Echanger ses parcelles pour aménager son foncier
Échanger ses parcelles éloignées pour gagner en confort et économiser des charges, c’est possible. Les modalités sont relativement simples. Il faut toutefois trouver le coéchangeur. Voici quelques clés pour faire le pas.
Échanger ses parcelles éloignées pour gagner en confort et économiser des charges, c’est possible. Les modalités sont relativement simples. Il faut toutefois trouver le coéchangeur. Voici quelques clés pour faire le pas.
Traverser un centre urbanisé ou passer son temps en tracteur pour se rendre sur une parcelle éloignée, voilà des épreuves qui rebutent les exploitants. Alors, pourquoi ne pas essayer d’échanger ces parcelles-là ? Des économies sont à réaliser. La chambre d’agriculture de la Manche annonce un écart de 157 euros par an sur les charges d’une parcelle de dix hectares située à dix kilomètres du siège de l’exploitation et une autre équivalente se trouvant à cinq kilomètres. « Sur dix ans, c’est 1 570 euros gagnés, calcule Sylvain Lebain, conseiller à la chambre d’agriculture de la Manche. Par les temps qui courent, ce n’est pas négligeable. » Problème : « le principe d’échange de parcelles est toujours un peu confus dans la tête des agriculteurs », constate Antoine Bertin, juriste à la FDSEA de la Marne. Il existe en fait trois types d’échanges en fonction du statut foncier des terres.
Respecter les obligations de l’exploitant initial
L’échange peut concerner des parcelles détenues en propriété. En pratique, c’est alors une double vente. Les baux et droits de préemption sont reportés sur les nouvelles parcelles. Définitif, l’échange peut se réaliser à l’initiative des propriétaires ou à la demande des locataires. Autre cas : l’échange en jouissance, qui se fait entre exploitants. Il n’y a ni changement de propriétaires, ni de fermier. Chacun garde le bail initial, mais cultive une parcelle équivalente ailleurs. « Ces échanges sont basés sur la confiance, précise Antoine Bertin. Les obligations envers le bailleur, comme le paiement du fermage ou la bonne exploitation de la parcelle, incombent au fermier initial. Ce dernier devra répondre aux éventuels manquements du coéchangeur. Il y a toujours ce risque. » Le preneur initial conserve son droit de préemption. La durée de l’échange correspond au bail le plus court, à moins qu’il ne soit dénoncé avant par l’une des parties. S’il est reconduit tacitement, l’échange peut subsister dans le temps. Le dernier type d’échange implique des fermiers. Il consiste en un transfert de baux en même temps que de parcelles. De nouveaux baux sont alors souscrits chez le notaire. La durée de l’échange correspond à celle du bail nouvellement consenti.
Les propriétaires doivent être informés
En pratique, les formalités sont peu nombreuses et souvent peu coûteuses. Pour un échange en propriété, un acte notarié doit être rédigé et un bornage par le géomètre réalisé si nécessaire. Le propriétaire doit avertir son preneur. Selon la loi d’Avenir, les parcelles doivent être situées dans le même canton ou dans une commune limitrophe au canton concerné. Pour un échange en jouissance ou entre fermiers, les preneurs doivent avertir leurs propriétaires par un courrier recommandé. Selon les départements et les surfaces en cause, les propriétaires des parcelles échangées doivent être simplement informés ou bien donner formellement leur autorisation. Dans le cas d’un échange entre fermiers, les frais sont ceux liés à l’actualisation des baux (résiliation des anciens, rédaction des nouveaux). Hors les lettres recommandées aux propriétaires, l’échange en jouissance n’occasionne pas de frais. Toutefois, l’article L.411-39 du Code rural encadre la taille des surfaces échangeables dans ce cadre. L’échange peut être partiel ou bien concerner la totalité de la parcelle, sous réserve que celle-ci soit inférieure au cinquième de la surface minimale d’installation, qui est définie au niveau départemental dans le schéma directeur des structures agricoles. « Pour la Champagne crayeuse, cela correspond à 138 ha », indique Antoine Bertin. Sans manifestation d’opposition de la part des propriétaires, l’échange est considéré comme accepté. « Pour des motifs, souvent subjectifs, comme la mauvaise réputation du coéchangeur, ou l’utilisation de pratiques agricoles trop différentes, le propriétaire a deux mois pour saisir le tribunal paritaire des baux ruraux, remarque Antoine Bertin. Toutefois, il doit justifier son opposition. »
