Stocker à la ferme pour mieux valoriser ses récoltes
Stocker sa récolte à la ferme peut permettre de mieux la valoriser. Des coopératives mettent en place des politiques de rémunération incitatives, parfois appuyées par des collectivités. Elles délivrent conseils et analyses. La qualité de la récolte reste au cœur des préoccupations.
Stocker sa récolte à la ferme peut permettre de mieux la valoriser. Des coopératives mettent en place des politiques de rémunération incitatives, parfois appuyées par des collectivités. Elles délivrent conseils et analyses. La qualité de la récolte reste au cœur des préoccupations.
Et si vous mettiez vos installations de stockage au goût du jour pour mieux valoriser votre récolte ? De plus en plus d’organismes stockeurs (OS) rémunèrent le stockage à la ferme et des collectivités comme la région Île-de-France financent les projets d’investissement (lire encadré). « Le stockage à la ferme permet de maîtriser la commercialisation de sa récolte mais c’est aussi un moyen d’alloter plus finement une récolte », commente Katell Crépon, ingénieur en charge du stockage chez Arvalis.
Pour les organismes stockeurs, le stockage à la ferme présente un intérêt logistique, même si la stratégie diffère en fonction du positionnement géographique de l’OS. « Nous avons intérêt à recourir à ce type de stockage », explique par exemple Jean-Baptiste Hue, directeur de la coopérative Sévépi, à l'ouest du Bassin Parisien. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Nos capacités de stockage sont de 350 000 tonnes pour 500 000 tonnes de collecte. » Pour inciter au stockage à la ferme, Sévépi rémunère ses adhérents à hauteur de 5 euros la tonne pour un stockage jusqu’à fin octobre et 8 euros la tonne ensuite. « La difficulté est d’inciter les agriculteurs à stocker, sans trop forcer le trait pour continuer à saturer nos installations », explique Jean-Baptiste Hue.
Une politique de prime de stockage incitative
Dans le Grand-Est, la réflexion est différente : « Nous avons besoin de réduire les coûts, les nôtres comme ceux des agriculteurs », résume Vincent Guelfucci, directeur d’exploitation de Vivescia, qui collecte 3,2 millions de tonnes par an. « Les moissonneuses ont continué de progresser et ont des débits de chantier de plus en plus importants. À la réception, le silo ne suit plus la cadence. Faut-il moderniser des installations qui ne sont pas performantes », interroge Vincent Guelfucci.
Plutôt que de moderniser tous ses silos, la coopérative cible ses investissements et encourage le stockage à la ferme, dans le cadre d’un vaste plan stratégique. Via une politique de primes de stockage particulièrement incitative, la coopérative entend doubler le stockage à la ferme d’ici cinq ans, qui représenterait alors 40 % de la collecte. Les montants des primes de stockage s’échelonnent entre 8 et 17 euros la tonne en fonction de la durée du stockage. « Il s’agit d’un complément de revenu important pour nos adhérents. Nous cherchons à optimiser les flux de tout le monde », appuie Vincent Guelfucci, qui rappelle « qu’en développant le stockage des céréales à la ferme, l’exploitant agricole gagne du temps et dispose d’une totale autonomie pour récolter 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 s’il le souhaite ».
L’allotement pour préserver la qualité est l’un des atouts du stockage à la ferme. « Nous cherchons à œuvrer sur des marchés ciblés pour se distinguer des gens qui travaillent la masse, par exemple les pays de la mer Noire », explique Vincent Guelfucci, dont la coopérative investit massivement dans du matériel analytique. « Je veux être capable de contrôler à terme toutes les bennes sur l’humidité, le PS et le taux de protéines, mais aussi sur les mycotoxines et la pureté variétale. »
Des analyses du grain jusque dans les exploitations
Pour s’assurer de la qualité des grains stockés en ferme, Sévépi effectue des analyses jusque dans les exploitations. « Pour la dernière campagne, nous avons réalisé 499 analyses chez 200 producteurs de céréales, détaille Jean-Baptiste Hue. Ce service nous permet de cerner la qualité et d’organiser les enlèvements. Lorsque nous avons besoin d’une variété spécifique comme Apache ou Fructidor, nous savons à quel adhérent nous adresser et de quels volumes nous disposons. » La coopérative entend généraliser ces analyses.
Reste que le stockage à la ferme requiert des compétences particulières. « Nous mettons en place des formations car stocker n’est pas si simple », rappelle Vincent Guelfucci. La température du lot doit être contrôlée et maîtrisée. « Si la durée moyenne de stockage en ferme excède six mois, ce que va faire l’agriculteur a un impact sur la qualité », explique Katell Crépon, qui étudie la qualité du stockage chez Arvalis.
