Transport des céréales
La filière à la reconquête des voies navigables
Transport des céréales
Dans le sillage de celle engagée pour le train, la filière céréales et oléoprotéagineux entame une démarche de concertation avec le monde du transport fluvial. Première étape : un rapport de huit propositions pour reconquérir ce mode de transport massif.
Bâtir un partenariat avec les acteurs du fret fluvial pour améliorer un mode de transport massif dont le réseau irrigue plus des deux tiers de la zone de collecte française.
Voilà pourquoi, la filière céréales et oléoprotéagineux, sous l´égide de l´Onic, leur a soumis huit propositions dans un livre blanc. Alors que le transport fluvial ne représente plus qu´environ 10 % des trafic d´expéditions de grains, celles-ci tombent à point nommé. Car ce mode à la fois économique et respectueux de l´environnement a regagné dans l´opinion ses lettres de noblesse.
Améliorer le réseau Freycinet
Mais de l´avis de tous, et en premier lieu chez Voies Navigables de France (VNF), sa réhabilitation demeure une ouvre de longue haleine. Voilà pourquoi également l´Onic, sans mettre en doute que l´avenir du transport fluvial réside dans le développement du grand gabarit et notamment la réalisation de liaisons telles le canal Seine-Nord, souligne l´importance d´améliorer le réseau dit Freycinet "e;sur lequel se situe le plus grand nombre d´embranchements fluviaux de la filière céréalière"e;.
Même s´ils n´autorisent qu´un gabarit maximum de 350 tonnes, ces canaux présentent un fort potentiel d´amélioration. D´une part l´insuffisance d´entretien entraîne l´ensablement, la fragilité des berges ou encore la dégradation des palplanches. Ceci limite la vitesse de circulation des bateaux ou dans certains cas interdit la navigation.
D´autre part, la rentabilité de cette infrastructure est altérée par la quasi impossibilité de naviguer de nuit et le grand nombre d´écluses qui limitent son usage. Les travaux de réhabilitation du réseau freycinet coûteraient 7 milliards de francs, à comparer aux 800 millions de francs que VNF consacre aux travaux de gros entretiens et de restauration du réseau. Ce qui porte, selon l´Onic, le délai à "e;dix ans pour obtenir un réseau pleinement opérationnel"e;.
D´où parmi les huit propositions, celle d´établir un accord cadre sur les investissements qui fixerait engagements et priorités. Car "e;même si les montants alloués sont en très forte progression, (...) un tel délai pour la remise à niveau du réseau est particulièrement préoccupant"e;, écrivent les rédacteurs du livre blanc qui rappellent que de leur côté les opérateurs céréaliers devront adapter leur réseau d´embranchements fluviaux sur les canaux à grand gabarit existants ou en projet.
Augmenter la cale disponible
L´autre point majeur abordé concerne l´insuffisance de la cale disponible. Pendant les deux dernières décennies, le nombre de bateaux a fortement diminué sous l´effet des plans de déchirage mis en place par les pouvoirs publics. Ceux-ci accordaient aux mariniers lors de leur départ en retraite une prime de 200 à 350 000 F. Ces plans ont certes permis de recycler la cale vétuste mais ont divisé la flotte par trois (1 890 bateaux au 1er janvier 2000) et les tonnages transportés par deux.
Par ailleurs, la réglementation européenne de contingentement de la cale persiste : toute création doit être compensée par la suppression d´une capacité équivalente ou le paiement d´une indemnité. Avec, pour couronner le tout, une fiscalité défavorable. "e;Les mariniers sont soumis à un plafond fiscal de 350 000 F TTC qui, sous réserve de le respecter, limite leurs charges et leurs impôts et leur évite la taxe sur la plus-value en cas de cession de leur bateau. Ce seuil fiscal a pour conséquence de limiter le nombre de voyages annuels à réaliser (...)"e;. Ces politiques de découragement se sont naturellement traduites par une chute démographique au sein de la batellerie artisanale. En Haute-Normandie, par exemple, leur moyenne d´âge serait de 45 ans avec un pic démographique vers 55 ans. Un manque d´effectifs important est prévisible si une politique d´amélioration de la rentabilité de l´activité et de formation de jeunes mariniers n´est pas entreprise.
