Betteraves : les sucriers partent à la conquête de nouveaux hectares
Alors que le marché du sucre est sorti de trois années de crise, les sucriers sont à la recherche d’hectares supplémentaires et de nouveaux planteurs face à des producteurs qui doutent.
Alors que le marché du sucre est sorti de trois années de crise, les sucriers sont à la recherche d’hectares supplémentaires et de nouveaux planteurs face à des producteurs qui doutent.
Après trois années de prix calamiteux et une attaque de jaunisse d’une gravité inédite, la filière betterave retrouve de l’air. Soucieux d’optimiser leurs outils industriels pour diluer leurs coûts de production, les groupes sucriers réinvestissent et partent à la quête d’hectares. Saint Louis Sucre recherche ainsi 2000 hectares supplémentaires, 7000 hectares pour Cristal Union. En raison de l’agenda interne de Tereos, les dirigeants du groupe n’ont pu répondre à nos questions.
« Nous cherchons à conforter la performance de nos usines, explique Bruno Labilloy, directeur agricole chez Cristal Union. Dans notre usine de Fontaine-le-Dun en Seine-Maritime, le potentiel de développement est important. Nous projetons de cultiver 3000 hectares supplémentaires dans ce secteur dans les deux ans en élargissant nos zones d’approvisionnement. Pour 2022, l’étape de 1500 hectares est déjà franchie et on travaille déjà pour 2023. »
Les producteurs qui s’engagent bénéficient d’un appui technique rapproché. « Cultiver de la betterave, ce n’est pas sauter dans l’inconnu, veut rassurer le responsable. Nous permettons à des agriculteurs de devenir coopérateur et producteur de betteraves. C’est une belle opportunité pour consolider leur système à long terme. Introduire une nouvelle culture dans une rotation est bénéfique pour l’ensemble d’un système agricole. »
Un marché porteur en sucre comme en éthanol
Les industriels peuvent compter sur un marché porteur, avec des prix du sucre au plus haut depuis quatre ans et des cours de l’éthanol au sommet. Toutefois, plusieurs éléments pourraient tempérer les ardeurs des planteurs à accroître, voire à maintenir, leurs surfaces en betteraves. Au point que certains observateurs n’excluent pas une stagnation de la sole malgré les voyants de marché au vert. Première cause de défiance des producteurs : des prix jugés insuffisants. Alors que le marché du sucre est sorti de trois années de crise, les sucriers sont à la recherche d’hectares supplémentaires et de nouveaux planteurs face à des producteurs qui doutent.
Après la fin des quotas, le prix tout compris de la betterave (intégrant les pulpes, les dividendes et les intérêts aux parts) s’est effondré à 23 euros la tonne en 2018-2019 et 2019-2020. Il s’est timidement repris en 2020- 2021, à 25,2 €/t, en deçà du prix garanti de la dernière période des quotas (25,4 €/t hors pulpe et dividendes). Face à des coûts de production qui n’ont pas baissé (2200 à 2300 €/t en moyenne), cette faible rémunération a entraîné des revenus négatifs en betteraves ces trois dernières années, aggravés par l’épisode dévastateur pour les rendements en 2020, année de sécheresse et de jaunisse.
Pour la campagne 2021-2022, les prix poursuivent leur remontée, mais la betterave affronte la concurrence des autres cultures dont les cours se sont envolés. Après avoir culminé à 300 euros la tonne, le blé reste attractif: au 20 décembre, le contrat Euronext échéance décembre 2022 s’établissait à 250 €/t, et le colza à 545 €/t sur août 2022. « Pour obtenir des marges équivalentes, il faudrait une betterave payée 30 à 31 €/t hors pulpe », calcule Timothé Masson, spécialiste des questions économiques à la CGB. Sans compter que la betterave impose des coûts de production élevés et une charge de travail plus lourde que ces cultures concurrentes.
Vers des prix de la betterave à 30 euros la tonne ?
30 à 31 €/t? Ces niveaux de prix pourraient justement être atteints. « Pour 2021, toute rémunération incluse, le prix des betteraves sera proche de 29 €/t, et l’objectif de notre conseil d’administration est d’augmenter ce prix en suivant l’actuelle évolution des marchés », indique Bruno Labilloy. Le directeur rappelle qu’au sein de la coopérative, les prix sont fixés par les agriculteurs eux-mêmes. Objectif : « la culture de la betterave doit laisser une marge supérieure à celle des produits moins élaborés. » Et à ces niveaux de prix, c’est le cas.
Du côté de Saint Louis Sucre, les modalités de paiement ont été revues afin de faciliter la gestion de trésorerie des producteurs. Au lieu d’un versement en deux fois, le paiement sera effectué en trois fois, le premier dès le 10 du mois après livraison. « Si je sème des betteraves en 2022, j’ai la garantie d’un prix minimum de 25,31 €/t à 16° accompagné de suppléments de prix pour 100 % des betteraves » selon l’évolution du prix du sucre, explique Thomas Nuytten, directeur betteravier de Saint Louis Sucre. Pour l’expert, « la tendance haussière du sucre amènera forcément un complément de prix si la tendance se confirme ». Le mode de fixation du prix reste un point d’achoppement entre sucriers et planteurs.
Malgré la libéralisation du marché, ces derniers ne disposent d’aucun moyen pour marquer les prix en betterave. Pour Timothé Masson, le problème vient du mode de commercialisation du sucre en Europe, qui selon lui ne s’est pas adapté à l’après-quota : les contrats sont passés à l’été avec les acheteurs avant les arrachages, avec des prix en grande partie fixés sur toute la campagne. « Pour 2021-2022, les industriels ont ainsi contractualisé sur la base de prix de 430-440 €/t, ce qui ne permet pas de profiter de la hausse des cours. Cela représente une perte de 100 €/t sur l’ensemble de la campagne, soit 5 euros la tonne de betterave. »
L’incertitude de l’après-néonicotinoïdes
La CGB demande donc une révision de la contractualisation. « En amont, il faudrait proposer aux planteurs des volumes supplémentaires à leur engagement et dont le prix pourrait être indexé sur des marchés à terme du sucre, en partenariat avec l’industriel, détaille Timothé Masson. Des systèmes de ce type existent déjà au Royaume-Uni et au Danemark. Avec des cours mondiaux à 500 $/t, cela assurerait une marge confortable aux sucriers tout en garantissant un prix de la betterave supérieur à 30 €/t. » Les éléments généraux de l’alimentation, en imposant des indicateurs aux filières, pourraient faciliter la mise en œuvre de cette approche.
Les planteurs doivent aussi composer avec l’incertitude de l’après-néonicotinoïdes. De gros moyens sont déployés dans le cadre du PNRI, le programme de recherche dédié à la jaunisse. Malgré des pistes encourageantes, aucune solution n’offre pour l’instant des perspectives de protection aussi efficaces que les NNI. « Comment vendre la betterave aujourd’hui à un jeune agriculteur avec les incertitudes agronomiques, la faiblesse et la volatilité des prix de betteraves dont la construction paraît opaque, un engagement coopératif long et coûteux… », s’interrogeait Franck Sander, président de la CGB lors de l’assemblée générale du syndicat en décembre dernier. Réponse dans les tout prochains mois.