Refroidir dès la première nuit de stockage
Les grains stockés respirent et produisent de la chaleur, même s'ils ont été récoltés aux normes, . À la moisson, la température du grain oscille entre 25 et 35°C. Un refroidissement par ventilation dès la première nuit de stockage va permettre de conserver sa qualité, en abaissant la température des grains, par pallier de 5°C jusqu’à 18-20°C.
À l’automne, une deuxième ventilation doit amener le grain aux alentours de 12°C. « Si l’on désire conserver un lot jusqu’au printemps, le refroidissement doit être poursuivi en hiver pour stabiliser sa température idéalement à 5°C », souligne Katell Crépon. Le refroidissement permet également de protéger les grains des insectes.
Les agriculteurs connaissent les pratiques de ventilation
Une enquête BVA-Arvalis de juin 2018 réalisée auprès de 1900 agriculteurs révèle que les agriculteurs connaissent les pratiques à mettre en place. « 90 % des agriculteurs qui ont un système de ventilation ventilent, 70 % d’entre eux mesurent la température du grain mais 30 % seulement enregistrent les températures. Cela peut poser problème pour maîtriser la descente de température », commente la spécialiste d’Arvalis, qui y voit des voies d’amélioration. « Il faut progresser dans la rigueur et le suivi du pilotage de la ventilation. L’utilisation d’un thermostat peut rendre la ventilation plus efficace. »
Des sondes connectées existent sur le marché, qui enregistrent automatiquement l’évolution des températures. Pour la récolte française, l’enjeu est avant tout qualitatif. D’après une enquête de FranceAgriMer réalisée en 2014, les capacités de stockage à la ferme ventilées sont estimées à 22,3 millions de tonnes en équivalent blé.
Des aides pour mieux s’équiper
C’est l’une des rares régions françaises à soutenir les investissements de stockage de céréales à la ferme. Consciente d’être “une grande région agricole” et “le grenier à blé de l’Hexagone”, la Région Île-de-France finance la construction et la rénovation de bâtiments de stockage de céréales et les équipements liés, à hauteur de 40 % des investissements. Accordée dans le cadre d’appels à projet “bâtiments agricoles”, la subvention est plafonnée à 50 000 euros hors bonifications. Une aide qui reste la bienvenue pour des investissements conséquents, estimés entre 7 et 11 euros la tonne.
Stocker sa récolte pour ramener de la valeur
Cédric Huard est agriculteur à Longnes dans les Yvelines. Il cultive 192 hectares de SAU, dont 95 de blé, 45 de colza et 45 de cultures de printemps (pois, féverole, lin textile). Il stocke quasiment l’intégralité de sa récolte à la ferme grâce à un stockage à plat de 500 tonnes et des cellules coniques de 800 tonnes.
Accompagner l'augmentation du débit de chantier
Pour Cédric Huard, « les deux types de stockage se complètent très bien : le stockage à plat permet d’aller vite à la moisson et apporte beaucoup de souplesse. On fait les horaires que l’on veut et le débit de chantier n’est pas ralenti. » En 2009, le producteur a augmenté toute la cinétique de son stockage en cellules. « Je suis passé d’un débit de 20 à 75 tonnes à l'heure pour accompagner l’augmentation du débit de chantier de la moisson. La moisson est faite par deux moissonneuses de 7,50 mètres de coupe. »
Alloter pour aller chercher la marge
Les six cellules ont été entièrement refaites en 2018, pour résoudre des problèmes d’humidité et de ventilation. « J’ai tout démonté et installé des venticônes au fond, explique Cédric Huard. Ça a été un gros chantier : à deux, cela nous a pris six mois. Mais aujourd’hui, je peux alloter toute ma récolte. » Trois cellules sont dédiées aux contrats de blé label rouge ou Irtac. Les blés de classe 3 standard sont stockés à plat. « J’ai préféré investir dans le stockage plutôt que dans des bennes : je reste maître de ma commercialisation. » L’agriculteur, qui vend l’intégralité de sa récolte à Sévépi, rappelle que « financièrement, le stockage permet d’aller récupérer 10 euros par tonne de blé et 15 euros par tonne de colza ».
Rigueur dans la ventilation pour préserver la qualité
« Par contre, il faut être rigoureux dans la ventilation des grains : j’abaisse la température du grain en trois fois jusqu’en novembre, pour tomber à 10-12°C. À partir d’avril, les installations sont nettoyées et désinfectées. » Elles seront prêtes au 15 juin pour la future moisson.