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Grandes cultures : des agriculteurs optimisent leurs coûts de production grâce à la mutualisation

Exploitant dans la Vienne, Emmanuel Toulat a travaillé seul ses 140 hectares jusqu’en 2015. Travailler en commun avec son voisin Jean-François Cante lui a permis d’optimiser ses coûts de production et de mieux organiser son temps.

Jean-François Cante (à gauche) et Emmanuel Toulat se sentent sécuriser par leur association. © DR
Jean-François Cante (à gauche) et Emmanuel Toulat se sentent sécuriser par leur association.
© DR

Ce sont les circonstances qui ont poussé Emmanuel Toulat et Jean-François Cante à unir leurs forces. « Fin 2014, Jean-François apprend que son Gaec va se dissoudre : son associé part à la retraite et reprend ses terres, il ne lui reste plus que 135 hectares, raconte Emmanuel Toulat, agriculteur dans la Vienne sur la même surface. Nous nous entraidions. C’était l’occasion d’aller plus loin. » Installé depuis 2001, ce dernier, 49 ans, a eu une autre vie avant de reprendre la ferme familiale. Il en a gardé une activité d’expérimentation pour tiers en prestations de service, qui l’occupe à 30 % et vient compléter les revenus de sa petite ferme.
Jean-François Cante, lui, ne peut compter que sur son exploitation. Or, « dans notre zone, il est très difficile de s’agrandir ». L’association constitue pour lui une vraie porte de sortie : « avec nos deux structures de taille identique, nous pouvions réduire les coûts en réfléchissant un peu à notre organisation ».

Avoir "une approche rationnelle et non passionnelle" du matériel

Commence alors une gestion à quatre mains des deux exploitations. Chacune reste indépendante mais les agriculteurs décident d’exploiter en commun leurs parcelles contiguës, soit une bonne moitié de leur parcellaire respectif. Chantier prioritaire : le matériel. Les deux fermes sont toutes deux relativement autonomes. Elles possèdent donc des équipements en double. Malgré une surface plus petite que le Gaec initial de Jean-François Cante, Emmanuel Toulat est bien équipé : « j’avais du matériel largement dimensionné, avec un tracteur récent de 140 chevaux. J’avais aussi un semoir combiné de 3 mètres, un pulvé de 24 mètres, deux déchaumeurs et un épandeur à engrais ». Ce parc correspond à un besoin bien identifié à l’époque : « il me fallait un minimum de matériel pour aller vite et dégager du temps pour mon activité extérieure », décrit l’exploitant.

Les agriculteurs se décident pour « une approche rationnelle et non passionnelle » de leur matériel, comme la décrit Emmanuel Toulat. « Le premier réflexe de Jean-François a été de vouloir racheter du matériel puisque la surface augmentait. Mais nous avons finalement décidé de garder le meilleur des deux parcs. » Les agriculteurs se séparent de leurs machines en doublon et créent une SARL dont ils sont tous deux gérants. Celle-ci leur rachète le matériel conservé et leur facturera des prestations d’utilisation. Légère, la structure facilite une séparation en cas de besoin. Exploiter en commun, « c’est une démarche intellectuelle qui demande une confiance totale en l’autre, il faut des affinités et surtout, cela ne se fait pas du jour au lendemain », signale Emmanuel Toulat.

Rechercher de la cohérence dans les choix

Avec à peu près le même parc matériel que ce qu’ils avaient chacun individuellement avant, les agriculteurs font désormais le double de surface. « Nous avons amélioré notre efficience », observe Emmanuel Toulat. Le tracteur tourne 600 heures par an au lieu de 300 mais les charges d’entretien n’ont pas augmenté pour autant : grâce à leur temps disponible, les deux associés réalisent quasiment tout eux-mêmes. C’est la même chose pour les autres outils. Emmanuel et Jean-François compensent le sous-dimensionnement relatif de leur parc par les heures de travail. Encore que : « sur les parcelles communes, traiter ou semer 20 hectares au lieu de 10, cela ne change finalement pas grand-chose, observe Jean-François Cante. Mais il a fallu qu’on le vive pour s’en rendre compte ». Au final, Emmanuel Toulat y voit même une souplesse supplémentaire : « à deux, ce n’est plus un problème de faire 16 heures de tracteur dans une journée s’il le faut ».

