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Les filières de production de fruits et légumes visent la neutralité carbone

Les filières agricoles ont pris à bras-le-corps le défi de la neutralité carbone. Celle des fruits et légumes est en train de développer des méthodes pour faire son bilan et évaluer les leviers à sa disposition. Plusieurs dispositifs de financement existent pour l’accompagner.

La plantation de vergers densifiés permet de stocker du carbone dans les parties ligneuses. Un stockage pérenne, à condition de broyer les souches en fin de vie et non pas de les brûler.
La plantation de vergers densifiés permet de stocker du carbone dans les parties ligneuses. Un stockage pérenne, à condition de broyer les souches en fin de vie et non pas de les brûler.
© RFL

La France a pour ambition d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. La stratégie nationale bas carbone détaille six orientations qui concernent spécifiquement l’agriculture. Par ailleurs, « il existe une méta attente sociétale sur des actions face au changement climatique, déclare Josselin Saint-Raymond de l’Association nationale pomme poire. Nous avons la nécessité d’y répondre. » Dans ce contexte, « le sujet carbone arrive dans toutes les filières », constate Dominique Grasselly, CTIFL.

La filière fruits et légumes n’est pas en reste. « Dans la filière fruits, nous sommes convaincus d’avoir des atouts et une carte à jouer sur cet aspect carbone », souligne Stéphanie Prat de la Fédération nationale des producteurs de fruits. Les réponses à ce défi sont diverses : elles vont de la stratégie d’entreprise ou de filière valorisée par le marketing comme pour Azura (voir encadré), à des démarches individuelles de producteurs ou de groupes de producteurs soutenues par des dispositifs de financements (voir encadré).

Séquestration et réduction des émissions

Cet objectif de neutralité carbone s’atteint par deux axes. L’un concerne la réduction des émissions et l’autre la captation de carbone. Le carbone se stocke principalement dans le sol et dans les parties ligneuses des arbres. Il s’agit donc de privilégier les pratiques qui vont augmenter la matière organique du sol et accroître le nombre d'arbres dans la parcelle : plantation de haie, augmentation de la densité d’un verger… Les réductions des émissions concernent toutes les étapes, de la préparation d’une parcelle à la distribution des produits. Il s’agit autant d’augmenter l’efficience du chauffage sous serre que de passer d’un tracteur thermique à un tracteur électrique pour certains travaux en verger.

Toutes les démarches ont en commun de faire d’abord un état des lieux du carbone émis et du carbone stocké puis d’évaluer l’impact de certaines pratiques sur ce bilan. Un travail qui nécessite la construction de méthodes pour avoir des outils simples qui automatisent les calculs. « Il existe plusieurs méthodes internationales. Le GIEC donne des guides pour calculer les réductions de carbone, détaille Morgane Hénaff d’Agrosolutions. Ces méthodes sont affinées avec des études françaises. » « Mais la tâche n’est pas très simple, constate Dominique Grasselly. Il y a encore de nombreuses interrogations sur l’impact de certains leviers. » Heureusement, la filière avait de l’avance. « Si la prise de conscience de la nécessité d’agir est récente, le CTIFL travaille sur ce sujet depuis quatorze ans », continue l’expérimentateur.

Vente de crédits carbone

Pour inciter les professionnels à faire ce bilan carbone et se projeter sur de nouvelles pratiques, l’Etat a mis en place plusieurs dispositifs : Bon diagnostic carbone financé par le plan de relance, le dispositif Green-go de l’Ademe et le Label bas carbone (voir encadré). Si les deux premiers dispositifs financent le bilan et l’accompagnement technique par des fonds publics, le troisième propose de compenser les coûts liés aux changements de pratiques par la vente de crédits carbone sur le marché libre du carbone. Ces crédits carbone représentent le carbone non émis sur cinq ou dix ans, résultant de la mise en place de nouvelles pratiques par rapport aux pratiques actuelles. Chaque projet de producteurs comporte donc un plan d’action et une estimation de ces crédits suivant une méthode (voir encadré).

Une fois le projet validé par le ministère de la Transition écologique, les crédits sont « mis en vente » vers des entreprises qui veulent compenser leurs émissions de CO2 dans le cadre de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Le label garantit à ces financeurs privés que le projet a bien séquestré ou réduit les émissions de carbone. Un audit est effectué au bout de cinq ans puis dix ans pour vérifier la quantité de carbone non émise réelle par rapport à la situation initiale. Cet audit est payé par le producteur mais aboutit, si les économies de carbone sont validées, aux paiements des crédits correspondants.

Trouver des financeurs privés

« Pour un producteur qui va seul sur ce dispositif, le gain généré est faible au regard du temps passé et des coûts d’audit », souligne Marie-Thérèse Bonneau de France Carbon Agri. « Pour diminuer le coût du projet par producteur, les projets sont à ce jour souvent portés par des tiers : associations de producteurs, Chambres d’agriculture, GIEE… », souligne Morgane Hénaff. Reste ensuite à trouver ces financeurs privés. L’association France Carbon Agri a été créée dans ce but.