Aucun contrat n’est requis pour ce type d’échange. Pourtant tous les experts préconisent un état des lieux dans le cas d’un échange en jouissance ou entre fermiers. « C’est un moyen de préciser les choses, estime Nicolas Doret, expert foncier en Eure-et-Loir. Surtout lorsqu’il se fait sur une longue période ou à plusieurs agriculteurs. Ce document permet de constater les dégâts ou les améliorations sur la parcelle lorsque l’échange prend fin. » Au cœur de cet état des lieux : une analyse de sol, les rendements des cinq dernières années et le degré de salissement de la parcelle, qui peuvent constituer des preuves en cas de divergence à la fin de l’échange. Une convention peut être réalisée avec pour informations l’identité des deux personnes, les biens concernés, la durée et les conditions d’échange. En général, « sur le terrain, rien n’est écrit, constate Antoine Bertin. C’est une transaction basée sur la confiance avant tout. Mais quand un litige survient, il est plus compliqué de se retourner vers son coéchangeur s’il n’y a pas de document signé. »
Estimer la valeur des parcelles
Pour que tout se passe au mieux, les parcelles doivent être de valeur équivalente. Dans le cas d’un échange en propriété, « nous évaluons les lots selon leur potentiel agronomique, leur forme et leur situation, explique Nicolas Doret. L’estimation est à pondérer selon l’intérêt des propriétaires. Nous sommes davantage là pour apporter un conseil plutôt que pour donner une valeur. Généralement, l’enjeu n’est pas pécuniaire. Les propriétaires demandent, avant tout, une clé de pondération relativement simple. » Si le propriétaire est exploitant, son intérêt sera agronomique alors que si ce n’est pas le cas, il regardera surtout la surface ou la valeur locative du bien. Dans le cas où les surfaces ou bien les valeurs des parcelles ne sont pas identiques, une soulte peut être versée à l’autre propriétaire. « On voit davantage ces échanges avec soulte au sein d’une fratrie », constate l’expert foncier.
Et dans le cas d’un échange de jouissance ou de fermiers, ce sont les exploitants qui estiment la valeur des parcelles. « Souvent, les agriculteurs au sein d’une même région naturelle estiment que les parcelles ont à peu près la même valeur, constate Sylvain Lebain. En pratique, si les terres n’ont pas les mêmes valeurs, l’échange ne se fait pas. »
Quel que soit le type d’échange, la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer) et à la MSA doivent être informées des changements. La déclaration se fait au même moment que la déclaration PAC. « Cela n’a aucune incidence sur les DPB (droits à paiement de base), puisque dans ces cas-là, les surfaces sont souvent équivalentes », précise le juriste. Toutefois, les contraintes environnementales liées à la parcelle, comme les MAEC (mesures agroenvironnementales et climatiques) ou le maintien des prairies doivent être honorées. Si le nouveau preneur ne souhaite pas appliquer ces engagements, il peut casser le contrat… à ses frais.
Un site pour faciliter les échanges
Échanger ses parcelles, c’est bien beau… mais avec qui ? Si on ne connaît pas ses voisins, ou s’ils ne sont pas prêts pour un tel changement, le projet peut vite tomber à l’eau. « Les agriculteurs sont souvent attachés à leur parcelle et ont peur de perdre en potentiel agronomique », explique Sylvain Lebain, conseiller à la chambre d’agriculture de la Manche. Pour éviter cela, Mickaël Jacquemin et Vincent Barbier ont créé en décembre 2016 le site echangeparcelle.fr. La plateforme a pour but de faciliter les rencontres avec d’autres agriculteurs susceptibles de réaliser un échange. Ils sont situés à proximité de la parcelle en jeu. « Depuis son lancement, 370 échanges ont été réalisés », estime Mickaël Jacquemin.
« Investir dans le foncier pour qu’il soit plus rentable »
« Peu d’agriculteurs se rendent compte des économies qu’ils peuvent réaliser avec un parcellaire mieux organisé. Les économies annoncées portent sur l’énergie, les intrants épandus, les heures de travail, sur l’usure du matériel, mais aussi sur l’environnement avec l’énergie utilisée. Il faut investir dans le foncier pour qu’il soit plus rentable, comme les agriculteurs peuvent le faire pour le matériel ou les bâtiments. Des parcelles bien délimitées et rapprochées ont un impact sur l’ensemble du système d’exploitation. Les agriculteurs seraient plus heureux s’ils bénéficiaient d’un foncier optimisé. »