Jean-François Cante fait avancer les travaux lorsque c’est nécessaire, tandis qu’Emmanuel Toulat continue son activité d’expérimentation sans avoir besoin d’un salarié sur sa ferme. En contrepartie, ce dernier passe par la SARL pour facturer ses prestations en tant qu’expérimentateur : Jean-François, en tant qu’associé, bénéficie donc de la moitié des gains. « J’estime que c’est grâce à notre association que je peux faire ce travail dans de bonnes conditions, analyse Emmanuel Toulat. Je suis aujourd’hui moins stressé, plus disponible et plus présent à la maison. »

Les deux agriculteurs ne manquent pas de projets. Au programme : la construction d’un hangar de stockage du matériel avec panneaux photovoltaïques sur une parcelle qu’Emmanuel Toulat souhaite revendre à la SARL. « Aujourd’hui, tout est stocké sur ma ferme, là, nous aurons une situation plus claire, et surtout, un outil transmissible », détaille-t-il. Car s’il n’est âgé que de 49 ans, l’exploitant pense déjà à la suite, probablement l’installation du fils de Jean-François, âgé aujourd’hui de 14 ans…

Accepter les différences de l’autre

« Lorsque l’on s’associe après avoir exploité seul, on peut avoir l’impression de perdre sa liberté, expose Emmanuel Toulat. Il faut par exemple se mettre d’accord sur les horaires de travail, pour éviter les frustrations. Et surtout, il faut accepter que l’autre soit différent ! » Cela a aussi des avantages : « je déteste labourer, alors que Jean-François adore ! », s’amuse Emmanuel Toulat.

Des compromis sont aussi nécessaires. Emmanuel a par exemple réduit ses surfaces de semences fourragères. « C’est une question d’optimisation, explique Jean-François Cante. Les petites productions demandent beaucoup de temps, or nous avons fait le choix de faire un peu de travaux d’entreprise. » Les deux associés ont décidé d’acheter une moissonneuse-batteuse, qu’ils optimisent en faisant de la prestation. « Emmanuel n’en avait pas, or c’est un outil qui me semblait important, décrit Jean-François Cante. Les fruits du travail d’entreprise reviennent à la SARL. » De même, auparavant, Emmanuel vendait à la coop et Jean-François au négoce. À la récolte, les deux agriculteurs font donc des choix selon les parcelles pour rationaliser le chantier.

Cinq ans après leurs débuts à deux, Emmanuel et Jean-François sont en tout cas très heureux de s’être trouvés. Emmanuel relève entre autres la progression de ses rendements, qu’il attribue aux compétences techniques de son associé. Jean-François est quant à lui heureux de l’ouverture sur l’extérieur que lui apporte Emmanuel avec son activité d’expérimentation. Tous deux se félicitent de la sécurité qu’ils trouvent dans leur réunion.

En chiffres

La petite ferme d’Emmanuel Toulat

135 ha en fermage, dont 70 % irrigables

60 % de la sole cultivée en commun avec Jean-François Cante

6 cultures avec en plus des productions de semences de couvert (dactyle, trèfle…)

60 ha de blé en 2019 (75 q/ha de rendement en 2018), 8 ha de pois (45 q/ha), 17 ha de colza (38 q/ha), 20 ha de tournesol (30 q/ha), 27 ha de maïs (110 q/ha), 7 ha de luzerne

Des coûts de production ajustés (+ graf)

Pas simple de s’évaluer lorsqu’on change totalement sa manière de travailler. « Nous avions besoin de savoir où nous en étions », explique Emmanuel Toulat. C’est pourquoi l’agriculteur a suivi l’an passé une formation sur les coûts de production à la chambre d’agriculture de la Vienne, animée par Olivier Pagnot, conseiller en entreprise. Celui-ci a décliné le cursus sur plusieurs groupes puis a réalisé une synthèse qui permet à chacun de se positionner de façon très concrète sur ses pratiques. « C’est un outil d’aide à la réflexion qui doit s’utiliser collectivement », explique le conseiller. Car les chiffres n’ont d’intérêt que si les itinéraires techniques et les choix stratégiques qui les ont produits sont explicités. « Il s’agit de ne rien se cacher, ce qui suppose un vrai climat de confiance », estime Emmanuel Toulat.

L’analyse des données des 20 fermes prises en compte dans la synthèse montre que « pour les céréales à paille, l’efficience économique est identique sur des rendements complètement différents », indique Olivier Pagnot. Pour une ferme sur des terres à faibles potentiels, « cela implique de ne pas viser les 10 q/ha supplémentaires, donc de limiter les dépenses en intrants, d’utiliser une variété résistante. Les ajustements sont plus difficiles sur la mécanisation car quel que soit le rendement, le coût du semis est le même ». La ferme d’Emmanuel Toulat est bien placée mais il attend avec impatience la prochaine séance du groupe, qui permettra de mieux comprendre les stratégies de chacun… et peut-être de prendre des idées pour aller plus loin.

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