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Soigner l’estimation de ses dégâts de gibier pour être bien indemnisé

Cinquante ans après la première loi d’indemnisation des dégâts de gibier par les chasseurs en 1968, estimer ses pertes liées aux dégâts de gibier reste compliqué. Difficiles à évaluer, les dégâts, s’ils restent assez localisés, ont tendance à plutôt augmenter. Comment faire pour être indemnisé et plus justement ? Quelques conseils.

Plus de 80% des dégâts sont réalisés par les sangliers (FNC, 2017).
© C. Faure

Le gibier court toujours. Entre 2007 et 2017, « on passe de 35 à 37 % de communes indemnisées suite à des dégâts de gibier sur cultures et prairies, il n’y a pas d’extension des surfaces détruites, mais plutôt une concentration sur certains endroits », annonce Matthieu Salvaudon, directeur adjoint du service dégâts de la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Si l’étude menée sur 87 départements montre qu’il y a bien une augmentation de 2 %, en dix ans, de communes indemnisées, la FNC relativise : « on est sur une tendance de stabilité, estime Matthieu Salvaudon. C’est quasiment le même constat qu’il y a dix ans, souligne-t-il. Et seulement 1 % des communes françaises concentrent 25 % des indemnisations sur l’année 2016-2017. » Pour lui, les estimations sont à prendre avec précaution car elles sont très difficiles à faire. D’une part « beaucoup de dégâts ne sont pas déclarés et ne font pas l’objet d’indemnisation », précise-t-il. D’autre part, « il y a un phénomène cyclique en lien avec des effets météorologiques ou les tendances d’assolement », ajoute-t-il. Lorsque l’hiver a été très humide et sans gel, comme cette année par exemple, les vers, très appétents pour les sangliers, restent à la surface et il y a davantage de risques de dégâts.

Dans l’Orne, l’un des départements les plus touchés, la pression du gibier ne semble pas diminuer. « Cette année, comme l’année dernière, la surpopulation des sangliers nous a obligés à demander une ouverture exceptionnelle de la chasse dès le 1er juin, par rapport à septembre », souligne Régis Thieulin, chargé de mission à la FDSEA de l’Orne. En prévision de la prochaine récolte, cette mesure accordée par le préfet « devrait permettre de réduire le nombre de dégâts de gibier », espère le chargé de mission. « Car les dégâts sont à la hausse et le nombre de dossiers d’indemnisation augmente chaque année », affirme-t-il.

L’estimation des dégâts appartient à l’agriculteur

Au quotidien, ce sont les FDSEA qui accompagnent les agriculteurs dans leurs demandes d’indemnisation auprès des Fédérations départementales des chasseurs (FDC). En premier lieu, « nous donnons à l’exploitant les coordonnées de la FDC pour qu’il puisse remplir sa déclaration provisoire ou définitive et quelques conseils pour lui permettre de bien estimer ses pertes », évoque le chargé de mission. Par ailleurs, « on demande à l’agriculteur de répondre à une enquête grâce à laquelle, collectivement, nous pouvons défendre l’intérêt des exploitants face aux chasseurs », rajoute-t-il.

Il faut savoir que c’est l’agriculteur qui doit juger de l’étendue des dégâts. Il doit estimer en euros sa perte financière suivant des barèmes départementaux d’indemnisation de dégâts de gibier fixés par la Commission départementale d’indemnisation (CDI). « En fonction de la surface de culture détruite, il y a un barème, une fourchette de prix pour l’indemnisation », explique Régis Thieulin. Cette perte financière dépend du stade végétatif de la culture où intervient le dégât de gibier. Il peut s’agir d’une perte nette de récolte et/ou de travaux de remise en état et/ou de réensemencement.

Pour bien faire la déclaration de dégâts, « il faut d’abord constater les dégâts sur place », insiste François Omnès, chargé de mission pour l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas toujours le cas. Pour être indemnisable, « il faut un minimum de 3 % de la parcelle détruite d’une même culture ou un montant des dégâts supérieur ou égal à 230 euros par parcelle de culture », précise-t-il. Le spécialiste insiste sur la définition d’une parcelle, ici considérée comme un ensemble d’une même culture pouvant intégrer des obstacles (fossés, haies, bandes enherbées, murets, etc.). Deux champs de maïs séparés par un cours d’eau ne constituent ainsi qu’une seule parcelle. C’est un détail qui peut changer pas mal de choses.

Mis à jour chaque année et départementalisés, les barèmes des dégâts sont précis. Prenons l’exemple d’un agriculteur de l’Orne et des dégâts sur du blé tendre : s’ils surviennent juste avant la moisson, l’agriculteur peut être indemnisé pour une perte de récolte à hauteur de 14 euros le quintal ; s’ils se produisent au moment des semis, l’indemnisation pour le réensemencement d’une céréale est de 111 euros par hectare. Dans les deux cas, la parcelle détruite peut demander en plus une remise en état mécanique ou manuelle. Attention, la remise en état manuelle concerne uniquement les boutis de sanglier. Une indemnisation nationale est prévue de 18,80 euros de l’heure qui se base sur la réparation de 70 trous de moins de 1 m² à l’heure. Pour la remise en état mécanique, plusieurs stratégies sont possibles et c’est à l’agriculteur de choisir comment procéder. Par exemple, un passage de rouleau est indemnisé à hauteur de 31,82 euros par hectare et un passage en semis direct à 64 euros l’hectare.

