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« Nous avons bâti une unité de triage pour valoriser nos récoltes bio »

Quatre agriculteurs bio ont créé un site de triage et de séchage des grains. Ils peuvent ainsi diversifier leurs rotations et multiplier les associations de cultures tout en captant la valeur ajoutée.

Les associés de la SARL Biotopes ont monté leur propre outil pour « démélanger » les cultures associées bio, et ainsi en valoriser une plus grande partie en alimentation humaine.
Les associés de la SARL Biotopes ont monté leur propre outil pour « démélanger » les cultures associées bio, et ainsi en valoriser une plus grande partie en alimentation humaine.
© C. Baudart

Investir dans une unité de triage high-tech permettant de valoriser au mieux leurs grains bio, tout en s’ouvrant de nouvelles possibilités agronomiques : c’est le pari de Guillaume Cathelat, David Soenen, Johann Hofer et Alexandre Dormoy, quatre agriculteurs bio installés en Haute-Marne et de Guillaume Hofer.

« Dans un souci agronomique, nous implantons de plus en plus de cultures en association mais les récoltes finissaient trop souvent en alimentation animale, faute de pouvoir séparer les espèces. Nous avions besoin d’optimiser les récoltes en mélanges », explique David Soenen. Avec une belle valorisation en perspective : un méteil de graminée et de pois est vendu 250 euros la tonne, contre jusqu’à 500 euros la tonne pour des pois seuls destinés à l’alimentation humaine.

« Démélanger les cultures associées bio »

Aucune unité de triage n’étant disponible dans la région, les agriculteurs décident de bâtir leur propre outil pour « démélanger » leurs cultures associées bio. Ils saisissent l’opportunité d’acheter un bâtiment situé à proximité de leurs exploitations, et conçoivent une station de triage multi-espèce, capable de sécher et trier simultanément plusieurs lots comprenant jusqu’à quatre espèces. La SARL Biotopes est née.

La société fait désormais partie des rares opérateurs dotés d’un outil capable d’enlever les glumes de grains, sur l’avoine par exemple, ou de désaponifier le quinoa par voie sèche, idéal pour préserver la qualité des lots. « Nous voulions une unité où l’homme ne puisse pas mettre les pieds pour garantir la sécurité alimentaire. Toutes les commandes sont électriques ou pneumatiques. 100 % des grains sont transportés par des tapis alimentaires pour garantir l’absence de grains résiduelles dans les lots. »

Accéder aux débouchés les plus rémunérateurs

Objectif : ouvrir leur production à l’alimentation humaine, y compris au baby food, où les exigences sanitaires et qualitatives sont les plus strictes. « Notre unité est capable de trier des grains ronds, plats, longs, courts, selon leur taille, leur forme, leur densité, leur couleur et leur brillance », explique David Soenen. L’installation dernier cri comprend un trieur optique, une table densimétrique, un système d’aspiration d’une capacité de 1 300 m3, un séchoir de 2 mégawatts et 29 cellules. La capacité de stockage cumulée est de 1 000 m3. Montant de l’investissement : 3 millions d’euros.

Pour mener à bien leur projet, ils s’appuient sur l’expertise du cabinet Aucap, membre du groupement AgirAgri. La conception de l’ensemble n’a pas été une sinécure. 149 dessins préparatoires ont été réalisés avant de lancer les travaux. « Le plus dur a été d’identifier le constructeur qui répondait à nos besoins », raconte l’exploitant. Après avoir prospecté sans succès en France et en Europe, c’est en Turquie que les associés ont trouvé leur bonheur. « 60 à 80 % des légumes secs que nous consommons sont produits en Turquie », souligne-t-il. Le savoir-faire et les compétences de l’entreprise turque ont séduit les agriculteurs. Cerise sur le gâteau, leur partenaire a maintenu ses tarifs malgré la hausse du prix des matières premières.

Répondre à toutes les attentes, démélanger toutes les associations

« Avec ses vingt caissons, le séchoir nous permet de diversifier nos rotations, en implantant des cultures qui ne pourraient pas être récoltées sans cela, comme le chènevis ou le tournesol », se félicite Guillaume Hofer, gérant de la SARL Biotopes, qui s’est reconverti pour diriger ce bijou technologique.

Le montage du site a commencé en décembre 2019, avant de s’interrompre avec le confinement de mars 2020. La petite usine est finalement opérationnelle depuis février dernier. L’entreprise est en capacité de trier plus de cinquante espèces différentes, que chaque agriculteur peut ensuite commercialiser, en gros ou au détail.

