Bâtiment agricole : se sécuriser lorsqu’on construit sur le sol d’autrui
Avant de construire votre nouveau bâtiment, vous êtes-vous assuré que le terrain qui accueillera votre bâtisse vous appartient ? Si ce n’est pas le cas, il est bon de prendre quelques précautions… mieux vaut prévenir que guérir.
Avant de construire votre nouveau bâtiment, vous êtes-vous assuré que le terrain qui accueillera votre bâtisse vous appartient ? Si ce n’est pas le cas, il est bon de prendre quelques précautions… mieux vaut prévenir que guérir.
« La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. » L’article 552 du Code civil est clair : un exploitant qui construit sur un terrain dont il n’est pas propriétaire ne détient pas le bâtiment. Cela n’empêche pas de construire car en pratique, la demande du permis de construire ne requiert pas d’acte de propriété. Construire un bâtiment sur le terrain d’autrui peut paraître farfelu, pourtant ce cas se rencontre plus souvent qu’on ne le pense.
Première possibilité : un fermier désire construire sur le terrain du bailleur. « C’est alors le statut du fermage qui s’applique, explique Éric Mastorchio, directeur adjoint de Gaec & Sociétés. C’est relativement simple, le fermier doit seulement demander à son propriétaire l’autorisation de construire. » Autre schéma, plus complexe : une société agricole souhaite construire un bâtiment sur un terrain mis à disposition par l’un de ses associés, bailleur de la parcelle. Là aussi, le statut du fermage encadre cet accord.
Dans les deux cas, au terme du bail, l’autorisation du bailleur permet une indemnisation du fermier. Son montant est déterminé par l’article L411-71 du Code rural : elle est « égale au coût des travaux évalués à la date de l’expiration du bail, réduit de 6 % par année écoulée depuis leur exécution". En cas de mésentente, le tribunal paritaire des baux ruraux peut se saisir de l’affaire.
Sans bail entre les parties, le Code civil s’applique
Mais il existe aussi des cas sans bail entre les deux parties. Exemple : une société bâtit sur une parcelle que possède un des associés et qu’il lui a mise à disposition. « Dans ce cas, on se trouve dans la situation d’une construction sur sol d’autrui stricto sensu, indique Éric Mastorchio. Il n’y a aucun contrat entre les tiers donc ce n’est plus le statut du fermage qui encadre l’accord mais le Code Civil. »
La société peut ne comprendre qu’une seule personne. « Dans l’absolu, ça ne gêne pas car ça concerne la même personne, explique Louis Hardy, juriste au Cerfrance Seine Normandie. Un souci peut toutefois se poser lorsque la société est cédée sans vente de la parcelle en question. »
Dans ce type de cas, l’article 555 du Code civil s’applique. Le propriétaire peut aller jusqu’à demander la destruction du bâtiment. S’il décide de conserver la construction, il doit rembourser au tiers le coût de la construction ou celui des matériaux et de la main-d’œuvre estimés à la date du remboursement selon l’état de la construction à ce moment-là.
Bien rédiger la convention de mise à disposition des terres
Pour éviter cette situation, il convient de bien rédiger la convention de mise à disposition des terres. « C’est aux associés de prévoir cette éventualité, fait remarquer Éric Mastorchio. On peut imaginer qu’une clause soit intégrée à la convention ou dans le règlement intérieur afin que la sortie soit prévue et conditionnée par les associés. »
D’autres règles peuvent s’appliquer pour débloquer une situation. « Ce qu’on préconise en premier, c’est de régulariser en achetant le terrain sur lequel le bâtiment est construit, constate Louis Hardy. Certes, il faut aller chez le notaire et payer des frais mais ensuite on n’en parle plus. » D’autant plus que l’on peut faire appel à un géomètre afin de découper la parcelle et n’acheter que la partie construite, limitant ainsi l’investissement.
Deux propriétaire : celui du bâtiment et celui du terrain
Des baux à la construction ou emphytéotiques peuvent être rédigés afin de clarifier la situation (voir encadré). Un acte notarié peut également éclaircir la situation. Appelé renonciation à l’acquisition, ce document engage le propriétaire à renoncer à la propriété du bâtiment construit sur sa parcelle à la fin du bail.
Il distingue alors deux propriétaires : celui du bâtiment et celui du terrain. « Cela permet de reculer l’acte de vente du terrain, ou de régulariser la situation lors d’une reprise par exemple », précise Louis Hardy. Le fermier devient alors propriétaire de ce qu’il construit sur la parcelle au fur et à mesure. Il a également la liberté de gestion de la parcelle.
Bien réfléchir au devenir de la construction
Avant de réaliser de tels projets, il est en tout cas important de se demander ce que l’on souhaite faire du bâtiment dans l’avenir. « En société, les associés sont obligés de se poser ce genre de question », fait remarquer Éric Mastorchio. Attention, il faut bien se rendre compte que l’administration fiscale ne définit pas la propriété comme l’administration judiciaire.
« Il existe une tolérance fiscale qui reconnaît la propriété du bâtiment sur le sol d’autrui avec des mécanismes fiscaux supportés par la personne ou la société ayant engendré la construction, rappelle Louis Hardy. Cependant l’administration juridique ne la reconnaît pas. »
Des baux pour se mettre au clair
Lorsqu’un agriculteur souhaite construire un bâtiment sur un terrain qui ne lui appartient pas, il est possible de mettre en place un bail de construction. Il doit être signé chez le notaire. Compris entre 18 et 99 ans, il n’est pas renouvelable. « Avec ce type de bail, le propriétaire autorise la construction d’un bâtiment sur sa parcelle, explique Louis Hardy, juriste au Cerfrance Seine Normandie. Il n’est réalisable que s’il y a une construction à la clé. Pendant cette période, l’agriculteur est considéré comme le propriétaire des biens. »
Le bail est cessible et peut servir de garantie auprès de la banque ou en cas d’hypothèque. Il n’est pas soumis au statut du fermage, le bien revient donc au propriétaire du terrain en fin de bail, le tout, sans verser d’indemnités. « Attention, ce type de bail peut être une réelle bombe à retardement si le bâtiment n’est pas amorti, prévient Éric Mastorchio, directeur adjoint de Gaec & Sociétés. Lorsque le bail prend fin, sa valeur est assimilée à un revenu foncier et donc imposable. Il est donc important d’être bien encadré lors de la réalisation de ce type de bail. »
Très ressemblant, le bail emphytéotique est également soumis au Code civil et peut être cédé. La durée de la location doit être de 18 ans minimum. En contrepartie, le propriétaire récupère son bien et les constructions sans indemnité. À la différence du bail de construction, sa souscription n'est pas conditionnée à la construction d’un bâtiment. Toutefois, dans les deux cas, la valeur du bien à la fin du bail peut être négociée au moment de la signature des baux.
Une fiscalité inchangée
Que le terrain accueille ou non un bâtiment, la taxe foncière doit toujours être payée par le propriétaire du terrain. « En cas de baux ruraux soumis au statut du fermage, le partage de cette taxe est possible », ajoute Éric Mastorchio directeur adjoint de Gaec & Sociétés. Toutefois, il faut prendre en compte la surface bâtie car si elle abrite un bâtiment agricole, elle n’est pas soumise à la taxe foncière. « Mais cela représente une faible variation dans le montant des taxes foncières, puisque la surface bâtie est relativement faible par rapport au terrain », constate Louis Hardy, juriste au Cerfrance Seine Normandie.