La qualité hétérogène de la récolte 2014 de blé conduit à un marché très segmenté
Face à l’hétérogénéité de la récolte de blé française, une kyrielle de prix apparaissent selon les qualités et les régions. Au point que la référence Euronext en est perturbée. Tous les opérateurs cherchent à caractériser le plus possible les lots pour repêcher des lots panifiables.
C’est à n’y rien comprendre. Le gradient de qualité du blé tendre français va à l’inverse des habitudes. Plus on avance en zone continentale, plus le blé tendre est touché par la germination sur pied et/ou des indices de Hagberg faibles. La zone la plus affectée est le grand Est allant de la Champagne-Ardenne à la vallée du Rhône avec la Bourgogne comme épicentre de ce séisme germinatif. Au contraire, la façade Atlantique allant de Toulouse à Caen se trouve relativement épargnée. Et dans le Nord, plus tardif, la situation est intermédiaire. Une carte qui se superpose parfaitement avec celle de Météo France indiquant le pourcentage de précipitations par rapport à la normale au cours du mois de Juillet. Les régions Centre Est et Nord-Est ont reçu en moyenne 2,5 fois plus de précipitations qu’en année normale, avec des records historiques journaliers et mensuels.
En général, sur la deuxième quinzaine d’août, la filière céréalière est déjà en mesure de faire un état des lieux assez précis de la qualité du blé français. Les collecteurs ont déjà constitué des lots homogènes. Les meuniers ont reçu des échantillons des différentes variétés qu’ils ont analysé et sont en mesure de constituer les mélanges qui leur permettront d’élaborer les farines répondant aux critères de qualité boulangère à la française. Et les dégagements tant sur le marché intérieur qu’export ont débuté. Mais cette année, c’est le flou total.
Au moins 30 % du blé serait fourrager
La première question qui se pose est : quel le pourcentage de blé français pouvant être destiné à la meunerie ? « Nous estimons que 60 à 70 % de la récolte française a un temps de chute de Hagberg supérieur à 180 secondes, considérait Andrée Defois, analyste des marchés de Tallage, le 20 août. Ce qui veut dire qu’au moins 35 % sera destiné à l’alimentation animale. » A titre de comparaison, en temps normal, 88 à 90 % de la récolte totale de blé est apte à la meunerie. Et encore, le temps de chute de Hagberg retenu normalement est de 220 secondes et non 180. « La France ne pourra pas satisfaire tous ses clients en blé », a prévenu François Luguenot, responsable de l’analyse des marchés chez InVivo.
Cette grande hétérogénéité de la qualité se retrouve évidemment dans les prix du blé, avec deux conséquences : d’une part des écarts de prix importants d’une région à l’autre, d’autre part des écarts historiques entre le blé meunier et le fourrager. Chaque année, dans une région ou une autre, on peut voir apparaître un problème qualitatif qui fait creuser l’écart entre le prix du blé meunier et celui du blé fourrager. Mais c’est la généralisation de ce phénomène sur tout le territoire qui fait de 2014 une année inédite. Au 22 août, selon les cotations de la Dépêche-le Petit Meunier, le prix du blé meunier départ Sud-Est était de 200 euros/tonne contre 145 euros/tonne pour le fourrager, soit 55 euros d’écart. À la même date, la prime au blé meunier (76/220/11%) était de 32 euros/tonne dans la Marne et de 40 euros/tonne dans l’Eure-et-Loir, contre 5 à 15 euros ces dernières années.
Inversion d’ordre de prix entre Euronext et Rendu Rouen
On assiste par ailleurs à un autre phénomène surprenant. Le prix physique du blé meunier Rendu Rouen est plus élevé que le prix du blé Euronext. Par exemple, le 22 août, le prix rendu Rouen était de 173 euros/tonne contre 171,75 euros/tonne pour Euronext. En fait, les cotations Euronext sont bien représentatives lorsque la récolte française est homogène sur le territoire, avec un écart faible entre les qualités meunière et fourragère. Ce n’est pas le cas cette année, et une grande partie des blés ayant les spécificités requises pour la cotation « Euronext blé meunier » (76/15/4/2/2) vont en fait se retrouver être des blés fourragers. « Cela va poser des problèmes dans les mois à venir car bon nombre de transactions commerciales pour les blés meuniers s’appuient sur un prix Euronext plus ou moins une prime », s’inquiète Bernard Valluis.
Les silos de Rouen veulent maintenir le cap
Autre grande interrogation de cette campagne : comment les marchés pays tiers vont réagir ? Et en préambule, les opérateurs vont-ils assouplir leurs exigences de qualité ? Un premier élément de réponse est venu des silos de Rouen Senalia et Socomac, agréés par Euronext. Ils accepteront pour cette campagne des lots de blé tendre doté d’un taux de protéines de 10,5 % sur le stock moyen de chaque livreur, et d’un temps de chute de Hagberg de 220 secondes avec une tolérance jusqu’à 170 secondes (moyennant réfactions). Ainsi, les silos restent fermes sur leurs exigences de qualité afin d’éviter de se décrédibiliser sur les marchés pays tiers.
Du blé lituanien et britannique pour améliorer le blé français
On a appris le 22 août que des exportateurs français ont importé sur le port de Rouen 27 000 tonnes de blé lituanien et 4 400 tonnes de blé britannique pour pouvoir les mélanger avec des blés français afin d’améliorer la qualité de lots et ainsi pouvoir honorer des contrats à l’exportation sur pays tiers. Pas très rassurant en ce tout début de campagne.
Cette campagne commerciale 2014-15 va être particulièrement difficile, dans un contexte d’offre abondante tant sur le marché du blé meunier que des céréales fourragères. Les récoltes de blé ukrainien et russe sont importantes. Même si leur qualité sera moindre par rapport à l’an dernier, elle reste bien meilleure que le blé français. Côté alimentation animale, les récoltes mondiales de maïs et de soja, pléthoriques, risquent de tirer le marché des céréales fourragères vers le bas.
Une qualité meunière difficile à évaluer
Selon Bernard Valluis, président délégué de l’association nationale de la meunerie française (ANMF) :
• En général, lorsque le temps de chute de Hagberg est compris entre 60 et 100 secondes, le blé est fourrager ;
• de 100 à 130 c’est quasiment impossible d’en faire un blé meunier ;
• de 130 à 180, on est dans une zone intermédiaire qui mérite analyse ;
• de 180 à 220, la qualité meunière est possible mais la pâte à pain est collante ;
• au-dessus de 220, la qualité meunière est assurée.
« Mais cette année le critère ‘indice de Hagberg’ est insuffisant pour classer un blé en meunier ou non, car il existe un effet variétal très marqué pour un indice de Hagberg équivalent. Le taux de protéines a, bien sûr, lui aussi beaucoup d’importance, explique Bernard Valluis. Au final, il n’y a pas d’autre solution que de réaliser un test de panification pour évaluer convenablement la qualité meunière d’un lot. »