Échanger ses parcelles : les règles à respecter pour éviter les soucis
Les échanges en jouissance, communément appelés échanges de parcelles, sont pratiques. Ils simplifient le parcellaire et le quotidien de chacun. Mais mal ficelés, ils sont un motif de rupture de bail.
Les échanges en jouissance, communément appelés échanges de parcelles, sont pratiques. Ils simplifient le parcellaire et le quotidien de chacun. Mais mal ficelés, ils sont un motif de rupture de bail.
Quoi de plus pratique que d’échanger une parcelle pour simplifier un parcellaire morcelé ? Quoique répandue, la pratique requiert quelques préalables pour éviter tout souci, surtout si l’on est fermier et que l’on souhaite transmettre son exploitation. Entre propriétaires, la pratique de l’échange est simple et sans risque. Mais si l’on est locataire et titulaire d’un bail rural, un échange mal ficelé est à l’origine de nombreux contentieux, toujours au détriment du locataire.
Un plafond pour le nombre d’hectares échangés
« Trop souvent, les fermiers oublient d’informer leur propriétaire d’un échange en jouissance. Or en vertu de l’article 411-39 du Code rural, c’est une obligation », rappelle Maître Marie-Christine Dagois-Gernez, avocate au barreau de Beauvais et spécialiste en droit rural. Cette obligation s’impose aux titulaires d’un bail rural et d’un bail cessible. Une information orale n’est pas suffisante : elle n’a pas de valeur juridique. Pour dormir tranquille, il convient d’adresser à son propriétaire un courrier en recommandé avec accusé de réception, en précisant les références cadastrales des parcelles échangées, leur commune et leur contenance. La durée de l’échange et l’identité de l’agriculteur avec qui les parcelles seront échangées devront également être précisées.
Parmi les conditions à respecter : l’échange ne peut porter sur la totalité de la surface louée, sauf si celle-ci n’excède pas le cinquième du seuil de déclenchement du contrôle des structures. En Picardie, ce seuil est de 90 hectares et l’échange ne peut donc excéder 18 hectares. En région Grand Est, où ce seuil est de 79 hectares, l’échange peut aller jusqu’à 15,8 hectares. Selon les départements, un plafond peut aussi être appliqué.
Notification obligatoire, sous risque de résiliation du bail
À compter de la réception du courrier l’informant de l’échange, le propriétaire dispose d’un délai de deux mois pour le contester. Pour cela, il doit saisir le tribunal paritaire des baux ruraux et motiver son refus. À défaut de saisine dans ce délai, l’échange est accepté, sur le principe de l’acceptation tacite. Bien sûr, le titulaire du bail est tenu de continuer à régler ses fermages sur la totalité de la surface louée et remplir ses obligations liées au bail. En parallèle, il conserve son droit de préemption.
Attention : l’échange en jouissance est lié à un bail. Si celui-ci s’éteint, l’échange n’est plus valable : s’il souhaite le pérenniser, le nouveau fermier doit à nouveau solliciter l’autorisation du propriétaire. En cas de renouvellement de bail ou de cession à un descendant, il est prudent de renouveler la demande. Si l’échange existe et n’a jamais été notifié, la situation mérite d’être régularisée au plus vite ou d’être interrompue rapidement.
Cette légèreté peut en effet faire peser un risque important sur la pérennité de l’exploitation : « Un échange non notifié fait partie des motifs de résiliation d’un bail rural », précise Maître Dagois-Gernez. Il est assimilé à une sous-location. Qu’importe que l’échange porte sur une petite parcelle parmi un ensemble de parcelles figurant au bail : il met à mal la bonne foi du preneur. Si elle est reconnue, la résiliation s’appliquera sur la totalité des parcelles louées. Précisons que cette résiliation était systématiquement prononcée par les tribunaux avant l’ordonnance du 13 juillet 2006 même si la bonne exploitation du fonds n’était pas compromise. Depuis cette ordonnance, la résiliation ne sera prononcée que s’il est démontré que l’opération porte préjudice au bailleur.
Usages locaux en substitution au Code rural
Il n’est pas rare de voir un propriétaire utiliser cet argument pour relouer le bien à un tiers, aux conditions habituelles, voire de l’exploiter à façon pour le vendre ensuite comme un bien libre. « Les contentieux apparaissent surtout à l’occasion d’une demande de renouvellement du bail ou d’une demande de cession du bail au profit d’un enfant, observe Maître Dagois-Gernez. Presque 50 % des contentieux pourraient être évités si les agriculteurs s’appuyaient davantage sur les conseils d’un avocat avant d’effectuer ces démarches. »
Dans certains départements, les échanges de parcelles sont régis par des usages locaux qui se substituent aux obligations du Code rural. « Dans l’Oise, les parties signent un contrat validé par la DDTM pour une durée de neuf ans renouvelable, détaille Maître Dagois-Gernez. Dans ces situations, la dénonciation de l’échange doit intervenir trois ans avant son terme par lettre recommandée avec accusé de réception. » De quoi permettre à chacun de s’organiser.
Les Safer se mobilisent pour les échanges
Partout en France, les échanges parcellaires mobilisent les conseillers fonciers de la Safer. « Ce phénomène grandit depuis quatre ou cinq ans », observe Stéphane Hamon, directeur général de la Safer de Normandie. En particulier dans la Manche, ou le remembrement n’a pas toujours été effectué et tout reste à faire. « Dans ce département, un candidat sur deux est à même d’échanger une parcelle », souligne l’expert. En fonction des candidatures, la Safer propose des attributions de parcelles à condition d’en échanger d’autres. Les conseillers fonciers normands constituent ainsi de véritables boucles de candidats et des échanges en cascade, jusqu’à dix interlocuteurs.
« Chaque année, nous organisons l’échange d’environ 268 hectares entre agriculteurs », indique Delphine Benea, chargée de communication de la Safer de Normandie. « Ces hectares échangés représentent 30 parcelles en moyenne et permettent d’éviter environ 12 000 kilomètres de trafic, correspondant à une économie de 600 heures passées en moins sur la route. » Du temps gagné, des économies et une diminution du risque d’accident pour les agriculteurs. « Les échanges parcellaires sont dans notre ADN », rappelle Stéphane Hamon.