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La France à la pointe des interdictions sur les insecticides néonicotinoïdes

Entre dérogations dans certains pays européens (mais pas en France) et recours contre les décisions d’interdictions, la question des néonicotinoïdes fait débat en Europe.

Acétamipride, clothianidine, imidaclopride, thiaclopride, thiaméthoxame : depuis le 1er septembre 2018, les néonicotinoïdes ne font plus partie de l’arsenal insecticide pour lutter contre les ravageurs des grandes cultures en France. La décision figure dans le texte de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et un décret a été publié précisant la mesure. Les représentants des États membres de l’Union européenne ont également voté pour l’interdiction de néonicotinoïdes en avril 2018, mais seulement pour trois d’entre elles : la clothianidine, l’imidaclopride et le thiaméthoxame.

L’UIPP a engagé un recours en Conseil d’État contre le décret d’interdiction des néonicotinoïdes au motif de violation du règlement européen 1107/2009. « Au niveau européen, il y a eu interdiction pour la plupart des usages de trois substances actives néonicotinoïdes avec des possibilités de dérogations annuelles 120 jours qui peuvent concerner les grandes cultures. Or, en France, le décret publié porte sur cinq néonicotinoïdes et non trois. En outre, les dérogations sont très limitées et il n’y en a aucune pour les grandes cultures, présente Eugénia Pommaret, directrice de l’UIPP. Nous estimons qu’il y a non respect du droit européen au travers de ce décret en France. Les interdictions de substances actives sont de la compétence de l’Union européenne et non de chaque État membre. Au niveau européen, l’acétamipride n’est pas interdite et même reconduite pour quinze ans. De même, la thiaclopride reste autorisée. » Le Conseil d’État n’a pas donné raison à l’UIPP mais a décidé de renvoyer la question à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur la légalité de l’interdiction française. « La question reste pleine et entière, selon Eugénia Pommaret. Mais la procédure va être longue, au minimum un an avant d’avoir un jugement de la CJUE. »

Des dérogations prises sur betteraves en Belgique et ailleurs

Cette interdiction des néonicotinoïdes, notamment ceux utilisés en traitements de semences avait généré une levée de boucliers dans les filières de la betterave sucrière et des céréales à paille. Il s’agissait de deux cultures sur lesquelles ils étaient utilisés largement en traitement de semence pour lutter contre les pucerons vecteurs de maladies virales (jaunisses). Des moyens de lutte alternatifs existent contre ces insectes mais ils sont beaucoup moins efficaces, voire restent encore à créer comme l’obtention de variétés tolérantes aux virus.

Les dérogations prises dans divers pays européens et non en France sur l’utilisation de néonicotinoïdes n’ont fait que raviver les tensions dans les filières de productions hexagonales, en premier lieu sur la betterave sucrière. D’importants pays producteurs comme en Europe de l’Est et, plus près de nous, la Belgique, ont appliqué ces dérogations. « Notre pays est le seul en Europe à être atteint à l’échelle de l’ensemble de son territoire par la jaunisse de la betterave véhiculée par les pucerons », déclarait dans le quotidien Le Soir en 2018 Denis Ducarme, ministre fédéral de l’Agriculture. Une autorisation de 120 jours permettant l’utilisation temporaire de clothianidine et de thiaméthoxame pour le traitement de semences de betteraves sucrières y a été décidée fin 2018, assortie cependant de conditions strictes d’utilisation sur la rotation, avec une succession de cultures non attractives pour les abeilles.

La Commission européenne met le holà

Pour d’autres pays de l’est de l’Europe, les dérogations s’entourent de moins de précautions. La Commission européenne a réagi à cette situation. « Suite à une lettre envoyée le 22 janvier 2019 par un collectif d’ONG de protection de l’environnement, la commissaire en charge de la santé et de la sécurité alimentaire de l’époque, Vytenis Andriukaitis, a envoyé un courrier à quatre États membres leur demandant de cesser d’octroyer des autorisations d’urgence pour l’utilisation restreinte des trois néonicotinoïdes, rapportait le collectif de médias Euractiv le 27 février 2019. Deux des états ont répondu positivement avec des engagements, ce qui n’était pas le cas des deux autres contre lesquels la Commission préparait des mesures visant à les empêcher de fournir à nouveau des autorisations non justifiées. » Diverses études en attestent : les néonicotinoïdes peuvent persister dans le sol et se retrouver dans le nectar et le pollen de fleurs de cultures, avec un impact sur les insectes pollinisateurs.

Deux autres insecticides en suspens

Peu avant l’interdiction programmée des néonicotinoïdes, la société Dow AgroScience annonçait l’homologation d’insecticides à base d’une nouvelle matière active, le sulfoxaflor. Mais le 24 novembre 2017, le tribunal administratif de Nice suspendait les autorisations de mise en marché des produits concernés, suite à une requête de l’association Génération Futures, jugeant que le sulfoxaflor est un néonicotinoïde. « Nos produits sont suspendus et non interdits en France, souligne Stéphanie Fournol, chef marché insecticides chez Corteva (fusion de Dow et DuPont) en France. Nous sommes toujours en attente du jugement sur le fond du dossier. Mais tant que la CJUE n’a pas statué sur le recours de l’UIPP auprès du Conseil d’État sur les néonicotinoïdes, il y a tout lieu de penser qu’il n’y aura pas de décision. » Stéphanie Fournol note que des insecticides à base de sulfoxaflor sont homologués ou en passe de l’être dans divers autres pays européens. Corteva présente le sulfoxaflor comme respectueux pour l’homme et pour la biodiversité.
Une autre nouvelle molécule a été pointée du doigt pour les mêmes motifs que le sulfoxaflor, la flupyradifurone de Bayer CropScience. Elle a été approuvée au niveau de l’Union européenne mais n’a pas passé le cap de la commercialisation en France. Le 11 septembre 2019, le gouvernement mettait en consultation publique un projet de décret ciblant « les substances actives présentant des modes d’action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes » et visant l’interdiction pure et simple des flupyradifurone et sulfoxaflor.

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