« Nous proposons la vente des crédits à un prix minimum de 38 €/t sur un contrat tripartite, explique la présidente de l’association. Notre objectif est d’organiser une offre pour qu’elle soit rémunérée à sa juste valeur. Le monde agricole est en mesure de regrouper cette offre sans se faire arbitrer par des parties externes. » L’entreprise CO2Responsables propose le même type de service. « Beaucoup de start-up proposent de la mise en relation, prévient Stéphanie Prat, sans toujours connaître le sujet. »

« Notre objectif est d’organiser une offre de crédits carbone issus de l’agriculture pour qu’ils soient rémunérés à leur juste valeur », Marie-Thérèse Bonneau, présidente de France Carbon Agri.

A chacun sa méthode

« Pour le dispositif Bon bilan carbone, nous avons développé un outil passe-partout pour la filière fruits et légumes », indique Dominique Grasselly. Pour le Label bas carbone en revanche, les méthodes sont développées par filière ou par thématique. Deux méthodes applicables à la filière fruits et légumes sont d’ores et déjà déposées et approuvées par le ministère de la Transition écologique : l’une sur la plantation de nouveaux vergers, l’autre sur la plantation et l’entretien des haies. Une autre est en cours de construction pour l’arboriculture. Pour la filière légumes, la diversité des modèles agricoles nécessite de segmenter. « La méthode grandes cultures qui vient d’être déposée pourrait être transférée pour les légumes de plein champ, explique le spécialiste du CTIFL. Rien n‘est encore prévu pour les cultures sous-abri ou les cultures maraîchères. »

Trois dispositifs de financement :

Bon diagnostic carbone : dispositif relayé par les Chambres d’agriculture. Il propose un état des lieux des émissions, un plan d’action de leviers bénéfiques au climat et un accompagnement personnalisé. L’Etat prend en charge 90 % des coûts.

Label bas carbone : outil étatique de certification de projets qui garantit la mise en pratique d’actions additionnelles qui réduisent l’empreinte carbone d’une entreprise. L’entreprise vend ses émissions en moins sous forme de crédits carbone à des entreprises qui veulent compenser leurs émissions de gaz à effet de serre.

Green-Go : dispositif d’aide de l’Ademe pour les investissements « d’éco-conception » afin d'améliorer la performance environnementale de produits alimentaires.

Trois approches de la question « carbone »

Josselin Saint-Raymond, Association nationale pomme poire

« Les vergers écoresponsables visent la neutralité carbone à l’échelle de la filière afin de répondre à l’attente des consommateurs vis-à-vis du réchauffement climatique. Nous sommes en train d’identifier les pistes de conception du verger de demain afin de maximiser le stockage et de diminuer les émissions. Nous avons une approche globale du sujet en incluant dans la réflexion le conditionnement et la logistique. Le CTIFL travaille sur le calcul des émissions et du stockage. D’ici un an, nous devrions avoir une réponse scientifique aboutie. A l’horizon 2024, nos 1400 producteurs adhérents commenceront à l’appliquer. Nous nous devons de devancer les objectifs réglementaires européens compte tenu du long délai d’adaptabilité de notre filière. »

Céline Montauriol, directrice RSE du groupe Azura

« Chez Azura, toute notre stratégie et nos décisions prennent en compte l’impact carbone : de la production jusqu’à la consommation de nos produits, en passant par l’ensemble de la vie quotidienne de nos salariés. C’est pourquoi aujourd’hui, nous sommes fiers d’annoncer que nous sommes le premier producteur de tomates fournisseur de la grande distribution à avoir atteint la neutralité carbone sur l’ensemble de notre activité du champ à l’assiette. Cet engagement est visible pour les consommateurs avec un logo spécifique et un QR code visible sur nos packagings. Nous mettons en place une stratégie de réduction de gaz à effet de serre pour atteindre les objectifs de la COP 21. Pour compenser les émissions incompressibles, nous soutenons des projets tous certifiés ONU ou Gold Standard : développement d’énergies renouvelables et reforestation de la forêt amazonienne, en total respect des populations locales. »

Marc Kéranguéven, président de Prince de Bretagne

« Nous travaillons avec nos producteurs en agriculture biologique sur deux volets : l’un concerne l’efficience énergétique de la culture de légumes sous serre et l’autre sur le passage aux énergies renouvelables. Un technicien développe pour nous un outil d’aide à la décision pour choisir quel mix énergétique renouvelable est le plus adapté. L’éolien, le solaire, la biomasse, les pompes à chaleur, la géothermie, le gaz fatal, le fuel et le propane bio font partie de la liste. Mais ces solutions demandent des investissements conséquents, hors de portée des producteurs même avec les dispositifs de financement actuels et un accompagnement technique. Avec le futur score pour mesurer l’impact carbone des entreprises, nous allons devoir étendre cette réflexion aux serristes conventionnels. »

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