Bien surveiller les pucerons pour réduire le risque JNO
À la faveur du climat et de semis tardifs, l’année 2019 a connu peu de dégâts de JNO. Pour 2020, la vigilance doit rester de mise.
À la faveur du climat et de semis tardifs, l’année 2019 a connu peu de dégâts de JNO. Pour 2020, la vigilance doit rester de mise.
Les agriculteurs qui appréhendaient l’après-Gaucho ont-ils joué les Cassandre ? La première campagne sans Gaucho (imidaclopride) dans les semences de céréales s’est achevée sans fortes infestations de pucerons. Tant mieux ! En piquant les orges ou les blés, ces insectes inoculent le virus de la Jaunisse nanisante de l’orge (JNO) aux plantes, maladie incurable responsable de dégâts souvent importants. Sur orges d’hiver, les pertes de rendements atteignent jusqu’à 30 q/ha sur la totalité d’une parcelle. Sur blé tendre, les dégâts sont plus limités.
En 2019, des symptômes ont été signalés, notamment sur la façade atlantique. « Globalement, cette année n’est pas une année rouge, se réjouit Nathalie Robin, ingénieure spécialiste des ravageurs chez Arvalis. L’été 2018 a été très sec et cela a limité les repousses de céréales et les graminées adventices. Cet effet reste toutefois difficile à appréhender car la gamme des réservoirs est très large — toutes les Poacées (graminées) — et les insectes peuvent se déplacer. Plus tard, les conditions du début d’automne 2018 ont conduit à retarder les semis. Or, le retard de la date de semis constitue un levier très important pour diminuer l’exposition aux pucerons. »
Des observations attentives dès la levée
En l’absence de produit détruisant les pucerons (aphicide) en traitement de semences, les cultures sont beaucoup plus exposées à l’effet année. « L’abondance et l’activité des pucerons sont très dépendantes des conditions climatiques », explique Nathalie Robin. Les automnes 2006 et 2015, particulièrement doux et longs, ont ainsi conduit à de fortes présences de pucerons dans les parcelles non protégées. Une réplique climatique avec de fortes infestations pourrait conduire à des dégâts importants sur les cultures de céréales. « Une année calme ne présage en rien des conditions de l’automne prochain », prévient Nathalie Robin, qui recommande des observations attentives dès la levée sur les parcelles. Pour une région et un climat donné, le niveau de risque peut varier fortement d’une parcelle à l’autre, en fonction de la culture, de la date de semis et de l’environnement proche.
Les pièges chromatiques (plaques jaunes engluées, cuvettes jaunes) capturent des pucerons ailés de différentes espèces mais pas seulement celles qui vont se développer sur la culture. Le suivi de ces pièges renseigne sur l’activité de vol des pucerons et alerte sur la nécessité d’aller surveiller directement les infestations sur les plantes. Les observations doivent être réalisées par série de dix plantes sur différents endroits, notamment dans les zones à risques : près de haies, de bandes enherbées, de jachères ou de maïs. Un temps chaud et ensoleillé facilite les observations. Le début d’un bel après-midi apparaît comme un moment idéal pour l’observation : les pucerons montent sur les feuilles et sont plus facilement visibles.
Une intervention insecticide en présence des ravageurs
La surveillance va permettre de bien positionner le traitement insecticide. Les différentes spécialités commerciales disponibles sont toutes à base de pyréthrinoïdes (parfois associées à une autre famille). Elles agissent par contact, avec une faible persistance d’action. L’intervention est donc à déclencher en présence des ravageurs et non pas en fonction du stade de la culture. Les recommandations sont d’intervenir quand 10 % des pieds sont porteurs de pucerons. Si ces insectes sont observés sur les plantes pendant plus de dix jours, même sur moins de 10 % d’entre-elles, une intervention est également recommandée. Les nouvelles feuilles apparues après le traitement ne sont pas protégées : des infestations post-traitement peuvent nécessiter une nouvelle application.