Enfin, parmi les principales améliorations souhaitées, l´Onic évoque "e;le tour de rôle recomposé de fait"e; (voir encadré). Jugé peu transparent, ce système engendre à ses yeux une insuffisance de contacts avec les bateliers, un manque de garantie sur le type de cale fournie et une absence de suivi du transport. Avec pour principale conséquence des coûts de manutention du fait de l´hétérogénéité des bateaux fournis. Ils déplorent aussi le manque d´information sur le déroulement du transport qui est à l´origine d´un défaut de coordination des opérations de chargement et de déchargement donc de surcoûts. La filière souhaiterait donc "e;pouvoir établir des contrats de gré à gré avec les mariniers ou les courtiers"e; qui engageraient les chargeurs sur les tonnages remis et les mariniers sur les bateaux fournis et les délais. Pour engager de nouveau rapports commerciaux, l´Onic propose la conclusion d´un accord cadre avec les instances représentatives des mariniers et courtiers.
Ce livre blanc ouvre un chantier vaste est ambitieux qui nécessitera une large concertation. La filière pourrait confier un volume potentiel de 40 millions de tonnes de céréales et de graines oléoprotéagineuses au fret fluvial. Et point de hasard si elle prend le problème à bras le corps. Car, "e;alors que nos marchés intérieurs sont désormais en prise directe avec les cours mondiaux, le coût du transport constitue pour l´avenir l´un des enjeux majeurs de la filière céréalière"e;, rappelait, à l´issue du Comité de gestion d´Octobre dernier, Pierre-Olivier Drège, directeur de l´Onic.
Depuis la loi du 12 juillet 1994, la difficile libéralisation du transport fluvial
Depuis le 1er janvier 2000, le marché du transport fluvial a été libéralisé. Cette évolution résulte de la loi de modernisation du 12 juillet 1994 qui fut votée en vue de préparer les mariniers à l´ouverture de leur marché. Auparavant, l´affrètement fonctionnait suivant un tour de rôle géré par VNF avec notamment des tarifs intérieurs fixes et un ordre de passage.
Ce système a été remplacé par une organisation équivalente sous l´égide de la Coordination associative de transport fluvial (CATF) qui a mis en place le CIS (Cale Info Service). Selon l´Onic, son fonctionnement est proche de l´ancienne bourse fluviale, ce qui lui fait dire que le tour de rôle a été "e;reconstitué"e;.
Voies Navigables de France : "e;Le transport fluvial se développe dans des proportions inespérées"e;
Dix ans après la création de Voies navigables de France (VNF), les résultats sont tangibles. Le trafic fluvial des céréales pourrait doubler voire tripler à l´horizon 2010. "e;Dans le cadre de notre politique de soutien à la création d´embranchements fluviaux, huit dossiers sur dix sont céréaliers avec un engagement moyen de 18 millions de tonnes"e; expliquait, à la journée céréales 2001 du port de Rouen, Jean Gadenne, directeur du développement de la voie d´eau et du patrimoine chez VNF.
Pourtant, jusqu´en 1994, le transport fluvial subissait une désaffection quasi générale. "e;Face à l´hégémonie du transport routier l´état d´esprit dominant se résumait ainsi : pourquoi investir dans un mode de transport obsolète qui sera inutilisé dans dix ans ?"e; Rappelait Jean Gadenne.
Contrats de plan : C´est dans ce contexte de repli mais aussi de prise de conscience de la nuisance du tout routier que VNF, établissement public à caractère industriel et commercial, fut crée en 1991. Avec une mission simple : impulser une dynamique de reconquête des voies navigables. Aujourd´hui la tendance semble bel et bien inversée.
Le fret fluvial a progressé de 30 % sur les trois dernières années et les investissements consacrés par VNF aux 6 700 kilomètres de fleuves et canaux qu´elle gère ont doublé en dix ans. Ils dépassent aujourd´hui un milliard de francs. "e;Mais là où l´évolution a été la plus nette, soulignait François Bordry, à l´occasion du dixième anniversaire de cet établissement public qu´il préside, c´est dans les partenariats que nous avons noué avec les collectivités territoriales, les régions notamment, pour la négociation des Contrats de plan."e; Le montant des investissements contractualisés entre 2000 et 2006 atteint 4,2 milliards de francs à comparer au 830 millions de francs du plan précédent.
Signes incontestables que fleuves et canaux "e;ont retrouvé les faveurs des décideurs politiques et économiques"e; qui redécouvrent les atouts du transport fluvial : faible consommation d´énergie et d´espaces(1) et prix compétitifs.
(1) Selon VNF, la voie d´eau est le mode de transport le moins gourmand d´espace : pour un même trafic, la route utilise 290 000 hectares, le chemin de fer 84 000 ha et la voie navigable 30 000 ha.