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Le blé redore son blason dans le Pays Basque

Il se refait une place en surfant sur la vague de la consommation locale. Dans le Pays Basque, le blé sert à la production de baguettes de tradition du pays.

Le blé reprend du terrain petit à petit dans le Pays Basque. © Herriko Ogia
Le blé reprend du terrain petit à petit dans le Pays Basque.
© Herriko Ogia

Un peu de blé dans un océan de maïs. Le Pays Basque n’offre pas vraiment des terres à blé mais la céréale à paille s’y redéveloppe petit à petit. « Avant le fort développement du maïs, il y avait bien des champs de blé sur notre territoire avant que la céréale ne disparaisse", remarque Nicole Auroy-Radulovic, se rappelant les récits de son père. Directrice générale de la Minoterie d’Arki, elle n’est pas pour rien dans la relance du blé. "En 2009, avec quelques agriculteurs, une dizaine de boulangers et l’aide de l’animateur d’Uztartu, cluster d’entreprises du secteur agricole, nous avons entrepris la construction d’une filière de blé de qualité. L’idée était que cette production soit durable, équitable et rentable aussi bien pour les meuniers, boulangers que les producteurs. La volonté était de travailler également en économie circulaire avec des agriculteurs locaux et d’imprimer une identité locale assez forte à nos produits. » Dix ans plus tard, la filière Herriko Ogia (blé de pays, en basque) est bien ancrée sur le territoire avec deux minoteries, une vingtaine d’agriculteurs et 55 artisans boulangers. Avec 74 hectares, la surface de production reste modeste.

Des blés sans raccourcisseur et sans irrigation

Agriculteur à Camou, Jean-Marie Elgart a consacré 8 hectares à du blé Herriko cette dernière campagne, en adoptant le cahier des charges qui a été défini pour cette production. « L’utilisation en mélange de variétés panifiables présentant une tolérance aux maladies est inscrite dans ces règles. J’ai donc recouru à deux mélanges des variétés Apache et Descartes et d’Orégrain et Descartes. Je n’y ai appliqué qu’un seul fongicide fin avril en observant un peu de maladie, sachant que le cahier des charges interdit tout traitement en préventif. » C’est le seul traitement que le blé Herriko de Jean-Marie Elgart a reçu : pas d’insecticide ni de désherbant et encore moins de régulateur de croissance, interdit sur ce blé. Quant à l’engrais azoté, la quantité est plafonnée à 150 unités à l’hectare. Le blé sur blé est proscrit. Il est semé dans la foulée de la récolte de maïs qui doit se faire entre la mi et la fin octobre. L’irrigation est interdite et c’est à cette condition que l’association Herriko Ogia dévolue à ce blé a reçu des subventions de la région Nouvelle Aquitaine et de l’Agence de l’eau Adour-Garonne.

Plusieurs raisons ont orienté l’agriculteur vers la production de ce blé il y a trois ans. « Le blé répondait à ma recherche de diversification culturale imposée par la PAC. Maintenant, j’y vois un intérêt agronomique. Le blé s’avère un bon précédent pour le maïs avec des sols plus faciles à travailler et un meilleur départ des maïs derrière. J’obtiens une répartition meilleure du travail entre l’automne et le printemps. Enfin, ajoute le producteur, le blé de la filière Herriko offre un prix plus rémunérateur que le blé ou le maïs vendu à la coopérative. Nous avons une garantie de prix de 200 euros la tonne, vendu pris au champ. Le coût du transport est pris en charge par les minotiers. » En cas de cours mondial du blé supérieur à ce prix, la rémunération peut être majorée de 20 euros la tonne. C’est inscrit dans le cahier des charges.

« C’est valorisant de savoir que c’est vendu localement pour faire un bon produit »

L’existence de cette filière locale de qualité n’a pas été la moindre des raisons ayant pesé sur le choix de Jean-Marie Elgart. « Cela m’a séduit d’autant que je pratique déjà une production locale depuis sept ans avec mon élevage de porcs basques. Les gens parlent du blé et du pain Herriko. Ils connaissent. C’est valorisant de savoir que c’est vendu localement pour faire un bon produit. » La filière Herriko Ogia bénéficie d’une communication soutenue et le Pays Basque fourmille d’ailleurs de productions locales à haute valeur ajoutée.