Mieux vaut sous-estimer ses dégâts que l’inverse

Une estimation provisoire de dégâts peut être judicieuse. C’est en particulier le cas « si les dégâts ont lieu au moment des semis, explique François Omnès, car au moment de la moisson, les traces des animaux auront disparu et il sera difficile de justifier à l’estimateur des pertes de récolte. » D’ailleurs, il conseille « de plutôt sous-estimer les dégâts que de les surestimer. S’il y a des très grosses pertes, des experts nationaux sont mandatés. S’ils découvrent que la perte n’est que de 1000 euros au lieu des 15000 euros estimés, la FDC fera payer le coût de l’intervention à l’agriculteur pour surestimation. »

Si les dégâts ont lieu au moment de la récolte, « il ne faut pas tarder également à réaliser une estimation provisoire dès les dégâts constatés, car attendre une dizaine de jours à cette période pour voir passer l’estimateur, cela peut être long », insiste Régis Thieulin. Le professionnel recommande de ne pas toucher aux parcelles détruites et aux abords, voire aux parcelles voisines pour garder une surface témoin. Cela pour « faciliter le travail de l’estimateur en comparant les parcelles et permettre d’être indemnisé au plus juste ».

Lors de son passage, « il est important de l’accompagner, signale par ailleurs François Omnès. Il ne connaît pas le coin et les parcelles, il faut les lui montrer, qu’il comprenne la situation de l’agriculteur. Il faut se placer dans une logique de coconstruction du montant de l’indemnisation », recommande le responsable. C’est une clé pour éviter les recours.

Dans tous les cas, « lorsque le constat définitif a été accepté par l’exploitant, l’estimateur remet son rapport à la FDC et l’agriculteur a 30 jours pour contester le montant de l’indemnisation », explique François Omnès. Un premier recours est possible auprès de la commission départementale d’indemnisation (CDI), puis de la commission nationale d’indemnisation (CNI). Il est également possible d’entamer une procédure judiciaire auprès d’un chasseur en particulier.

10 % des propositions d’indemnisation contestées

« Dans 10 % des cas, il y a une contestation de la proposition d’indemnisation par l’agriculteur », note François Omnès. Sur une moyenne de 33 000 dossiers d’indemnisation par an, une centaine de recours sont recensés au niveau national. Globalement, trois cas de contestation sont fréquents : soit l’agriculteur n’est pas d’accord avec l’estimateur sur la surface détruite (40 % des cas), soit il refuse les abattements (40 %, voir encadré), soit il conteste les prix des barèmes appliqués (20 %). Une des raisons les plus fréquentes de contestation ? Lorsqu’un dossier est déposé et que l’estimateur arrive après la récolte sans pouvoir constater les dégâts. La contestation des barèmes revient également souvent. « Certains dossiers arrivent sans précision sur le prix de vente attendu des cultures. Or, dans certains cas elles sont sous contrat. Il faut l’indiquer dès la première estimation, souligne François Omnès, car pour être indemnisé, il faut prouver que le contrat aurait bien été payé un certain prix – au-dessus du barème – s’il n’y avait pas eu les dégâts de gibier. »

Circuits courts et bio mal pris en compte dans les indemnisations

Parmi les recours auprès de la commission nationale d’indemnisation (CNI), « les motifs de contestation sur le prix progressent de plus en plus », s’inquiète François Omnès, chargé de mission pour l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. C’est le cas des cultures sous contrat. « Lorsque le prix de vente est assuré au-delà des barèmes, l’indemnisation n’est pas satisfaisante pour les agriculteurs », explique-t-il. « C’est une tendance de fond qui augmente avec les circuits courts et nous réfléchissons au sein de la CNI pour savoir comment adapter les barèmes », note-t-il. Le cas des variétés bio est également en réflexion. « Jusqu’à présent nous appliquions une majoration de l’indemnisation, mais nous sommes bien conscients que le prix du blé conventionnel ne suit pas forcément la courbe du blé bio », concède-t-il. Réflexion à suivre…

La fédération de chasse peut imposer des abattements

Lorsque l’agriculteur a estimé le montant de son indemnisation, il soumet son dossier à la Fédération départementale des chasseurs (FDC), soit via une plateforme en ligne soit par courrier. « La FDC a alors dix jours pour mandater un estimateur pour constater les dégâts et définir un montant d’indemnisation », indique François Omnès, chargé de mission pour l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. « C’est une étape importante, précise-t-il, car du rapport peuvent découler des abattements, qui ne sont pas toujours compris par l’exploitant et peuvent occasionner des recours ».

Il existe neuf cas d’abattements possibles pouvant impacter le montant de l’indemnisation. Ils vont de la déclaration tardive des dégâts, au refus de mettre en place les mesures de prévention conseillées par la FDC, jusqu’au cas d’agrainage ou d’animaux provenant des terres clôturées que pourrait avoir l’agriculteur. Les abattements sont progressifs sur trois ans et varient de 2 % (abattement obligatoire de l’Article R426-11) jusqu’à 80 % du montant de l’indemnisation.

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