L’utilisation de variétés d’orge tolérante à la JNO apparaît aujourd’hui comme une solution prometteuse et efficace. Ces variétés n’empêchent pas l’arrivée des pucerons ni la vection de virus mais les symptômes sont beaucoup plus faibles. En cas de très fortes infestations prolongées, les pertes de rendement se limitent à 5-10 quintaux à l’hectare sur ces variétés. La recommandation d’éviter des semis précoces, exposant davantage la culture aux infestations, reste donc de mise pour elles. À noter que sur la dizaine de variétés d’orge tolérante à la JNO inscrite, aucune ne figure sur la liste des variétés préférées des Malteurs et Brasseurs de France pour 2020. Sur blé, il n’existe aucune variété tolérante ou résistante. Pour limiter l’exposition des plantes aux pucerons, le maître-mot est de ne pas anticiper les périodes de semis préconisées. Une précaution qui n’exonère pas de surveiller les cultures et d’être réactif en cas de nécessité.
Varier les insecticides
Pour limiter le risque d’apparition de résistance des pucerons, il est conseillé de diversifier autant que possible les spécialités : soit en utilisant des produits associant deux familles chimiques comme Karaté K et Daskor 440, soit en diversifiant les pyréthrinoïdes : ceux à base d’estenvalérate (Mandarin pro, Sumi-Alpha), ou de tau-fluvalinate (Mavrik flo) représentent des sous-familles différentes des autres. En France à ce jour, aucun cas de résistance sur des espèces de pucerons affectant les céréales à paille n’a été décelé mais une population de Sitobion avenae avec la résistance aux pyréthrinoïdes a été identifiée au Royaume Uni et en Allemagne.
Comment le puceron contamine une parcelle
En piquant les plantes pour se nourrir de leur sève, les pucerons peuvent acquérir des virus puis les transmettre à d’autres plantes. Ce sont des porteurs sains : seules les plantes sont affectées par le virus. Sans être exclusive, la principale espèce de puceron vectrice de la JNO est Rhopalosiphum padi. La contamination d’une parcelle s’effectue d’abord par l’arrivée des pucerons ailés, puis par leurs descendances (aptères). La température seuil d’envol du puceron ailé est d’environ 10 à 12 °C. Sur la plante, l’ailé produit des larves. Les individus qui en sont issus donneront naissance par parthénogenèse à de nouvelles larves formant ainsi des colonies. Le développement de ces colonies conduit à la dissémination des virus dans la parcelle. Les automnes doux et prolongés sont favorables à ces infestations.
« Jouer sur la date de semis est risqué »
« Jusqu’au semis de l’automne 2017, dans notre secteur du nord du Cher, près de 90 % des surfaces d’orge d’hiver étaient traitées avec Gaucho contre 40 % pour le blé tendre. La JNO est ici une réalité. Depuis 2018, nous avons axé notre conseil sur l’agronomie. Avant le semis, il faut éviter de maintenir des foyers sur les parcelles, particulièrement entre un blé et une orge d’hiver. Ensuite, on peut jouer sur la date de semis mais c’est un levier à manier avec précaution. Dans notre secteur, semer après le 20-25 octobre est risqué s’il se met à pleuvoir. Cette campagne, le climat nous a bien aidés : le mois d’octobre très sec a permis de repousser les semis tout en conservant de bonnes conditions. Décalées, les levées n’ont pas coïncidé avec les pics de vols des pucerons. L’utilisation de variétés tolérantes à la JNO a montré son efficacité. Mais c’est la demande qui conditionne surtout le choix de la variété. Isocel, Etincel et Passerel, variétés brassicoles, constituent l’essentiel des surfaces mais elles n’ont pas ces caractéristiques de tolérance. Il n’existe pas de variété brassicole tolérante à la JNO mais cette année, nous testons une nouvelle variété tolérante, Coccinel. En culture, nous insistons sur l’importance de l’observation au champ dès la levée. On intervient avec un insecticide dès que le seuil est atteint. Si cette année nous n’avons pas observé de dégâts importants dans des parcelles, il ne faut pas mettre le risque de côté. Dans l’hypothèse où les semis 2019 devaient être précoces, il faudra de nouveau être vigilant. Un essai orge d’hiver mis en place le 10 octobre 2017 montre un écart de 6,8 quintaux à l’hectare entre le témoin non traité et la couverture du premier passage insecticide. »
(1) Ucata : Union céréalière des applications des techniques agricoles.