La production de blé Herriko chez les différents agriculteurs du Pays Basque est suivie par Emmanuel Bonus (Manue), agronome à l’association EHLG (1), sorte de chambre d’agriculture alternative. « Le blé reprend une place dans le Pays Basque en partie grâce à cette filière. Ce blé de qualité apporte un meilleur revenu aux agriculteurs et une nouvelle culture dans la rotation sur une zone dominée par le maïs irrigué, avec une amélioration agronomique des sols à la clé. Par rapport à cette succession maïs-blé et compte tenu du climat humide propice aux maladies, nous avons établi une liste de variétés panifiables présentant un niveau de tolérance élevé aux pathogènes, notamment à la fusariose des épis. Nous imposons en plus un mélange d’au moins deux variétés pour limiter le développement des maladies. »

Prudence sur l’augmentation de production

La protection contre les maladies avec des fongicides est possible mais proscrite en préventif. La filière Herriko s’inscrit dans une démarche d’agriculture raisonnée dépendante d’un minimum d’intrants. « Il faut malgré tout permettre une production rentable avec des variétés productives. Nous visons un minimum de 50 q/ha dans nos conditions de culture », remarque Manue Bonus.

Les parties prenantes restent prudentes sur des objectifs d’augmentation de la production locale de blé même si la consommation de produits locaux a le vent en poupe et que l’utilisation du blé est envisagée pour d’autres produits que la simple baguette de tradition. La minoterie d’Arki à Ustaritz écrase 2 800 tonnes de blé par an dont une moitié de céréales de qualité CRC, venant du sud-ouest de la France. En 2019, le blé Herriko représentera moins de 10 % du blé utilisé par ce meunier (200 tonnes réparties équitablement avec l’autre minoterie de la filière). « Il y a bien une volonté d’augmenter la production, signifie Nicole Auroy-Radulovic, mais nous procédons par étapes. »

(1) Euskal Herriko Laborantza Ganbara.
 

EN CHIFFRES

Ferme de polyculture élevage Larrartia à Aicirits-Camou-Suhast

40 hectares dont 16 de maïs grain et 8 de blé Herriko (reste : prairie)

45 truies en élevage de porc basque naisseur

60 q/ha de rendement en blé en moyenne mais 74 q/ha en 2019

600 €/ha de charges opérationnelles (hors carburant et mécanisation)

Forte exigence de qualité à la récolte

Il y a une obligation de résultat à la récolte pour passer en filière Herriko. Pour ce faire, les grains sont analysés à la récolte sur plusieurs critères : humidité, protéines, PS, temps de Hagberg, teneur en mycotoxines… Passée cette étape, les grains font l’objet d’un test de panification final. Et alors, l’agriculteur peut être rémunéré en blé Herriko plutôt que de voir son lot déclassé pour une vente au cours mondial. « Il y a tous les ans des lots déclassés mais en 2019, la production des 14 agriculteurs impliqués a été particulièrement bonne avec une production de 394 tonnes. Depuis quelques années, nous visons 300 tonnes par an pour répondre à la demande locale. Nous avons donc un stock de report », constate Manue Bonus, de l’association EHLG, avec une certaine satisfaction.

Une production fluctuant au gré du climat

Les années se suivent et ne se ressemblent pas. La campagne 2017/2018 fut calamiteuse à cause du climat pluvieux avec de très bas rendements (27 q/ha de moyenne), une qualité faisant défaut et seulement 107 tonnes exploitables. « Depuis que la filière Herriko existe, nous avons connu trois années horribles, quatre années correctes et quatre très bonnes, récapitule Manue Bonus. Lors des pires années, il n’est pas rentable de faire du blé Herriko. » Les agriculteurs impliqués consacrent une part limitée de leurs hectares à ce blé et ils sont éleveurs pour la plupart. Ils peuvent au moins trouver une valorisation avec la paille.

Des règles strictes de l’agriculteur au boulanger

Des cahiers des charges s’appliquent à chaque maillon de la filière du blé Herriko : chez l’agriculteur, le meunier et le boulanger. Pour la farine et le pain, il s’établit sur le socle du décret de 1993 (1) stipulant les règles pour la production de « pain de tradition française. » En sus de ces règles, la farine doit être composée exclusivement de blé cultivé en Pays Basque. Elle ne doit contenir aucun additif ni conservateur et la traçabilité doit être maîtrisée de la production du blé jusqu’à la fabrication du pain. Les boulangers appliquent des recettes spécifiques pour la fabrication des pains Herriko.

(1) Décret n° 93-1074

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