeur des biens loués jusqu’à 300 000 euros, déplafonnable à 500 000 euros si le repreneur reste propriétaire du bien pendant minimum 10 ans (au lieu de 5 ans pour le plafond de 300 000 €). Au-delà, l’exonération est de 50 %.
Pour préparer la transmission future, le démembrement de propriété peut être envisagé, offrant, lui aussi, des avantages fiscaux. Le démembrement consiste à diviser les droits de propriété entre l’usufruitier (droit d’utiliser le bien et d’en percevoir les fruits) et le nu-propriétaire (propriété du bien sans en avoir l’usage ni le revenu). En démembrant la propriété, le cédant peut commencer à transmettre son patrimoine à ses enfants tout en conservant un certain contrôle sur l’exploitation. Cela peut faciliter la transition et leur permettre de s’impliquer progressivement dans la gestion. Au décès du ou des usufruitiers, les enfants nus-propriétaires du bien le récupèrent en pleine propriété sans avoir de droits à payer. Le démembrement est aussi un moyen de ne pas se retrouver avec une indivision lors de la succession.
Le cumul des dispositions fiscales liées au bail rural et au démembrement de propriété permet une importante diminution des droits de mutation (donation ou succession). Par exemple, pour un hectare évalué à 5 000 euros, seul un montant de 1 250 euros est pris en compte dans la base taxable. À cela peut s’ajouter une décote usufruitière de 40 %, applicable si le démembrement de propriété intervient avant les 71 ans du cédant. Du point de vue fiscal, la transmission serait évaluée à 750 euros plutôt qu’à la valeur totale de 5 000 euros.
Ne pas pénaliser l’activité agricole
Autre possibilité couramment utilisée : le foncier peut être détenu par un GFA. Les enfants non-repreneurs peuvent détenir des parts dans le GFA et bénéficier des avantages fiscaux liés à une donation. En parallèle, des baux à long terme peuvent être accordés, soit à l’exploitant, soit directement à la société agricole. « Le GFA a l’avantage d’éviter le morcellement et de sécuriser l’enfant repreneur car si les enfants non-repreneurs veulent céder leurs parts, les statuts les obligent à les proposer en priorité aux autres associés », précise Cyril Dannoux. Une limite toutefois : la capacité des autres associés, exploitants ou non, à racheter les parts de celui qui souhaite vendre.
Autre inconvénient du GFA : les statuts prévoient souvent que les décisions soient au minimum adoptées à la majorité. Cela nécessite de se mettre d’accord au sein de la famille pour prendre des décisions. « Certaines situations peuvent devenir bloquantes et pénaliser l’activité agricole », prévient Cyril Dannoux.
Pour transmettre son patrimoine, il est aussi possible d’attribuer ou de vendre ses terres à ses descendants en lots. On peut les attribuer de manière équitable à travers une donation-partage à ses enfants ou attribuer les parcelles à l’enfant repreneur qui versera une contrepartie à ses frères et sœurs. Limite du dispositif : la capacité à racheter le foncier dans le cas d’une vente ou la capacité de l’enfant repreneur à verser une soulte à ses frères et sœurs. Dans le cas où un bail rural est accordé au repreneur par ses frères et sœurs, il devra être suffisamment sécurisant pour celui qui s’installe.
Choisir la bonne option pour transmettre son foncier nécessite une beaucoup d’anticipation. « On n’est plus sur une génération qui décide de tout, observe Marie-Annick Naudin. Les agriculteurs qui vont partir à la retraite d’ici 10 ans semblent avoir davantage associé les enfants aux décisions et à la vie de l’exploitation que la génération d’avant. Il faut donc des solutions sur mesure et ne pas hésiter à se faire conseiller, c’est un bon investissement si l’on veut préserver l’entente familiale. »