Les graines sont conditionnées en big bag de 1 tonne ou en sacs de 5 kilos, selon la demande des agriculteurs. Bientôt, l’arrivée d’une nouvelle ensacheuse permettra des conditionnements plus petits et plus adaptés à la vente directe. La finalité est clairement d’augmenter la valeur ajoutée de chaque exploitation, en proposant des grains aptes à la consommation humaine. « Individuellement, nous n’aurions pas supporté un investissement de cette envergure », assure David Soenen. L’outil permet aussi de faire face aux anomalies climatiques, comme lors des conditions très humides de l’été dernier. Le séchoir, la table densimétrique et le trieur optique ont permis d’amener tous les lots aux normes, sans grains germés.

Seuil de rentabilité à 3000 tonnes

L’outil est en mesure de monter à 10 000 tonnes par an, avec un seuil de rentabilité à 3 000 tonnes. Cette année, 800 tonnes de graines « seulement », livrées par une quarantaine de clients, ont été triées. « Nous avons démarré notre activité alors que les emblavements étaient déjà calés. Mais l’intérêt agronomique des mélanges en bio est tel que la pratique va rapidement se développer », assure Johann Hofer.

L’entreprise fait valoir ses atouts auprès des agriculteurs bio et des organismes stockeurs de la région. « Nous réalisons uniquement la prestation de triage, nous ne sommes pas négociants en grains. Cela permet à nos clients de répondre à des cahiers des charges très variés sans avoir à supporter un nouvel investissement. Nous sommes situés à 40 minutes de Dijon, 1 heure 50 de Nancy et 1 heure de Troyes. Et avec l’ouverture d’un dépôt Amazon à 12 kilomètres, nous pouvons même nous lancer dans l’e-commerce. »

Combien coûte un « démariage » ? Les associés restent vagues : « Nous ne rencontrons pas deux clients qui souhaitent la même chose. Le prix de nos prestations est calculé en fonction du marché, de la complexité des travaux et de nos coûts de production », précise Johann Hofer. Un devis est établi à chaque sollicitation sur présentation d’un échantillon et d’une certification bio.

Vers une pépinière d’activité 100 % bio

Faire naître une filière locale : c’est l’obsession de David Soenen. « Ici, dans le Barrois, on ne fait pas de gros rendements. Nos blés bio ne font pas plus de 2,5 tonnes à l'hectare, mais la production bio permet de valoriser une production locale de qualité. » L’agriculteur projette de créer une filière de A à Z sur la commune d’Auterive, qui devrait ainsi accueillir une zone d’activité biologique. Une coopérative agricole constituée de 23 agriculteurs vient de voir le jour, avec l’ambition de développer meunerie, huilerie, biscuiterie et fabrique de pâtes.

Avis d'expert - Hervé Pluyaut, conseiller d’entreprise, cabinet Aucap, membre du groupement AgirAgri

« Un financement par crédit-bail pour sécuriser le projet »

Pour bâtir leur projet, les quatre agriculteurs se sont associés dans deux entités : une SCI et une SARL. La SCI est propriétaire des murs et la SARL supporte les investissements et assure l’activité. « Nous avons proposé la forme SARL pour la souplesse de son cadre et sa faculté à accueillir des producteurs et des non-producteurs en son sein », souligne Hervé Pluyaut, du cabinet d’expertise comptable Aucap.
 
Le financement du projet est assuré par un crédit-bail. Ainsi, l’investissement est remboursé sous forme de loyers stables et constants. A l'issue d’une période de location de 7 ans, la Sarl Biotopes pourra racheter son outil de production pour une valeur résiduelle fixée par contrat. Le cabinet Aucap a constitué le montage juridique du projet, réalisé le prévisionnel bancaire et accompagné les clients dans les rendez-vous de financement. « Arriver avec son expert-comptable à la banque, ça donne du crédit au projet et ça change tout. Nous avons fait avec et sans et je vous garantis que ça n’a rien à voir », sourit David Soenen.
 
« Les banques « agricoles » trouvaient le projet trop industriel et les banques « industrielles » le classait comme agricole », observe Hervé Pluyaut. « En fait, le projet est agroalimentaire. Notre mission a été de démontrer la rentabilité du projet aux bons interlocuteurs, de chercher les solutions de financement les mieux adaptés au projet tout en conservant un bon équilibre fiscal et juridique. Notre cabinet met toujours un point d’honneur à accompagner les projets de la genèse jusqu’à la mise en service. Ce type de projet est une course d’endurance ».
 
Le projet a bénéficié de subventions à hauteur de 20 %, malgré un plafond à 40 %. « Entre le dépôt du dossier et la mise en œuvre du projet, le montant des investissements a doublé », indique Hervé Pluyaut. Les subventions se sont avérées précieuses pour traverser la période de confinement. Elles ont abondé le fond de roulement de la toute jeune entreprise. « Le Covid a retardé la mise en service du site et la perte de chiffre d’affaires sur la première année atteint 600 000 euros », estime Hervé Pluyaut. Heureusement, le premier loyer a pu être décalé d’un an. Et vu le nombre de devis réalisés, l’équilibre économique devrait être vite atteint.

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